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furtout les Anglais ont donné des spectacles effroyables, voulant en donner de terribles; nous autres Français, auffi fcrupuleux que vous avez été téméraires, nous nous arrêtons trop, de peur de nous emporter; & quelquefois nous n'arrivons pas au tragique, dans la crainte d'en paffer les bornes.

Je fuis bien loin de propofer, que la fcène devienne un lieu de carnage, comme elle l'eft dans Shakespear, & dans fes fucceffeurs; qui n'ayant pas fon génie, n'ont imité que fes défauts; mais j'ofe croire qu'il y a des fitua tions qui ne paraiffent encor que dégoutantes & horribles aux Français, & qui bien ménagées; représentées avec art, & furtout adoucies par le charme des beaux vers, pourraient nous faire une forte de plaifir dont nous ne dou tons pas.

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Il n'eft point de ferpent ni de monftre odieux,
Qui par l'art imité ne
l'art imité ne puiffe plaire aux yeux.

Du moins que l'on me dife, pourquoi il eft permis à nos héros & à nos héroïnes de théâ tre de fe tuer, & qu'il leur est défendu de tuer perfonne? La fcène eft-elle moins enfanglantée par la mort d'Athalie qui fe poignarde pour fon amant, qu'elle ne le ferait par le meurtre de Céfar? Et fi le spectacle du fils de Caton, qui parait mort aux yeux de fon père, eft l'occafion d'un difcours admirable de ce vieux Romain; fi ce morceau a été applaudi en Angleterre & en Italie par ceux qui font les plus grands partifans de la bienféance Française; fi les fem

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mes les plus délicates n'en ont point été cho quées, pourquoi les Français ne s'y accoûtumeraient-ils pas? La nature n'eft-elle pas la même dans tous les hommes ?

Toutes ces loix, de ne point enfanglanter la fcène, de ne point faire parler plus de trois interlocuteurs, &c. font des loix qui, ce me femble, pourraient avoir quelques exceptions parmi nous, comme elles en ont eu chez les Grecs, Il n'en eft pas des règles de la bienféance, toujours un peu arbitraires, comme des règles fondamentales du théâtre, qui font les trois unités, Il y aurait de la faibleffe & de la stérilité à éten dre une action au-delà de l'efpace du tems & du lieu convenables. Demandez à quiconque aura inféré dans une piéce trop d'événemens, la rai fon de cette faute: s'il eft de bonne foi, il vous dira, qu'il n'a pas eu affez de génie pour remplir fa piéce d'un feul fait; & s'il prend deux jours & deux villes pour fon action, croyez que c'est parce qu'il n'aurait pas eu l'adreffe de la refferrer dans l'efpace de trois heu res, & dans l'enceinte d'un palais, comme l'e xige la vraisemblance. Il en eft tout autrement de celui qui hazarderait un fpectacle horrible fur le théâtre; il ne choquerait point la vraifemblance; & cette hardieffe, loin de fuppofer de la faibleffe dans l'auteur, demanderait au contraire un grand génie, pour mettre par fes vers de la véritable grandeur dans une action, qui, fans un ftyle fublime, ne ferait qu'atroce & dégoutante.

Voilà ce qu'a ofé tenter une fois notre grand

Cor

Corneille dans fa Rodogune! Il fait paraître une mère, qui en préfence de la cour & d'un ambaffadeur, veut empoifonner fon fils & fa belle-fille, après avoir tué fon autre fils de fa propre main; elle leur préfente la coupe empoifonnée, & fur leur refus & leurs foupçons, elle la boit elle-même; & meurt du poifon qu'elle leur ̈destinait. Des coups auffi terribles ne doivent pas être prodigués, & il n'appar tient pas à tout le monde d'ofer les fraper. Ces nouveautés demandent une grande circonfpec tion, & une exécution de maître. Les Anglais eux-mêmes avouent que, Shakespear, par exemple, a été le feul parmi eux qui ait pu faire évoquer & parler des ombres avec fuccès.

