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je fentais que les termes de ma langue ne venaient plus fe préfenter à mon imagination avec la même abondance qu'auparavant; c'était comme un ruiffeau dont la fource avait été détournée; il me falut du tems & de la peine pour le faire couler dans fon premier lit. Je compris bien alors que pour réuffir dans un art, il le faut cultiver toute fa vie.

Ce qui m'effraya le plus en rentrant dans cette carrière, ce fut la févérité de notre poëfie, & l'esclavage de la rime. Je regrettais cette heureuse liberté que vous avez d'écrire vos tragédies en vers non rimés, d'allonger, & furtout d'accourcir prefque tous vos mots, de faire enjamber les vers les uns fur les autres, & de créer dans le befoin des termes nouveaux, qui font toujours adoptés chez vous, lorsqu'ils font fonores, intelligibles & néceffaires. Un poëte Anglais, difais-je, eft un homme libre, qui affervit fa langue à fon génie ; le Français eft un efclave de la rime, obligé de faire quelquefois quatre vers, pour exprimer une penfée qu'un Anglais peut rendre en une feule ligne. L'Anglais dit tout ce qu'il veut, le Français ne dit que ce qu'il peut. L'un court dans une carrière vafte, & l'autre marche avec des entraves dans un chemin gliffant & étroit.

Malgré toutes ces réflexions & toutes ces plaintes, nous ne pourrons jamais fecouer le joug de la rime; elle eft effentielle à la poëfie Française. Notre langue ne comporte point d'inverfions: nos vers ne fouffrent point d'en

jam

jambement: nos fyllabes ne peuvent produire une harmonie fenfible par leurs mefures longues ou brèves: nos céfures & un certain nombre de pieds ne fuffiraient pas pour diftinguer la profe d'avec la verfification; la rime eft donc néceffaire aux vers Français. De plus, tant de grands maîtres qui ont fait des vers rimés tels que les Corneilles, les Racines, les Defpréaux, ont tellement acoûtumé nos oreilles à cette harmonie, que nous n'en pourrions pas fupporter d'autres; & je le répète encore, quiconque voudrait fe délivrer d'un fardeau qu'a porté le grand Corneille, ferait regardé avec raison, non pas comme un génie hardi qui s'ouvre une route nouvelle, mais comme un homme très-faible qui ne peut fe foutenir dans l'ancienne carrière.

On a tenté de nous donner des tragédies en profe; mais je ne crois pas que cette entreprife puiffe déformais réuffir; qui a le plus, ne faurait fe contenter du moins. On fera toujours mal venu à dire au public, Je viens diminuer Votre plaifir. Si au milieu des tableaux de Rubens ou de Paul Veronefe, quelqu'un venait placer fes deffeins au crayon, n'aurait-il pas tort de s'égaler à ces peintres? On eft accoûtumé dans les fêtes, à des danfes & à des chants; ferait-ce affez de marcher & de parler, fous prétexte qu'on marcherait & qu'on parlerait bien, & que cela ferait plus aifé & plus naturel ?

Il y a grande apparence qu'il faudra toujours des vers fur tous les théâtres tragiques,

&

& de plus toujours des rimes fur le nôtre. C'est même à cette contrainte de la rime, & à cette févérité extrême de notre verfification, que nous devons ces excellens ouvrages que nous avons dans notre langue. Nous voulons que la rime ne coûte jamais rien aux pensées, qu'elle ne foit ni triviale ni trop recherchée ; nous exigeons rigoureusement dans un vers la même pureté, la même exactitude que dans la profe. Nous ne permettons pas la moindre licence; nous demandons qu'un auteur porte fans difcontinuer toutes ces chaînes, & cependant, qu'il paraiffe toujours libre: & nous ne reconnaiffons pour poëtes que ceux qui ont rempli toutes ces conditions.

