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prononcer à Rome; et Cicéron lui-même eut beau dans sa vieillesse rappeler toute sa vigueur, le remède arrivait quand la maladie était mortelle. Rome, au lieu du meilleur des rois qu'elle avait dans César, se donna trois tyrans.

Mais à l'égard de nos temps modernes, quels peuvent être et l'office et le lieu de l'éloquence populaire ? Quel est le pays de l'Europe où, lorsqu'il s'agit de la paix, de la guerre, de l'élection d'un magistrat, du choix d'un'général d'armée, etc. un citoyen ait le droit qu'il avait à Rome, de demander au peuple une audience, et de lui dire son avis? Quelle est la cité où, à chaque événe ment public et important, le peuple et le séna s'assemblent, comme dans Athènes; où la tribun soit ouverte à qui veut y monter, et où l'on entende un héraut demander à haute voix : Que citoyen au-dessus de cinquante ans veut haranguer le peuple? et qui des autres citoyens veut parler à son tour? (Eschine, contre Ctésiphon.)

Dans les Communes d'Angleterre on voit une ombre de cette liberté. Je dis une ombre; parce que l'assemblée n'est pas celle du peuple, mais celle de ses députés ; et la différence est énorme : car s'il est possible d'abuser tout un peuple par la séduction, il est possible aussi de l'éclairer par l'éloquence; mais sur des députés gagnés par d'autres voies, l'éloquence ne peut plus rien; et ce qui doit décourager l'orateur anglais, c'est de savoir que les voix sont comptées, et que sou

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vent la délibération est prise avant qu'il ait ouvert la bouche.

Ce qui ressemble le plus aujourd'hui à l'éloquence populaire des anciens, c'est l'éloquence de la chaire car l'auditoire est ce peuple libre à qui l'on donne à délibérer, non pas sur l'intérêt public et politique, mais sur l'intérêt personnel que la nature et la religion ont attaché, pour tous les hommes, à la pratique du devoir et à l'amour de la vertu. On peut voir à l'article ELOQUENCE DE LA CHAIRE, que, du côté des passions, elle n'a pas les mêmes ressorts à mouvoir que l'éloquence de la tribune; mais en revanche elle a cet avantage, que le prédicateur est dispensé, par son caractère, de tout ménagement, de tout respect humain, qu'il tient l'orgueil, les vices, les passions de l'auditoire comme enchaînées autour de lui; qu'une nation est à ses pieds, et qu'il peut la traiter comme un seul pénitent qui viendroit à genoux implorer le ministre des miséricordes et des vengeances. Voilà tout ce qui reste au monde de l'éloquence populaire; voilà dans quelles mains est remise la cause de l'humanité, sinon dans ses rapports avec la politique, au moins dans ses rapports avec les mœurs. C'est un bienfait de la religion bien précieux et bien signalé. Puisse la dédaigneuse frivolité de notre siècle ne pas décourager les hommes appelés par leur zèle et par leurs talents au ministère de la parole! puisse la sagesse des gouvernements y al

Élém. de Littér. II.

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tacher une estime égale au bien qu'il fait aux mœurs publiques, lorsqu'il est dignement rempli! puissent-ils aussi quelquefois permettre à la philosophie d'être éloquente, en rappelant aux hommes leurs droits, leurs devoirs réciproques, et leurs intérêts les plus chers!

DÉLICATESSE. Comme il y a deux sortes de perception, il y a deux sortes de sagacité, celle de l'esprit et celle de l'ame. A la sagacité de l'esprit appartient la finesse : à la sagacité de l'ame appartient la délicatesse du sentiment et de l'expression. Ni les nuances les plus légères, ni les traits les plus fugitifs, ni les rapports les plus imperceptibles, rien n'échappe à une sensibilité délicate: tout l'intéresse dans son objet.

Ainsi la délicatesse de l'expression consiste à imiter celle du sentiment, ou à la ménager: ce sont là ses deux caractères.

Pour imiter la délicatesse du sentiment, il suffit que l'expression soit naïve et simple : les tendres alarmes de l'amour, les doux reproches de l'amitié, les inquiétudes timides de l'innocence et de la pudeur, donnent lieu naturellement à une expression délicate: c'est l'image du sentiment dans son ingénuité pure; il n'y a ni voile, ni détour. Tel est le caractère de ce vers de Marot :

Je l'aime tant que je n'ose l'aimer.

Les l'ables de La Fontaine sont remplies de traits

pareils. Celle des Deux Pigeons, celle des Deux Amis, sont des modèles précieux de cette délicatesse de perception dont un cœur sensible est l'organe.

Un songe, un rien, tout lui fait peur,'
Quand il s'agit de ce qu'il aime.

Mais si la délicatesse de l'expression a pour objet de ménager la délicatesse du sentiment, soit en nous-même, soit dans les autres, c'est alors que l'expression doit être ou détournée ou demi-obscure; l'on désire d'être entendu, et l'on craint de se faire entendre ainsi l'expression est pour la pensée, ou plutôt pour le sentiment, un voile léger et trompeur, qui rassure l'ame et qui la trahit. Un modèle rare de cette sorte de délicatesse, est la réponse de cette seconde femme à son mari qui ne cessait de lui faire l'éloge de la première : Hélas, monsieur, qui la regrette plus que moi! Didon a tout fait pour Enée, elle voudrait qu'il s'en souvînt; mais elle craint de l'offenser en lui rappelant ses bienfaits. Voici tout ce qu'elle en ose dire :

Si bene quid de te merui, fuit aut tibi quidquam

Dulce meum.

Racine est plein de traits du même caractère.

ARICIE, à Ismène.

Et tu crois que, pour moi plus humain que son père,
Hippolyte rendra ma chaîne plus, légère,

Qu'il plaindra mes malheurs?

La même, à Hippolyte.

N'était-ce pas assez de ne me point haïr.

Et PHEDRE, au même.

Quand vous me haïriez, je ne m'en plaindrais pas.

Et ATALIDE, à Zaïre

Ainsi, de toutes parts, les plaisirs et la joie
M'abandonnent, Zaïre, et marchent sur leurs pas.
J'ai fait ce que j'ai dû ; je ne m'en repens pas.

Madame Deshoulières dit en parlant à la verdure:

Si je viens vous presser de couvrir ce bocage,
Ce n'est que pour cacher aux regards des jaloux
Les pleurs que je répands pour un berger volage.
Ah! je n'aurai jamais d'autre besoin de vous.

Dans aucun de ces exemples la bouche ne dit que ce que le cœur sent; mais l'expression le laisse entrevoir; et en cela la finesse et la délicatesse se ressemblent. Mais la finesse n'a d'autre intérêt que celui de la malice ou de la vanité; son motif est le soin de briller et de plaire au lieu que la délicatesse a l'intérêt de la modestie, de la pudeur, de la fierté, de la grandeur d'ame ; car la générosité, l'héroïsme, ont leur délicatesse comme la pudeur. Le mot de Didon que j'ai cité :

Si bene quid de te merui.....

est le reproche d'une ame généreuse. Vous étes roi, vous m'aimez, et je pars, est le reproche d'une ame sensible et fière. Le mot de Louis XIV

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