EPIGRAMME. Un mérite essentiel à presque tous les poèmes, c'est de ménager à l'esprit le plaisir de la surprise; et après avoir piqué sa curiosité et suspendu plus ou moins son attente, leur succès est de le laisser agréablement satisfait. Or, selon que l'objet de la curiosité est plus ou moins intéressant, l'attente peut être plus ou moins longue, et la solution plus ou moins éloignée : telle est, depuis l'épopée jusqu'à l'épigramme, la mesure commune de l'étendue que chaque poème peut avoir. Dans l'épigramme, la curiosité n'étant que de savoir où aboutira le récit d'un fait simple, ou l'énoncé d'une première idée, l'attention n'est susceptible que d'un moment de patience ainsi : l'épigramme est, de sa nature, le plus petit de tous les poèmes. Son cercle est à peu près celui que les anciens donnaient à la période, dont l'artifice était aussi de tenir l'esprit en suspens jusqu'à l'entière révolution qu'ils faisaient faire à la pensée. L'épigramme a donc, comme les grands poèmes, une espèce de noeud et une espèce de dénouement, ou du moins un avant-propos qui excite l'attention, et une solution imprévue qui décide l'incertitude; et, comme les grands poèmes, tantôt elle se dénoue sans péripétie, c'està-dire par une suite naturelle de la pensée, tantôt avec péripétie, c'est-à-dire par une révolution inattendue dans le sens. Monsieur l'abbé et monsieur son valet Sont faits égaux tous deux comme de cire. Tandis qu'au pot une goutte en demeure. (MAROT.) Voilà une épigramme qui va droit à son but. En voici une qui se replie en sens contraire : De nos rentes, pour nos péchés, Nous n'aurons qu'à changer le lieu : Et nous irons à l'Hôtel-Dieu. (CALLIÈRES.) On sent que, lorsque l'épigramme vise d'un côté et tire de l'autre, par exemple, lorsqu'elle commence par la louange et finit par la satire, le trait en est plus imprévu. Mais l'épigramme directe a une autre ruse pour déguiser son intention; c'est de prendre un air sérieux, lorsqu'elle veut être plaisante; un air simple et naïf, lorsqu'elle veut être fine ou délicate; un air de bonté, de douceur, lorsqu'elle veut être maligne ou mordante. Petits auteurs d'un fort mauvais journal, De quoi blâmer; et l'y trouvez très bien : (ROUSSEAU.) C'est le ton de modestie et de simplicité qui fait le sel de cette épigramme. Il en est de même de l'air de prud'homie et de réserve qui se montre dans celle-ci : Un doux nenni, avec un doux sourire, Est tant honnête! ille vous faut apprendre. C'est surtout par ce tour artificieux que l'épigramme diffère du madrigal, qui ne déguise rien, mais qui tout naturellement à l'air de ce qu'il est, galant, délicat, ingénieux ; et qui, lors même qu'il est fin, ne dissimule point l'intention de l'être. Le même sujet traité des deux façons va faire sentir ces nuances. Amour trouva celle qui m'est amère; Puis tout à coup il voit qu'il se mécompte, D'avoir failli honteux Dieu sait combien ! (MAROT.) C'est là, ce me semble, le sel le plus fin, le plus délicat de l'épigramme, mais sous une apparence de simplicité qui le rend plus piquant encore. Voici au contraire le tour galant et spirituel du madrigal. L'autre jour l'enfant de Cythère, Mais, sans même employer la dissimulation, l'épigramme a souvent, dans l'adresse du tour et dans la finesse du trait, le moyen de causer une surprise agréable. Marot me semble à cet égard le plus ingénieux des poètes épigrammatiques, tant par la singularité que par la variété de ses petits desseins: Anne, ma sœur, d'où me vient le souper Certes je crois, et ma foi n'est pas vaine, Voilà des modèles de la grâce la plus naïve et du naturel le plus fin; et c'est encore ce tour de finesse et de naïveté piquante qui aiguise en épigramme un madrigal, qui sans cela ne serait que galant: Qui cuideroit déguiser Isabeau D'un simple habit, 'ce seroit grand' simplesse ;. Qui fait juger toujours qu'elle est princesse. Soit en habit de chambrière ou maîtresse, Soit en n drap d'or entier ou découpé, I Soit son gent corps de toile enveloppé ; Toujours scra sa beauté maintenue; Mais il me semble (ou je suis bien trompé) Cependant l'épigramme va souvent à son but avec tant de vitesse, que le mot suit immédia |