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AVERTISSEMENT

SUR

L'OE DI PE.

L'auteur compofa cette pièce à l'âge de dixneuf ans. Elle fut jouée en mil fept cent dix-huit, quarante-cinq fois de fuite. Ce fut le fieur du Frêne, célèbre acteur, de l'âge de l'auteur, qui joua le rôle d'Oedipe; Mademoiselle Defmares, très grande actrice, joua celui de Jocafte, & quitta le théatre quelque tems après. On a rétabli dans cette nouvelle édition le rôle de Philoctète, tel qu'il fut joué à la première représentation.

LET

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JE

JÉSUITE.

E vous envoye, mon cher père (*), la nouvelle édition qu'on vient de faire de la tragédie d'Oedipe. J'ai eu foin d'effacer, autant que je l'ai pû, les couleurs fades d'un amour déplacé, que j'avais mêlées malgré moi aux traits mâles & terribles que ce fujet exige.

Je veux d'abord que vous fachiez, pour ma juftification, que tout jeune que j'étais quand je fis l'Oedipe, je le compofai à peu près tel que vous le voyez aujourd'hui. J'étais plein de la lecture des anciens & de vos leçons, & je connaiffais fort peu le théatre de Paris; je travaillai à peu près comme fi j'avais été à Athènes. Je confultai monfieur Dacier, qui était du pays. Il me confeilla de mettre un choeur dans toutes les fcènes à la manière des Grecs. C'était me confeiller de me promener dans

A 4

(*) Cette lettre a été trouvée dans les papiers du père Pée après fa mort.

dans les rues de Paris avec la robe de Platon. J'eus bien de la peine feulement à obtenir que les comédiens de Paris vouluffent exécuter les choeurs, qui paraiffent trois ou quatre fois dans la piéce ; j'en eus bien davantage à faire recevoir une tragédie prefque fans amour. Les comédiennes fe moquèrent de moi, quand elles virent qu'il n'y avait point de rôle pour l'Amoureuse. On trouva la fcène de la double confidence entre Oedipe & Jocafte, tirée en partie de Sophocle, tout-à-fait infipide. En un mot, les acteurs, qui étaient dans ce tems là petits maitres & grands feigneurs, refufèrent de repréfenter l'ouvrage. J'étais extrêmement jeune, je crus qu'ils avaient raifon. Je gátai ma piéce pour leur plaire, en affadiffant par des fentimens de tendreffe un fujet qui le comporte fi peu. Quand on vit un peu d'amour, on fut moins mécontent de moi; mais on ne voulut point du tout de cette grande fcène entre Jocafte & Ocdip; on fe moqua de Sophocle & de fon imitateur. Je tins bon, je dis mes raifons, j'employai des amis enfin ce ne fut qu'à force de protection que j'obtins qu'on jouerait Oedipe. Il y avait un acteur nommé Quinault, qui dit tout haut, que pour me punir de mon opiniâtreté il falait jouer la piéce telle qu'elle était, avec cemauvais quatriéme acte tiré du Grec. On me regardait d'ailleurs comme un téméraire, d'ofer traiter un fujet où Pierre Corneille avait fi bien réuffi. On trouvait alors l'Oedipe de Corneille excellent; je le trouvais un fort mauvais ouvrage, & je n'ofais le dire. Je ne le dis enfin

qu'au

qu'au bout de douze ans, quand tout le monde eft de mon avis. Il faut fouvent bien du tems pour que juftice foit exactement rendue. On l'a faite un peu plus tôt aux deux Oedipes de monfieur de la Motte. Le reverend père de Tournemine a dû vous communiquer la petite préface dans laquelle je lui livre bataille. Monfieur de la Motte a bien de l'efprit; il eft un peu comme cette athlete Grec, qui quand il était terrailé, prouvait qu'il avait le dedus.

Je ne fuis de fon avis fur rien. Mais vous m'avez appris à faire une guerre d'honnète homme. J'écris avec tant de civilité contre lui, que je l'ai demandé lui-même pour examinateur de cette préface, où je táche de lui prouver fon tort à chaque ligne; & il a lui-même approuvé ma petite differtation polémique. Voi là comme les gens de lettres devraient fe combattre; voilà comme ils en uferaient, s'ils avaient été à votre école ; mais ils font plus mordans d'ordinaire que des avocats, & plus emportés que des Janfeniftes. Les lettres humaines font devenues très inhumaines. On injurie, on cabale, on calomnie on calomnie, on fait des couplets. Il eft plaifant, qu'il foit permis de dire aux gens par écrit ce qu'on n'oferait pas leur dire en face. Vous m'avez appris, mvimon cher père, à fuir ces baffeffes, & à favoir vivre, comme à favoir écrire.

Les mufes filles du ciel,
Sont des fœurs fans jalousie;
Elles vivent d'ambroisie,
Et non d'abfinthe & de fiel;

Et

Et quand Jupiter appelle

Leur affemblée immortelle

Aux fêtes qu'il donne aux dieux,
Il défend que le fatyre

Trouble les fons de leur lyre
Par fes fons audacieux.

Adieu, mon cher & revérend père; je fuis pour jamais à vous & aux votres, avec la tendre reconnaiffance que je vous dois, & que ceux qui ont été élevés par vous ne confervent pas toujours.

à Paris, ce 7. Janvier 1729.

PRÉ

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