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duction d'une ode Laponne rimée, qui eft pleine de fentiment.

Les Grecs, quibus dedit ore rotundo Mufa loqui, nés fous un ciel plus heureux, & favorifés par la nature d'organes plus délicats que les autres nations, formèrent une langue dont toutes les fyllabes pouvaient, par leur longueur ou leur brièveté, exprimer les fentimens lents, ou impétueux de l'ame. De cette variété de fyllabes & d'intonations, réfultait dans leurs vers, & même auffi dans leur profe, une harmonie que les anciens Italiens fentirent, qu'ils imitèrent, & qu'aucune nation n'a pû faifir après eux. Mais foit rime, foit fyllabes cadencées, la poëfie contre laquelle Mr. de la Motte fe révolte, a été & fera toujours cultivée par tous les peuples.

Avant Hérodote l'hiftoire même ne s'écrivait qu'en vers chez les Grecs, qui avaient pris cette coutume des anciens Egyptiens, le peuple le plus fage de la terre, le mieux policé, & le plus favant. Cette coutume était très - raisonnable: car le but de l'hiftoire était de conferver à la postérité la mémoire du petit nombre de grands hommes, qui lui devaient fervir d'exemple. On ne s'était point encor avifé de donner l'hiftoire d'un couvent ou d'une petite ville, en plufieurs volumes in folio. On n'écrivait que ce qui en était digne, que ce que les hommes devaient retenir par cœur. Voilà pourquoi on fe fervait de l'harmonie des vers pour aider la mémoire. C'est pour cette raifon que les premiers philofophes, les légiflateurs, les fondateurs des religions, & les hiftoriens, étaient tous poëtes.

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I

Il femble, que la poëfie dût manquer communément, dans de pareils fujets, ou de précifion ou d'harmonie : mais depuis que Virgile a réuni ces deux grands mérites qui paraiffent fi incompatibles, depuis que MM. Despréaux & Racine ont écrit comme Virgile, un homme qui les a lus tous trois, & qui fait que tous trois font traduits dans prefque toutes les langues de l'Europe, peut-il avilir à ce point un talent qui lui a fait tant d'honneur à lui-même? Je placerai nos Defpréaux & nos Racines à côté de Virgile pour le mérite de la verfification; parce que fi l'auteur de l'Eneïde était né à Paris, il aurait rimé comme eux; & fi ces deux Français avaient vécu du tems d'Augufte, ils auraient fait le même ufage que Virgile de la mesure des vers Latins. Quand donc Mr. de la Motte appelle la verfification un travail méchanique ridicule, c'eft charger de ce ridicule, non feulement tous nos grands poetes, mais tous ceux de l'antiquité. Virgile & Horace fe font affervis à un travail auffi méchanique que nos auteurs. Un arrangement heureux de fpondées & de dactyles, était bien auffi pénible que nos rimes & nos hémiftiches. Il faut que ce travail fût bien laborieux, puifque l'Eneide après onze années n'était pas encor dans fa perfection.

Mr. de la Motte prétend, qu'au moins une fcène de tragédie mife en profe ne perd rien de fa grace ni de fa force. Pour le prouver il tourne en profe la première fcène de Mithridate, & perfonne ne peut la lire. Il ne fonge pas

que

que le grand mérite des vers eft qu'ils foient auffi naturels, auffi corrects que la profe. C'est cette extrême difficulté furmontée qui charme les connaiffeurs. Réduifez les vers en profe, il n'y a plus ni mérite ni plaifir.

