Obrazy na stronie
PDF
ePub

qui publie dans ses Nouveaux Mélanges (1), un dessin du P. Martin. Tout en disant qu'il ignore où se trouve ce bas-relief dans la cathédrale de Chartres, ainsi que la partie d'architecture qu'il décore, il n'en discute pas moins son symbolisme. Je résumerai en quelques lignes ce qu'il développe en une longue théorie :

«Est-ce que l'empreinte babylonienne ou chaldéenne qu'on y aperçoit, dit-il, ne serait pas un souvenir d'inspirations puisées en Orient par ceux qui avaient visité la Terre Sainte? Ce qu'il nous faut, c'est la pensée qui dictait ce symbolisme.

« Le cavalier qui a mis pied à terre va s'élancer sur le lion déjà occupé à mettre en pièces un poulain, un veau peut-être, ou un chevreuil. L'homme oppose son bouclier aux terribles griffes de la bête farouche et va le percer de son esponton. L'issue n'est pas douteuse, c'est le guerrier qui l'emportera; il n'a même pas besoin de sa monture qui considère la lutte avec une certaine assurance pour son maitre.

་་

« Le lion, c'est le démon; le cheval libre, le poulain terrassé, c'est la fougue sans règle; le cheval avec le harnais et la sagesse de celui qui le monte, c'est la force disciplinée. »

Que de belles choses trouve ici le P. Cahier! Que d'intelligence il prête au cheval! Il n'oublie dans tout cela qu'une chose, la blessure faite au poulain - et encore il n'est pas bien certain que ce soit un poulain, précisément par l'esponton de celui qui est chargé de le délivrer des griffes du démon. La contradiction me parait flagrante.

Aussi, au lieu d'étudier cette représentation au point de vue symbolique comme le P. Cahier, au point de vue historique comme le chanoine Brillon, il vaut beaucoup mieux, ce me semble, l'examiner au point de vue artistique et archéologique, en le dégageant du milieu où il se trouve, absolument comme si nous venions de le rencontrer dans une fouille et qu'il nous fallût l'expliquer.

Le chapiteau mesure om,52 de hauteur; le sujet représenté est sans contredit oriental et dans les quatre êtres : cheval, homme, animal terrassé, lion, nous n'avons, au point de vue artistique, aucune dissonance à constater.

Commençons par le cheval. Il est à mi-corps et semble sortir de la muraille; le manque de hauteur a contraint l'artiste à le faire légèrement accroupi, comme celui du x1° siècle provenant de

(1) Curiosités mystérieuses, p. 192.

l'abbaye de la Règle, aujourd'hui au Musée de Limoges, que M. Ferdinand de Lasteyrie a fait connaître (1). Il mesure o",46 de hauteur et oTM,44 de longueur. Son harnachement se compose d'une selle très simple à panneaux de cuir, avec arçon et troussequin, fixée sur l'animal par une sangle double à ardillons; un étrier rond pend le long du panneau, La bride au contraire est très chargée; le frontal et les courroies sont brodés; les bossettes du mors et les oreillettes sont ornées d'une marguerite finement ciselée; au milieu du front pend un sequin. Sur le poitrail du cheval est une large bande de cuir semblable à un collier de femme, garnie de sequins fixés par une petite queue, qui de l'arçon de la selle au centre vont en grandissant et forment ainsi un ornement très intéressant. Les crins de la crinière sont disposés en bandeaux plats qui contrastent étrangement avec la frisure de la crinière du lion; l'œil, qui devrait être de profil, est cependant sculpté de face.

La tête du cheval, qui fait saillie sous la porte, supporte l'angle de l'entablement du chapiteau du côté de la nef de la cathédrale. Le guerrier qui occupe le devant du chapiteau, le centre de la scène par conséquent, a 0,60 de hauteur, parce qu'il est arcbouté. Il est vêtu d'une longue robe, ses pieds sont chaussés de bottes sans talons, garnies d'éperons à la chevalière. Il est coiffé d'un bonnet conique, en forme de mitre, d'où s'échappent en arrière de longues boucles frisées; sa barbe est longue, encadrée dans des rouleaux assez arrêtés; sa bouche, entr'ouverte par la colère; le nez est légèrement busqué; les yeux bridés, sculptés de face, comme dans les monuments égyptiens. Il est armé dans la main droite d'une lance de om,60, garnie d'un fer à quatre encoches; de la gauche il tient un bouclier long et ovale.

