Obrazy na stronie
PDF
ePub

J

PRÉFAC E.

E ne donne cette édition qu'en tremblant. Tant d'ouvrages, que j'ai vûs applaudis au théâtre & méprifés à la lecture, me font craindre pour le mien le même fort. Une ou deux fituations, l'art des acteurs, la docilité que j'ai fait paraître, ont pû m'attirer des fuffrages aux repréfentations; mais il faut un autre mérite pour foutenir le grand jour de l'impreffion. C'eft peu d'une conduite régulière. Ce ferait peu même d'intéreffer. Tout ouvrage en vers, quelqué beau qu'il foit d'ailleurs, fera néceffairement ennuyeux, fi tous les vers ne font pas pleins de force & d'harmonie, fi on n'y trouve pas une élégance continue, fi la piéce n'a point ce charme inexprimable de la poëfie que le génie feul peut donner, où l'esprit ne faurait jamais atteindre, & fur lequel on raifonne fi mal & fi inutilement depuis la mort de Mr. Defpréaux.

C'eft une erreur bien groffière de s'imaginer, que les vers foient la dernière partie d'uhe piéce de théâtre, & celle qui doit le moins coûter. Mr. Racine, c'est-à-dire, l'homme de la terre, qui après Virgile a le mieux connu l'art dés vers, ne penfait pas ainfi. Deux années entières lui fuffirent à peine pour écrire fa PHEDRE. Pradon fe vante d'avoir compofé la fienne en moins de trois mois. Comme le K 4

fuccè

[ocr errors]

fuccès paffager des représentations d'une tragédie ne dépend point du ftyle, mais des acteurs & des fituations, il arriva que les deux Phedres femblèrent d'abord avoir une égale deltinée; mais l'impreffion régla bientôt le rang de l'une & de l'autre. Pradon, felón la coutume des mauvais auteurs, eut beau faire une préface infolente, dans laquelle il traitait fes critiques de malhonnetes gens; fa piéce, tant vantée par fa cabale & par lui, tomba dans le mépris qu'elle mérite, & fans la Phedre de Mr. Racine, on ignorerait aujourd'hui que Pradon en a compofé une.

Mais d'où vient enfin cette distance fi prodigieufe entre ces deux ouvrages? La conduite en eft à peu près la même. Phedre eft mourante dans l'une & dans l'autre. Thésée eft abfent dans les premiers actes: il paffe pour avoir été aux enfers avec Pyrithoüs: Hippolite fon fils veut quitter Trézène; il veut fuïr Aricie qu'il aime. Il déclare fa paffion à Aricie, & reçoit avec horreur celle de Phèdre: il meurt du même genre de mort, & fon gouverneur fait le récit de fa mort. Il y a plus. Les perfonnages des deux piéces fe trouvant dans les mêmes fituations, difent prefque les mêmes choses; mais c'est là qu'on diftingue le grand homme, & le mauvais poëte. C'eft lorfque Racine & Pradon penfent de même, qu'ils font le plus différens. En voici un exemple bien fenfible, dans la déclaration d'Hippolite à Aricie. Monfieur Racine fait ainfi parler Hippolite.

Moi

Moi qui contre l'amour fièrement revolté,
Aux fers de fes captifs ai longtems infulté,
Qui des faibles mortels déplorant les naufrages
Penfais toujours du bord contempler les orages,
Affervi maintenant fous la commune loi,

[ocr errors]

Par quel trouble me vois - je emporté loin de moi ?
Un moment a vaincu mon audace imprudente;
Cette ame fi fuperbe eft enfin dépendante.
Depuis près de fix mois honteux, desespéré,
Portant partout le trait dont je fuis déchiré,
Contre vous, contre moi, vainement je m'éprouve;
Préfente je vous fuis, abfente je vous trouve.
Dans le fond des forêts votre image me fuit;
La lumière du jour, les ombres de la nuit,
Tout retrace à mes yeux les charmes que j'évite;
Tout vous livre à l'envi le rebelle Hippolite.
Moi-même pour tout fruit de mes foins fuperflus,
Maintenant je me cherche, & ne me trouve plus.
Mon arc, mes javelots, mon char, tout m'importune.
Je ne me fouviens plus des leçons de Neptune.
Mes feuls gémiffemens font retentir les bois,
Et mes courfiers oififs ont oublié ma voix.