Mais, dit-il, nos voifins ne riment point dans leurs tragédies. Cela eft vrai; mais ces piéces font en vers, parce qu'il faut de l'harmonie à tous les peuples de la terre. Il ne s'agit donc plus que de favoir, fi nos vers doivent être rimés ou non. MM. Corneille & Racine ont employé la rime; craignons que fi nous voulons ouvrir une autre carriére, ce ne foit plutôt par l'impuiffance de marcher dans celle de ces grands hommes, que par le defir de la nouveauté. Les Italiens & les Anglais peuvent fe paffer de rime, parce que leur langue a des inverfions, & leur poëfie mille libertés qui nous manquent. Chaque langue a fon génie déterminé par la nature de la conftruction de fes phrafes, par la fréquence de fes voyelles ou de fes confonnes, fes inverfions, fes verbes auxiliajres, &c. Le génie de notre langue eft la clarté & l'élégance; nous ne permettons nulle licence à notre poëfie, qui doit marcher comme notre profe dans l'ordre précis de nos idées. Nous avons donc un befoin effentiel du retour des mêmes fons, pour que notre poéfie ne foit pas confondue avec la profe. Tout le monde connait ces vers:

Où me cacher? Fuyons dans la nuit infernale.
Mais que dis-je ? Mon père y tient l'urne fatale:

Le fort, dit-on, l'a mise en fes févères mains;
Minos juge aux enfers tous les pâles humains.
Mettez à la place :

Où me cacher ? Fuyons dans la nuit infernale.
Mais que dis-je? Mon père y tient l'urne funefte;
Le fort, dit-on, l'a mise en fes févères mains;
Minos juge aux enfers tous les pâles mortels..

Quelque poëtique que foit ce morceau, fera-t-il le même plaifir, dépouillé de l'agrément de la rime? Les Anglais & les Italiens diraient également, après les Grecs & les Romains, les pâles humains Minos aux enfers juge, & enjamberaient avec grace fur l'autre vers. La manière mème de réciter des vers en Italien & en Anglais fait fentir des fyllabes longues & brèves, qui foutiennent encor l'harmonie fans befoin de rimes. Nous qui n'avons aucun de ces avantages, pourquoi voudrions-nous abandonner ceux que la nature de notre langue nous

laiffe?

Mr. de la Motte compare nos poëtes, c'est-àdire, nos Corneilles, nos Racines, nos Despréaux, à des faifeurs d'acroftiches, & à un charlatan, qui fait paffer des grains de millet par le trou d'une aiguille; & ajoute, que toutes ces puérilités n'ont d'autre mérite que celui de la difficulté furmontée. J'avoue, que les mauvais vers font à peu près dans ce cas. Ils ne diffèrent de la mauvaise profe que par la rime, & la rime feule ne fait ni le mérite du poëte

ni le plaifir du lecteur. Ce ne font point feulement des dactyles & des fpondées qui plaifent dans Virgile & dans Homère. Ce qui enchante toute la terre, c'est l'harmonie charmante qui naît de cette mefure difficile. Quiconque fe borne à vaincre une difficulté pour le mérite feul de la vaincre, eft un fou; mais celui qui tire du fond de ces obftacles mêmes des beautés qui plaisent à tout le monde, est un homme très-fage & prefque unique. Il est trèsdifficile de faire de beaux tableaux, de belles ftatues, de bonne mufique, de bons vers. Auffi les noms des hommes fupérieurs qui ont vaincu ces obftacles, dureront-ils beaucoup plus peut-être que les royaumes où ils font nés.

Je pourrais prendre encore la liberté de difputer avec Mr. de la Motte fur quelques autres points; mais ce ferait peut-être marquer un def fein de l'attaquer perfonnellement, & faire foupçonner une malignité dont je fuis auffi éloigné que de fes fentimens. J'aime beaucoup mieux profiter des réflexions judicieufes & fines qu'il a répandues dans fon livre, que m'engager à en refuter quelques-unes qui me paraiffent moins vraies que les autres. C'eft affez pour moi d'a voir taché de défendre un art que j'aime, & qu'il eût dû défendre lui-même.

Je dirai feulement un mot, (fi Mr. de la Faye veut bien me le permettre) à l'occafion de l'ode en faveur de l'harmonie, dans laquelle il combat en beaux vers le fyftême de Mr. de la Motte, & à laquelle ce dernier n'a répondu qu'en profe. Voici une ftance dans laquelle Mr. de la

Fay

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