Aux pieds du guerrier un animal est étendu, blessé d'un coup de lance au flanc. Un lion s'élance pour l'enlever; c'est contre lui que lutte le guerrier.

Comme le cheval, qui occupe la face opposée du chapiteau, le lion est à mi-corps: il sort de derrière un arbre vu à moitié, qui a quatre branches. La tête du lion, bien que faisant pendant à celle du cheval, est cependant en grande partie sur la face principale du chapiteau; sa crinière qui fait saillie vient supporter l'angle du tailloir, du côté de la chapelle. La sculpture de cette crinière, de tout l'animal plutôt, s'éloigne absolument de tout ce que nous connaissons de cette époque. Les lions de Moissac, du

(4) Bull. des Antiquaires de France, t. XXVI, 3o p., p. 143.

Mans, ceux de la porte de la cathédrale de Lausanne sont également frisés, mais à moins petites boucles. Sa gueule ouverte, grimaçante, laisse voir deux rangées de onze dents en forme de scie, séparées par d'énormes canines très habilement réservées dans l'intérieur de la gueule. Le masque est très étudié, les sourcils très accentués, le muscle zygomatique très accusé, les moustaches très droites.

Quelle scène avons-nous donc devant les yeux? Faut-il interroger le symbolisme du P. Cahier, accepter l'opinion du chanoine Brillon? L'explication me parait beaucoup plus simple, beaucoup plus naturelle. C'est là très certainement une scène orientale, nous pourrions même préciser, une scène persane, qu'un habile sculpteur, du commencement du XII° siècle, aura copiée sur un petit coffret d'ivoire rapporté de Terre Sainte par un pèlerin, un grand seigneur, un religieux, et qui, par son étrangeté, aura séduit l'artiste. Comparons-le aux monuments qui nous restent; examinons son faire nous trouvons la scène de chasse persane, avec les inexactitudes produites par l'ignorance des mœurs et des traditions de l'Orient.

Le harnachement du cheval est bien asiatique; les sequins qui garnissent le poitrail se retrouvent sur une des pièces du jeu d'échecs de Charlemagne au Cabinet des médailles.

Pour le guerrier, la chose est plus évidente encore le bonnet est conique et non pas hémisphérique, comme dans les statues françaises du XIe siècle; ces longs cheveux bouclés, cette barbe presque carrée, rappellent les statues assyriennes; cet œil en amande et bridé, ce type sémitique que l'artiste a si exactement rendu, montrent le soin avec lequel il reproduisait son modèle. Mais en même temps, l'influence occidentale se manifeste, et je ne saurais trop faire remarquer l'économie de la robe dont les plis curvilignes et presque circulaires dans certains endroits rappellent les traditions de l'école anglo-saxonne dont le Bénédictionnal d'Ethelwood, au British Museum, pl. XIX, nous offre des spécimens si caractéristiques.

Si nous passons au lion, ceux du vase sassanide du Cabinet des médailles sont incontestablement ses parents bien proches.

Reste enfin le tronc d'arbre coupé en deux, garni de feuilles de chêne et de glands qui montre, avec plus d'évidence que tout ce que nous avons étudié, une copie orientale faite par un artiste d'Occident. Où rencontrer autre part ce demi-arbre, composé de cornets rentrant les uns dans les autres, d'où s'échappe à chaque

étage une feuille unique ou un gland pour se terminer au sommet par une petite pointe? Sans contredit c'est là le Hom persan, reproduit par un sculpteur qui a compris, à la différence de celui qui décorait la châsse de saint Althée, par exemple, à Sion, qu'il voyait bien là un arbre, quand les autres ne savaient si c'était un végétal ou un chandelier à sept branches. Peut-être même le modèle portait-il un Hom indou, à feuilles de figuier?

En tous cas, nous voici bien loin du symbolisme de l'abbé Auber qui voit dans «<le Hom des monuments occidentaux, un végétal mystérieux, représentation d'un fait génésiaque, symbole de l'entrainement au mal, dont les variantes appartiennent au sculpteur, obéissant à une idée génératrice qui n'avait rien d'obscur pour ses contemporains ».