Voilà pourquoi il eft plus aifé de faire cent vers en toute autre langue, que quatre vers en Français. L'exemple de notre abbé Regnier Defmarais, de l'académie Française, & de celle de la Crufca, en eft une preuve bien évidente. Il traduifit Anacréon en Italien avec fuccès; & fes vers Français font, à l'exception de deux ou trois quatrains, au rang des plus médiocres. Notre Ménage était dans le même cas. Combien de nos beaux efprits ont fait de très-beaux vers Latins, & n'ont pû être fupportables en leur langue!

Je fais combien de difputes j'ai effuyées fur notre verfification en Angleterre, & quels reproches me fait fouvent le favantévè que de Rochefter fur cette contrainte puérile, qu'il prétend que nous nous impofons de gayeté de cœur. Mais foyez perfuadé, MYLORD, que plus un étran

ger

ger connaîtra notre langue, & plus il fe réconciliera avec cette rime qui l'effraye d'abord. Non feulement elle eft néceffaire à notre tragédie, mais elle embellit nos comédies mêmes. Un bon mot en vers en eft retenu plus aifément: les portraits de la vie humaine feront toujours plus frapans en vers qu'en profe; & qui dit Vers en Français, dit néceffairement des vers rimés: en un mot, nous avons des comédies en profe du célèbre Molière, que l'on a été obligé de mettre en vers après fa mort, & qui ne font plus jouées que de cette manière nouvelle.

Ne pouvant, MYLORD, hazarder fur le théàtre Français des vers non rimés tels qu'ils font en ufage en Italie & en Angleterre, j'aurais du moins voulu tranfporter fur notre fcène certaines beautés de la vôtre. Il eft vrai, & je l'avoue, que le théâtre Anglais eft bien défectueux. J'ai entendu de votre bouche, que vous n'a viez pas une bonne tragédie; mais en récom. penfe, dans ces piéces fi monftrueuses, vous avez des fcènes admirables. Il a manqué juf qu'à préfent à prefque tous les auteurs tragiques de votre nation, cette pureté, cette conduite régulière, ces bienféances de l'action & du ftyle, cette élégance, & toutes ces fineffes de l'art, qui ont établi la réputation du théâtre Français depuis le grand Corneille. Mais vos piéces les plus irrégulières ont un grand mérite, c'est celui de l'action.

Nous avons en France des tragédies eftimées, qui font plutôt des converfations qu'el

les

les ne font la repréfentation d'un événement. Un auteur Italien m'écrivait dans une lettre fur les théâtres: Un Critico del noftro Paftor fido diffe che quel componimento era un riaffunto di belliffimi Madrigali, credo, fe viveffe, che direbbe delle tragedie Francefe che sono un riaffunto di belle elegie e fontuofi epitalami. J'ai bien peur que cet Italien n'ait trop raifon. Notre délicateffe exceffive nous force quelquefois à mettre en récit ce que nous voudrions expofer aux yeux. Nous craignons de hazarder fur la fcène des fpectacles nouveaux devant une nation accoutumée à tourner en ridicule tout ce qui n'eft pas d'usage.

L'endroit où l'on joue la comédie, & les abus qui s'y font gliffés, font encor une caufe de cette féchereffe qu'on peut reprocher à quelques-unes de nos piéces. Les bancs qui font fur le théâtre deftinés aux fpectateurs, rétréciffent la fcène, & rendent toute action prefque impraticable. Ce défaut eft caufe que les décorations tant recommandées par les anciens, font rarement convenables à la piéce. Il empêche furtout que les acteurs ne paffent d'un appartement dans un autre aux yeux des fpectateurs, comme les Grecs & les Romains le pratiquaient fagement, pour conferver à la fois l'unité de lieu & la vraisemblance.

Comment oferions-nous fur nos théâtres faire paraître, par exemple, l'ombre de Pompée, ou le génie de Brutus, au milieu de tant de jeunes gens qui ne regardent jamais les chofes les plus férieufes que comme l'occafion de

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