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Encore un mot sur le jeu muet dans les silences de l'action, partie essentielle et souvent négligée de l'imitation théâtrale. La nature a des situations et des mouvements que toute l'énergie des langues ne ferait qu'affaiblir, dans lesquels la parole retarde l'action, et rend l'expression traînante et lâche. Les peintres, dans ces situations, devraient servir de modèles aux poètes et aux comédiens. L'Agamemnon de Timanthe, le Saint Bruno en oraison de Le Sueur, le Lazare de Rembrandt, la descente de croix, du Carrache, sont des morceaux sublimes dans ce genre. Ces grands maîtres ont laissé imaginer et sentir au spectateur ce qu'ils n'auraient pu qu'énerver, s'ils avaient tenté de le rendre. Homère et Virgile avaient donné l'exemple aux peintres. Ajax rencontre Ulysse aux enfers, Didon y rencontre Énée; Ajax et Didon n'expriment leur indignation que par le silence. Il est vrai que l'indignation est une passion taciturne; mais elles ont toutes des moments où le silence est leur expression la plus énergique et la plus vraie.

Les acteurs ne manquent pas de se plaindre que les poètes ne donnent point lieu à ces silences éloquents, qu'ils veulent tout dire, et ne laissent rien à l'action : les poètes gémissent, de leur côté, de ne pouvoir se reposer sur l'intelligence et le talent de leurs acteurs, pour l'expression des réticences; et en général, les uns et les autres ont raison. Mais l'acteur qui sent vivement,

trouve encore dans l'expression du poète assez de vides à remplir.

Baron, dans le rôle l'Ulysse, était quatre minutes à parcourir en silence tous les changements qui frappaient sa vue, en entrant dans son palais. Phèdre apprend que Thésée est vivant. Racine s'est bien gardé d'occuper par des paroles le premier moment de cette situation.

Mon époux est vivant, OEnone, c'est assez.

J'ai fait l'indigne aveu d'un amour qui l'outrage :
Il vit ; je ne veux pas en savoir davantage.

C'est au silence à peindre l'horreur dont elle est saisie à cette nouvelle, et le reste de la scène n'en est que le développement.

Phèdre apprend, de la bouche de Thésée, que Hippolyte aime Aricie. Qu'il me soit permis de le dire si le poète avait pu compter sur le jeu muet de l'actrice, il aurait retranché ce monologue:

Il sort quelle nouvelle a frappé mon oreille? etc.

et n'aurait fait dire à Phèdre que ce vers, après un long silence,

Et je me chargerais du soin de le défendre!

Nos voisins sont plus hardis, et par conséquent plus grands que nous dans cette partie. On voit, sur le théâtre de Londres, Barnweldt, chargé de pesantes chaînes, se rouler avec son

ami sur le pavé de la prison, étroitement serrés l'un dans les bras de l'autre : leurs larmes, leurs sanglots, leurs embrassements sont l'expression de leur douleur.

Mais dans cette partie, comme dans toutes les autres, pour encourager et les auteurs et les acteurs à chercher les grands effets, et à risquer ce qui peut les produire, il faut un public sérieux, éclairé, sensible, et qui porte au théâtre de Cinna un autre esprit qu'à ceux d'Arlequin et de Gilles.

La manière de s'habiller au théâtre contribue plus qu'on ne pense à la vérité et à l'énergie de l'action. Voyez l'article suivant.

la

DÉCORATION. Parmi les décorations théâtrales, les unes sont de décence, et les autres de pur ornement. Les décorations de pur ornement sont arbitraires, et n'ont pour règles que le goût. On peut en puiser les principes généraux dans l'étude du dessin, de l'architecture, de la perspective, etc. Je me contenterai d'observer ici que décoration la plus capable de charmer les yeux devient triste et effrayante pour l'imagination, dès qu'elle met les acteurs en danger : ce qui devrait bannir de notre théâtre lyrique ces vols si mal exécutés, dans lesquels, à la place de Mercure ou de l'Amour, on ne voit qu'un malheureux suspendu à une corde, et dont la situation fait trembler tous ceux qu'elle ne fait pas rire.

Les décorations de décence sont une imitation de la belle nature, comme doit l'être l'action dont elles retracent le lieu. Un homme célèbre en ce genre en a donné au théâtre lyrique, qui seront long-temps gravées dans le souvenir des connaisseurs. De ce nombre était le péristyle du palais de Ninus, dans lequel, aux plus belles proportions et à la perspective la plus savante, le peintre avait ajouté un coup de génie bien digne d'être rappelé.

Après avoir employé presque toute la hauteur du théâtre à élever son premier ordre d'architecture, il avait laissé voir aux yeux la naissance d'un second ordre qui semblait se perdre dans le cintre, et que l'imagination achevait : ce qui prêtait à ce péristyle une élévation fictive, double de l'espace donné. C'est dans tous les arts un grand principe, que de laisser l'imagination en liberté; on perd toujours à lui circonscrire un espace de là vient que les idées générales, n'ayant point de limites déterminées, sont les sources les plus fécondes du sublime.

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Le théâtre de la tragédie, où les décences doivent être bien plus rigoureusement observées qu'à celui de l'Opéra, les a trop négligées dans la partie des décorations. Le poète a beau vouloir transporter les spectateurs dans le lieu de l'action; ce que les yeux voient, dément à chaque instant ce que l'imagination se peint. Cinna rend compte à Émilie de sa conjuration, dans le même

salon où va délibérer Auguste; et dans le premier acte de Brutus, deux valets de théâtre viennent enlever l'autel de Mars pour débarrasser la scène. Le manque de décorations entraîne l'impossibilité des changements, et celle-ci borne les auteurs à la plus rigoureuse unité de lieu : règle gênante, qui leur interdit un grand nombre de beaux sujets, ou les oblige à les mutiler. (Des changements heureux sont arrivés depuis ces observations.)

Il est bien étrange qu'on soit obligé d'aller chercher au théâtre de la farce italienne un modèle de décoration tragique. Il n'est pas moins vrai que la prison de Sigismond en est un qu'on aurait dû suivre. N'est-il pas ridicule que, dans les tableaux les plus vrais et les plus touchants des passions et des malheurs des hommes, on voie un captif ou un coupable avec des liens d'un fer-blanc léger et poli? Qu'on se représente Électre dans son premier monologue, traînant de véritables chaînes dont elle serait accablée: quelle différence dans l'illusion et dans l'intérêt ! Au lieu du faible artifice dont le poète s'est servi dans le comte d'Essex pour retenir ce prisonnier dans le palais de la reine, supposons que la facilité des changements de décoration lui eût permis de l'enfermer dans un cachot; quelle force le seul aspect du lieu ne donnerait-il pas au contraste de sa situation présente avec sa fortune passée ? On se plaint que nos tragédies sont

Élém. de Littér. II.

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