Within that circle none durft move but he JUS Plus une action théâtrale eft majestueufe ou effrayante, plus elle deviendrait infipide, fi elle était fouvent répétée; à-peu-près comme les détails de batailles, qui étant par eux-mê mes ce qu'il y a de plus terrible, deviennent froids & ennuyeux, à force de reparaitre fou vent dans les hiftoires. La feule pièce où Mr. Racine ait mis du fpectacle, c'eft fon chef-d'œu vre d'Athalie. On y voit un enfant fur un trône, fai nourrice & des prêtres qui l'environnent, une reine qui commande à fes foldats de le maffacrer, des Lévites armés qui accourent pour le défendre. Toute cette action est pathétique; mais fi le ftylé ne Fétait pas auffi, elle n'était que puérile.

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Plus on veut fraper les yeux par un appaR 4

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reil

reil éclatant, plus on s'impofe la néceffité de dire de grandes chofes; autrement on ne fe rait qu'un décorateur, & non un poëte tragi, que. Il y a près de trente années qu'on repréfenta la tragédie de Montefume à Paris; la fcène ouvrait par un fpectacle nouveau; c'était un palais d'un goût magnifique & barbare; Montefume paraiflait avec un habit fingulier; des efclaves armés de fléches étaient dans le fond; autour de lui étaient huit grands de fa cour, profternés le vifage contre terre: Mon tefume commençait la piéce en leur difant:

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Levez-vous, votre roi vous permet aujourd'hui
Et de l'envifager, & de parler à lui.

Ce fpectacle charma: mais voilà tout ce qu'il y eut de beau dans cette tragédie.

Pour moi, j'avoue, que ce n'a pas été fans quelque crainte que j'ai introduit fur la fcène Françaife le fénat de Rome en robes rouges, allant aux opinions. Je me fouvenais que lorfque j'introduifis autrefois dans Oedipe un choeur de Thébains, qui difait;

O mort, nous implorons ton funefte fecours;

O mort, vien nous fauver, vien terminer nos jours: le parterre, au lieu d'être frapé du pathétique qui pouvait étre en cet endroit, ne fentit d'abord que le prétendu ridicule d'avoir mis ces vers dans la bouche d'acteurs peu accoûtumés, & il fit un éclat de rire. C'eft ce qui m'a empêché dans Brutus de faire parler les fénateurs, quand Titus eft accufé devant eux, & d'aug

menter

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menter la terreur de la fituation, en exprimant l'étonnement & la douleur de ces pères de Rome, qui fans doute devraient marquer leur furprise autrement que par un jeu muet, qui même n'a pas été exécuté.

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Les Anglais donnent beaucoup plus à l'action que nous, ils parlent plus aux yeux : les Français donnent plus à l'élégance, à l'harmonie, aux charmes des vers. Il eft certain qu'il eft plus difficile de bien écrire que de mettre fur le théâtre des affatlinats, des roues, des potences, des forciers & des revenans. Auffi, la tragédie de Caton, qui fait tant d'honneur à Mr. Addiffon votre fucceffeur dans le ministère, cette tragédie, la feule bien écrite d'un bout à l'autre chez votre nation, à ce que je vous ai centendu dire à vous-même, ne doit fa grande réputation qu'à fes beaux vers, c'eft-à-dire, à des pensées fortes & vraies, exprimées en vers harmonieux. Ce font les beautés de détail qui foutiennent les ouvrages en vers, & qui les font paffer à la postérité. C'est fouvent la manière fingulière de dire des chofes communes; c'eft cet art d'embellir par la diction ce que penfent & ce que fentent tous les hommes, qui fait les grands poëtes. Il n'y arni fentimens recherchés, ni avanture romanefque dans le quatrième livre de Virgile; il eft tout naturel, & c'eft l'effort de l'efprit humain. Mr. Racine n'eft fi au-deffus des autres qui ont tous dit les mêmes chofes que lui, que parce qu'il les a mieux dites. Corneille n'eft véritablement grand, que quand il s'exprime

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