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l'art oratoire? Aussi est-il prescrit à l'orateur de ne rien dire qu'avec décence, lors même qu'il veut émouvoir: Nihil nisi ita ut deceat, et uli omnes moveat ita delectet. (De Orat.)

Quant aux convenances de l'action, elles sont les mêmes que celles du langage. Il est certain que si une action véhémente est déplacée, elle est non-seulement inutile, mais ridicule : il faut donc qu'elle soit d'accord avec le sentiment qui doit animer l'orateur. Mais le sentiment, la passion, le mouvement de l'ame a deux expressions : l'une, celle de la parole, et l'autre, celle de l'action. Or il arrive très souvent que l'expression de la parole est faible, et celle de l'action, pleine de force et de chaleur; en sorte que lorsqu'on vient à lire ce dont on a été violemment ému, on a peine à le reconnaître, parce que l'action n'y est plus. Le théâtre, la chaire, le barreau nous en fournissent mille exemples.

C'est ce que Cicéron, et avant lui Démosthène, avait observé. Crassus, dans le dialogue de Cicéron sur l'orateur, rappelle le pathétique de C. Gracchus, lorsque après que son frère eut été massacré, il disait, en parlant au peuple, Quo me miser conferam? quo me vertam? In capitoliumne? at fratris sanguine redundat. An domum? matrem ut miseram lamentantemque videam et abjectam. Il dit ces paroles, ajoute Crassus, avec des yeux, un geste si touchants, que ses ennemis mêmes ne pouvaient retenir leurs larmes; et il

demande pourquoi les orateurs, qui sont les acteurs de la vérité même, ont abandonné ces moyens aux histrions, qui n'en sont que les imitateurs. La vérité sans doute, ajoute-t-il, l'emporte sur l'imitation; et si elle savait, pour se suffire, profiter de ses avantages, on n'aurait plus besoin de l'art. Mais parce que l'émotion de l'ame, lorsqu'elle est violente, nuit à l'action qui la doit exprimer, par le trouble qu'elle y répand, il faut de l'art, pour démêler tous ces traits qui dans la nature sont obscurcis et confondus, et pour n'en prendre que ce qu'il y a de plus saillant et de plus sensible. Il observe que chaque mouvement de l'ame a une physionomie, un son de voix, un geste qui lui est propre; et que dans l'homme l'attitude, les mouvements du corps, les traits de la figure, l'organe de la voix, sont comme les cordes d'un instrument, qui rendent tel ou tel accord, selon le caractère de la passion qui les

remue.

L'accent, dit-il, de la colère est perçant, rapide, et concis. Celui de la commisération et de la tristesse profonde est plein, flexible, entrecoupé, plaintif. (Remarquons qu'il est plein; et que ce mot serve de leçon aux comédiens et aux orateurs qui donnent à la plainte un accent grêle, un eri aigu, qui ne déchire que l'oreille.) L'accent de la crainte est faible, tremblant, étouffé. Celui de la violence est fort et véhément, et d'une intensité pressante et menaçante. Celui de la vo

lupté s'exhale avec effusion; il est doux, il est tendre, tantôt brillant de joie, tantôt abattu de langueur. Celui de l'affliction, quand la pitié ne l'amollit point, a un certain caractère de gravité, et une continuité de sons monotones et soutenus avec lenteur.

Or, ajoute Crassus, le geste doit se conformer à tous ces accents de la voix; et ce ne sont pas les mots, mais la chose et la totalité du sentiment et de la pensée, que l'action doit exprimer.

Quant à l'expression du visage, c'est là que tout se réunit. Sed in ore sunt omnia. In eo autem ipso dominatus est omnis oculorum.... Animi enim est omnis actio; et imago animi vultus est, indices oculi.... Quare oculorum est magna moderatio: nam oris non est nimium mutanda species, ne aut ad ineptias aut ad pravitatem aliquam deferamur. Oculi sunt, quorum tum intentione,tum remissione, tum conjectu, tum hilaritate, motus animorum significemus apte cum genere ipso orationis. Est enim actio quasi sermo corporis, quo magis menti congruens esse debet. Oculos autem natura nobis, ut equo et leoni setas, caudam, aures, ad motus animorum declarandos dedit. Quare in hac nostra actione secundum vocem vultus valet; is autem oculis gubernatur. (De Orat.)

Ce beau passage de Cicéron me rappelle ce que j'ai entendu dire d'un prédicateur jésuite, appelé Teinturier, médiocre quant à l'élocution, mais qui faisait plus d'effet en chairè que les

hommes les plus éloquents. Tant que j'aurai mes yeux, disait-il, je ne les crains pas.

A l'égard de la voix, Cicéron observe encore que chaque voix a son medium, et que c'est dans ce ton moyen que l'orateur doit commencer, pour s'élever ensuite ou s'abaisser selon que le demandent l'accent de la nature et celui de la langue. Ceux qui n'ont pas l'oreille assez juste pour reprendre leur ton moyen, ne trouvent plus dans l'élévation ou l'abaissement de la voix le même espace à parcourir ; et c'est là tout simplement à quoi servait la flûte qu'employait l'orateur Gracchus.

J'ajouterai que chaque voix a aussi son étendue naturelle ou acquise, et, dans le haut comme dans le bas, une certaine échelle de tons au-delà desquels elle est forcée. Ainsi l'orateur doit connaître les facultés de son organe, et s'appliquer avec un soin extrême à ne donner jamais à sa déclamation des tons qui dans le bas seraient sourds, rauques, étouffés, ou qui dans le haut seraient grêles et glapissants à force d'être aigus. Quant à l'attitude et aux mouvements du corps, Cicéron en dit peu de chose qui nous convienne : Status erectus et celsus... nulla mollitia cervicum, nullæ argutiæ digitorum... trunco magis toto se ipse moderans, et virili laterum flexione, brachii projectione in contentionibus, contractione in remissis. (Orat.) Et en effet, il est difficile de prescrire autre chose à l'orateur à l'égard du geste,

si ce n'est de le modérer, et de se souvenir que, dans les mouvements même les plus passionnés, il n'est pas un comédien.

Dans l'hypothèse théâtrale, l'acteur est le personnage même qui est malheureux, souffrant tourmenté de telle passion : l'orateur au contraire n'est le plus souvent que l'ami, le confident, le témoin, le solliciteur, le défenseur de celui qui souffre. Alors il doit y avoir entre sa déclamation et celle de l'acteur la même différence que la nature a mise entre patir en compatir or on sent bien que la compassion est une passion affaiblie; ce n'est qu'un reflet de douleur. Celui qui fera la peinture d'une situation cruelle et désolante, l'exprimera des plus vives couleurs : l'expression de la parole n'a pour lui d'autres bornes que celles de la vérité, que celles inême de la vraisemblance. Mais quant à la déclamation, elle doit se réduire, dans l'orateur, à ce qu'un tiers peut éprouver d'un malheur qui n'est pas le sien.

Supposé même que l'orateur plaide sa propre cause, ou qu'en parlant pour un autre que lui, il ne laisse pas d'exprimer la passion qui lui est propre, comme l'indignation, la pitié, la douleur; encore ne doit-il pas se livrer aux mêmes mouvements que l'acteur de théâtre. Son premier soin doit être de conserver, soit dans la tribune, soit dans la chaire, soit au barreau, son caractère de dignité, de bienséance, d'organe de la

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