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ne lui manque que de la fraîcheur. On remarque néanmoins sur elle une riche attache qu'elle dérobe avec soin aux yeux de son mari: elle le flatte, elle le caresse, elle invente tous les jours pour lui de nouveaux noms; elle n'a pas d'autre lit que celui de ce cher époux, et elle ne veut pas découcher. Le matin elle se partage entre sa toilette et quelques billets qu'il faut écrire. Un affranchi vient lui parler en secret : c'est Parménon qui est le favori, qu'elle soutient contre l'antipathie du maître et la jalousie des domestiques. Qui, à la vérité, sait mieux connaître des intentions, et rapporter mieux une réponse que Parménon? qui parle moins de ce qu'il faut taire? qui sait ouvrir une porte secrète avec moins de bruit? qui conduit plus adroitement par le petit escalier? qui fait mieux sortir par où l'on est entré?» Ce que je retranche de ce caractère, me paraît trop marqué, et en altère la finesse.

Lorsqu'elle est employée à exprimer un sentiment, elle s'appelle délicatesse. Tel est ce mot de madame de Sévigné à sa fille : J'ai mal à votre poitrine; expression de génie, si l'on peut appeler ainsi ce que le cœur a inventé. Cette expression m'en rappelle une plus naturelle encore et plus touchante. Un paysan, après avoir donné tout son bien à ses quatre enfants qu'il avait établis, allait vivre chez eux successivement les quatre saisons de l'année : <«< Et vous traitentils bien?» lui demanda quelqu'un. Ils me trai

tent, répondit le bon homme, comme si j'étais leur enfant. Y a-t-il rien de plus délicat et de plus sensible que ce mot-là dans la bouche d'un père?

:

G.

GÉNIE. On demande en quoi le génie diffère du talent le voici, ce me semble. Le talent est une disposition particulière et habituelle à réussir dans une chose à l'égard des lettres, il consiste dans l'aptitude à donner aux sujets que l'on traite, et aux idées qu'on exprime, une forme que l'art approuve et dont le goût soit satisfait; l'ordre, la clarté, l'élégance, la facilité, le naturel, la correction, la grâce même, sont le partage du talent. Le génie est une sorte d'inspiration fréquente, mais passagère; et son attribut est le don de créer. Il s'ensuit que l'homme de génie s'élève et s'abaisse tour-à-tour, selon que l'inspiration l'anime ou l'abandonne. Il est souvent inculte, parce qu'il ne se donne pas le temps de perfectionner; il est grand dans les grandes choses, parce qu'elles sont propres à réveiller cet instinct sublime, et à le mettre en activité ; il est négligé dans les choses communes, parce qu'elles sont au-dessous de lui, et n'ont pas de quoi l'émouvoir. Si cependant il s'en occupe avec une attention forte, il les rend nouvelles et fécondes, parce que cette attention qui couve les idées, les pénètre, si j'ose le dire, d'une chaleur

Elém. de Littér. II.

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qui les vivifie et les fait germer, comme le soleil fait germer l'or dans les veines du rocher.

Ce qu'il y aurait de plus rare et de plus étonnant dans la nature, ce serait un homme que son génie n'abandonnerait jamais; et celui de tous les écrivains qui approche le plus de ce prodige, c'est Homère dans l'Iliade.

Si l'on demande à-présent quelle est la différence de la création du génie, et de la production du talent; l'homme éclairé, sensible, versé dans l'étude de l'art, n'a pas besoin qu'on le lui dise; et le grand nombre même des hommes cultivés est en état de le sentir. La production du talent consiste à donner la forme; et la création du génie, à donner l'être : le mérite de l'une est dans l'industrie; le mérite de l'autre est dans l'invention le talent veut être apprécié par les détails; le génie nous frappe en masse. Pour admirer le cinquième livre de l'Énéide, il faut le lire; pour admirer le second et le quatrième, il suffit de s'en souvenir, même confusément. L'homme de talent pense et dit les choses qu'une foule d'hommes aurait pensées et dites; mais il les présente avec plus d'avantage, il les choisit avec plus de goût, il les dispose avec plus d'art il les exprime avec plus de finesse ou de grâce: l'homme de génie, au contraire, a une façon de voir, de sentir, de penser, qui lui est propre. Si c'est un plan qu'il a conçu, l'ordonnance en est surprenante et ne ressemble à rien de ce

qu'on a fait avant lui. S'il dessine des caractères, leur singularité frappante, leur étonnante nouveauté, la force avec laquelle il en exprime tous les traits, la rapidité et la hardiesse dont il en trace les contours, l'ensemble et l'accord qui se rencontrent dans ses conceptions soudaines, font dire qu'il a créé des hommes ; et s'il les groupe, leurs contrastes, leurs rapports, leur action, leur réaction mutuelle, sont encore, par leur vérité rare, une sorte de création; dans les détails, il semble dérober à la nature des secrets qu'elle n'a révélés qu'à lui: il pénètre plus avant dans notre cœur que nous n'y pénétrions nous-mêmes avant qu'il nous eût éclairés; il nous fait découvrir, en nous et hors de nous, comme de nouveaux phénomènes. S'il veut agir sur la pensée et subjuguer l'entendement, il donne à ses raisons un poids, une force d'impulsion, à laquelle rien ne résiste. S'il veut agir sur l'ame, il l'attaque, il l'ébranle, il l'agite en tous sens avec tant de vigueur et de violence, il la tourmente si impérieusement, soit du frein, soit de l'aiguillon, qu'il vient à bout de la dompter. S'il peint les passions, il donne à leurs ressorts une force qui nous étonne, à leurs mouvements des retours dont le naturel nous confond; dans le moment. où nous croyons leur force et leur véhémence épuisée, son souffle y ajoute des degrés de chaleur dont le cœur humain est surpris d'être susceptible; c'est la colère, la vengeance, l'ambi

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