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auffi bien qu'il penfe. Souvenons nous de ce précepte de Defpréaux:

Et que tout ce qu'il dit facile à retenir,

De fon ouvrage en vous laiffe un long fouvenir.

Voilà ce que n'ont point tant d'ouvrages dramatiques, que l'art d'un acteur, & la figu re & la voix d'une actrice ont fait valoir fur nos théâtres. Combien de piéces mal écrites ont eu plus de repréfentations que Cinna & Britannicus; mais on n'a jamais retenu deux vers de ces faibles poemes, au lieu qu'on fait Britannicus & Cinna par cœur. En vain le Regulus de Pradon a fait verfer des larmes par quelques fituations touchantes; l'ouvrage & tous ceux qui lui reffemblent font méprifés, tandis que leurs auteurs s'applaudiffent dans leurs préfaces

Des critiques judicieux pourraient me demander, pourquoi j'ai parlé d'amour dans une tragédie dont le titre eft JUNIUS BRUTUS? pourquoi j'ai mêlé cette paffion avec l'auftère vertu du fénat Romain, & la politique d'un ambaffadeur?

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On reproche à notre nation d'avoir amolli le théatre par trop de tendreffe ; & les Anglais méritent bien le même reproche depuis près d'un fiècle; car vous avez toujours un peu pris nos modes & nos vices. Mais me permettez-vous de vous dire mon fentiment fur cette matière ?

Vouloir de l'amour dans toutes les tragé dies me paraît un goût efféminé; l'en profcrire toujours eft une mauvaife humeur bien dérai fonnable.

Le

Le théâtre, foit tragique, foit comique, eft la peinture vivante des paffions humaines; l'ambition d'un prince eft représentée dans la tragédie; la comédie tourne en ridicule la vanité d'un bourgeois. Ici vous riez de la coquetterie & des intrigues d'une citoyenne; là vous pleurez la malheureufe paffion de Phedre; de même l'amour vous amufe dans un roman, & il vous tranfporte dans la Didon de Virgile. L'amour dans une tragédie n'eft pas plus un défaut effentiel, que dans l'Eneide ; il n'eft à reprendre que quand il est amené mal-à-propos, ou traité fans art.

Les Grecs ont rarement hazardé cette paffion fur le théâtre d'Athènes; premiérement, parce que leurs tragédies n'ayant roulé d'abord que fur des fujets terribles, l'efprit des fpectateurs était plié à ce genre de fpectacles; fecondement, parce que les femmes menaient une vie beaucoup plus retirée que les nôtres, & qu'ainfi le langage de l'amour n'étant pas comme aujourd'hui le fujet de toutes les converfations, les poëtes en étaient moins invités à traiter cette paffion, qui de toutes eft la plus difficile à repréfenter, par les ménagemens délicats qu'elle demande. Une troifiéme raifon qui me paraît affez forte, c'eft que l'on n'avait point de comédiennes; les rôles des femmes étaient joués par des hommes mafqués. Il femble que l'amour eût été ridicule dans leur bouche.

C'est tout le contraire à Londres & à Paris ; & il faut avouer que les auteurs n'auraient guère entendu leurs intérêts, ni connu leur audi,

toire, s'ils n'avaient jamais fait parler les Old fields, ou les Duclos, & les Le Couvreurs, que d'ambition & de politique.

Le mal eft que l'amour n'eft fouvent chez nos héros de théâtre que de la galanterie, & que chez les vôtres il dégénère quelquefois en débauche. Dans notre Alcibiade, piéce très-fuivie, mais faiblement écrite, & ainfi peu eftimée, on a admiré longtems ces mauvais vers que récitait d'un ton féduifant l'Esopus du dernier fiécle.

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Ah! lorfque pénétré d'un amour véritable,
Et gémiffant aux pieds d'un objet adorable,
J'ai connu dans fes yeux timides ou diftraits,
Que mes foins de fon cœur ont pû troubler la paix a
Que par l'aveu fecret d'une ardeur mutuelle,

La mienne a pris encor une force nouvelle;

Dans ces momens fi doux j'ai cent fois éprouvé
Qu'un mortel peut goûter un bonheur achevé.

Dans votre Venife fauvée, le vieux Renaud veut violer la femme de Jaffier, & elle s'en plaint en termes affez indécens, jufqu'à dire qu'il eft venu à elle un buton d., déboutonné.

Pour que l'amour foit digne du théâtre tragique, il faut qu'il foit le noeud néceffaire de Ja piéce, & non qu'il foit amené par force pour remplir le vuide de vos tragédies & des nôtres, qui font toutes trop longues; il faut que ce foit une paffion véritablement tragique, regardée comme une faibleffe, & combattuë par des remords: Il faut ou que l'amour conduife

aux malheurs & aux crimes, pour faire voir combien il eft dangereux, ou que la vertu en triomphe, pour montrer qu'il n'eft pas invincible; fans cela ce n'eft plus qu'un amour d'eglogue ou de comédie.

C'eft à vous, MYLORD, à décider fi j'ai rempli quelques-unes de ces conditions; mais que vos amis daignent furtout ne point ju ger du génie & du goût de notre nation par ce difcours, & par cette tragédie que je vous envoye. Je fuis peut-être un de ceux qui cultivent les lettres en France avec moins de fuc cès; & fi les fentimens, que je foumets ici à votre cenfure, font défapprouvés, c'est à moi feul qu'en appartient le blâme.

ACTEURS.

ACTEURS.

JUNIUS BRUTUS,

VALERIUS PUBLICOLA,

TITUS, fils de Brutus.

. TULLI E, fille de Tarquin. ALGINE, confidente de Tullie. ARONS, ambaffadeur de Porfenna.

MESSAL A, ami de Titus.

PROCULUS, tribun militaire.

ALBIN, confident d'Arons.

Sénateurs

Licteurs.

La fcène eft à Rome

confuls.

BRUTUS,

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