Voici comment Hippolite s'exprime dans Pradon.

Affez & trop longtems, d'une bouche profane,
Je méprifai l'amour, & j'adorai Diane;
Solitaire, farouche, on me voyait toujours
Chaffer dans nos forêts les lions & les ours.

Mais un foin plus preffant m'occupe & m'embarrasse;
Depuis que je vous vois j'abandonne la chaffe ;

Elle

Elle fit autrefois mes plaifirs les plus doux,
Et quand j'y vai, ce n'est que pour penfer à vous.

On ne faurait lire ces deux piéces de comparaison, fans admirer l'une & fans rire de l'autre. C'est pourtant dans toutes les deux le même fonds de fentimens & de penfées; car quand il s'agit de faire parler les paffions, tous les hommes ont prefque les mêmes idées; mais la façon de les exprimer diftingue l'homme d'efprit d'avec celui qui n'en a point, l'homme de génie d'avec celui qui n'a que de l'efprit, & le poëte d'avec celui qui veut l'être.

Pour parvenir à écrire comme Mr. Racine, il faudrait avoir fon génie, & polir autant que lui fes ouvrages. Quelle défiance ne dois-je donc point avoir, moi qui né avec des talens fi faibles, & accablé par des maladies continuelles, n'ai ni le don de bien imaginer, ni la liberté de corriger par un travail affidu les défauts de mes ouvrages? Je fens avec déplaifir toutes les fautes qui font dans la contexture de cette piéce, auffi-bien que dans la diction. J'en aurais corrigé quelques-unes, fi j'avais pû retarder cette édition; mais j'en aurais encor laiffé beaucoup. Dans tous les arts il y a un terme, par-delà lequel on ne peut plus avancer. On eft refferré dans les bornes de fon talent; on voit la perfection au-delà de foi, & on fait des efforts impuiffans pour y atteindre.

Je ne ferai point une critique détaillée de cette piéce les lecteurs la feront affez fans

moi. Mais je crois qu'il eft néceffaire que je parle ici d'une critique générale qu'on a faite fur le choix du fujet de Mariamne. Comme le génie des Français eft de faifir vivement le côté ridicule des chofes les plus férieufes, on difait que le fujet de Mariamne n'était autre chofe qu'un vieux mari amoureux & brutal, à qui fa femme refuse avec aigreur le devoir conjugal; & on ajoûtait, qu'une querelle de ménage ne pouvait jamais faire une tragé die. Je fupplie qu'on faffe avec moi quelques réflexions fur ce préjugé.

Les piéces tragiques font fondées ou fur les intérêts de toute une nation, ou fur les inté rêts particuliers de quelques princes. De ce pre mier genre font l'Iphigénie en Aulide, où la Grèce affemblée demande le fang du fils d'Agamemnon: les Horaces, où trois combattans ont entre les mains le fort de Rome: l'Oedipe où le falut des Thébains dépend de la découverte du meurtrier de Laius. Du fecond genre font Britannicus, Phèdre, Mithridate &c.

[ocr errors]

Dans ces trois dernières tout l'intérêt eft renfermé dans la famille du héros de la piéce: Tout roule fur des paffions que des bourgeois reffentent comme les princes; & l'intrigue de ces ouvrages eft auffi propre à la comédie qu'à la tragédie. Otez les noms, Mithridate n'eft qu'un vieillard amoureux d'une jeune fille fes deux fils en font amoureux auffi; & il se fert d'une rufe affez baffe pour découvrir celui des deux qui eft aimé. Phèdre eft une belle-mère, qui enhardie par une intrigante, fait des propofitions

à

« PoprzedniaDalej »