Tout au contraire, je crois que le Hom était fort obscur pour les sculpteurs du moyen âge, et que si les aspects sous lesquels nous le trouvons en Occident sont si différents les uns des autres, c'est qu'ils ne comprenaient pas la représentation qu'ils copiaient, qu'ils l'adaptaient par conséquent à leurs propres idées et qu'en Orient même, le Hom, créé par Ormuz, le chef de tous les arbres, l'arbre de vie qui éloigne la mort, figuré sur les monuments persans, affectait lui-même dans le pays des formes conventionnelles et variées (1).

Faut-il rechercher dans les mythes persans l'explication de l'animal terrassé? Est-ce le taureau dévoré par le lion de la rampe de Tchel-Minar, représentant l'équinoxe du printemps, avec l'arbre aux nouvelles frondaisons (2)? Est-ce le prix de la lutte entre Maroudouk et le démon (3)? Je ne pense pas trouver ici plus de symbo lisme oriental qu'occidental. L'artiste français semble avoir tout simplement reproduit sans arrière-pensée une biche bien reconnaissable à ses longues oreilles, à ses sabots séparés, à ses membres épais, qu'un chasseur vient de tuer et qu'un lion veut lui ravir au moment où il s'apprête à la charger sur son cheval.

S'il nous fallait demander aux symbolistes la traduction d'une foule de sculptures du moyen âge qui rentrent dans cet ordre d'idées, grand serait, je n'en doute pas, leur embarras, en présence des éléphants de l'église d'Aulnay que M. R. de Lasteyrie a signalés (). Comment aussi présenteraient-ils l'étonnant chapiteau qui

() Lajard, Mithra, p. 48.

(*) Ibid., p. 63.

(3) Ledrain, dans la Gazette archéol., t. IV, p. 29.

(*) Gazelle archéol., 1886, p. 292.

ARCHÉOLOGIE.

32

supporte à Saint-Sernin de Toulouse la statue de saint Jacques? J'en dois la communication à M. de Laurière, toujours si prêt à obliger ses confrères en archéologie. Je ne crois pas qu'il existe dans notre pays de monument plus typique de reproduction orientale, et je suis heureux de remercier M. de Laurière qui nous permet de le soumettre à la réunion, en même temps que le chapiteau de Chartres. Il nous fait voir avec quelle exactitude, avec quelle précision ethnographique les artistes du moyen âge rendaient les types qu'ils copiaient. Ce n'est pas seulement en effet sur les draperies, sur la coiffure, sur l'ensemble du sujet lui-même qu'il faut appeler l'attention, mais précisément sur ces visages féminins à la figure grasse, au nez busqué, aux yeux bridés, grands, à fleur de tête, qui sont la caractéristique des peuples de l'Inde. Nul doute qu'ici l'ivoire qui servit de modèle ne fût hindou, tandis qu'à Chartres il était persan.

Pour me restreindre à la sculpture monumentale, je citerai encore le tympan de l'église de Marigny (1), mais l'original semble être ici une étoffe orientale: il n'y a d'ailleurs qu'une réminiscence du style asiatique. Chartres et Toulouse sont au contraire des copies serviles, agrandies, d'originaux que les types ethnographiques nous font facilement reconnaître.

C'est principalement sur ces dernières sculptures qu'il faut appeler l'attention des savants. Copiées sur de petits objets rapportés d'Asie, uniques par conséquent, il est naturel qu'on ne retrouve pas autre part de similaires, mais toutes ont une origine commune; et si les représentations occidentales que nous en avons varient dans la composition, dans le faire, dans l'exécution, elles n'en restent pas moins étroitement unies par le génie qui les a inspirées c'est ce point de départ qu'il s'agit donc de dégager.

En étudiant le chapiteau de Chartres, en le présentant uniquement au point de vue de l'art oriental, je crois avoir signalé à nos confrères un sujet digne de leur attention: j'espère aussi, par la même occasion, avoir montré avec quelle prudence il faut se servir du symbolisme.

F. DE MÉLY.

(") Bulletin monumental, t. XVIII, p. 492; t. XX,

p.

306.

« PoprzedniaDalej »