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M'en croirez-vous? Laffé de fes trompeurs attraits, Au lieu de l'enlever, Seigneur, je la fuirais.

Le fcrupule lui prit, & il ôta la rime fuirais, qui me paraît (à ne confulter que l'oreille) beaucoup plus jufte que celle de jamais, qu'il lui fubftitua.

La bizarrerie de l'ufage, ou plutôt des hommes qui l'établiffent, eft étrange fur ce fujet comme fur bien d'autres. On permet que le mot abhorre, qui a deux r, rime avec encore, qui n'en a qu'une. Par la même raifon, tonnerre & terre devraient rimer avec père & mère : cependant on ne le fouffre pas, & perfonne ne réclame contre cette injustice.

Il me paraît que la poefie Française y gagnerait beaucoup, fi on voulait fecouer le joug de cet ufage déraisonnable & tyrannique. Donner aux auteurs de nouvelles rimes, ce ferait leur donner de nouvelles penfées; car l'affujettiffement à la rime fait que fouvent on ne trouve dans la langue qu'un feul mot qui puiffe finir un vers: on ne dit prefque jamais ce qu'on voulait dire; on ne peut fe fervir du mot propre; on eft obligé de chercher une pensée pour la rime, parce qu'on ne peut trouver de rime pour exprimer ce qu'on penfe. C'est à cet ef clavage qu'il faut imputer plufieurs impropriétés qu'on eft choqué de rencontrer dans nos poëtes les plus exacts. Les auteurs fentent encor mieux que les lecteurs la dureté de cette contrainte, & ils n'ofent s'en affranchir.

Pour moi, dont l'exemple ne tire point à

con

conféquence, j'ai tâché de regagner un peu de liberté; & fi la poefie occupe encor mon loisir," je préférerai toujours les chofes aux mots, & la pensée à la rime.

LETTRE

VI.

Qui contient une differtation fur les chœurs.

M

Onfieur, il ne me refte plus qu'à parler du chœur que j'introduis dans ma piéce. J'en ai fait un perfonnage qui paraît à fon rang comme les autres acteurs, & qui fe montre quelquefois fans parler, feulement pour jetter plus d'intérêt dans la fcène, & pour ajouter plus de pompe au fpectacle.

Comme on croit d'ordinaire que la route qu'on a tenuë était la feule qu'on devait prendre, je m'imagine que la maniére dont j'ai hazardé les chœurs, eft la feule qui pouvait réuffir parmi

nous.

Chez les anciens, le choeur rempliffait l'intervalle des actes, & paraiffait toujours fur la fcène. Il y avait à cela plus d'un inconvénient; car ou il parloit dans les entr'actes de ce qui s'était paffé dans les actes précédens, & c'était une répétition fatigante; ou il prévenait ce qui devait arriver dans les actes fuivans, & c'était une annonce qui pouvait dérober le plaifir de la furprise; ou enfin il était étranger au fujet, & par conféquent il devait ennuyer.

La

La préfence continuelle du chœur dans la tragédie, me paraît encor plus impraticable: l'intrigue d'une piéce intéreffante exige d'ordinaire que les principaux acteurs ayent des fecrets à fe confier. Eh! le moyen de dire fon fecret à tout un peuple? C'eft une chofe plaifante de voir Phèdre dans Euripide avouer à une troupe de femmes un amour incestueux, qu'elle doit craindre de s'avouer à elle-même. On demandera peut-être comment les anciens pouvaient conferver fi fcrupuleufement un ufage fi fujet au ridicule; c'eft qu'ils étaient perfuadés que le chœur était la bafe & le fondement de la tragédie. Voilà bien les hommes, qui pren nent prefque toujours l'origine d'une chofe pour l'efence de la chofe même. Les anciens favaient que ce fpectacle avait commencé par une troupe de payfans yvres qui chantaient les louanges de Bacchus, & ils voulaient que le théâtre fût toujours rempli d'une troupe d'acteurs, qui en chantant les louanges des Dieux, rappellaffent l'idée que le peuple avait de l'origine de la tragédie. Long-tems même le poëme dramatique ne fut qu'un fimple choeur, & les perfonnages qu'on y ajoûta, ne furent regardés que comme des épisodes; & il y a encor aujourd'hui des favans qui ont le courage d'affurer que nous n'avons aucune idée de la véritable

tragédie, depuis que nous avons banni les choeurs: c'eft comme fi, dans une même piéce, on voulait que nous miffions Paris, Londres & Madrid fur le théâtre, parce que nos pères en ufaient ainsi, lorfque la comédie fut établie en France.

M.

M. Racine qui a introduit des chœurs dans Athalie & dans Efther, s'y eft pris avec plus de précaution que les Grecs; il ne les a guères fait paraitre que dans les entr'actes; encor a-t-il eu bien de la peine à le faire avec la vraisemblance qu'exige toujours l'art du théâtre.

A quel propos faire chanter une troupe de Juives, lorfqu'Efther a raconté fes avantures à Elife? Il faut néceffairement, pour amener cette mufique, qu'Efther leur ordonne de lui chanter quelque air.

Mes filles, chantez nous quelqu'un de ces cantiques....

Je ne parle pas du bizarre affortiment du chant & de la déclamation dans une même fcène : mais du moins il faut avouer que des moralités mifes en mufique doivent paraître bien. froides, après ces dialogues pleins de paffion qui font le caractère de la tragédie. Un chœur ferait bien mal venu, après la déclaration de Phèdre, ou après la converfation de Sévère & de Pauline.

Je croirai donc toujours, jufqu'à ce que l'é vénement me détrompe, qu'on ne peut hazarder le chœur dans une tragédie, qu'avec la précaution de l'introduire à fon rang, & feulement lorsqu'il eft néceffaire pour l'ornement de la fcène encor n'y a-t-il que très-peu de fujets où cette nouveauté puiffe être reçue. Le choeur ferait abfolument déplacé dans Bajazet, dans Mithridate, dans Britannicus, & généralement dans toutes les piéces dont l'intrigue n'eft fondée que fur les intérêts de quelques par

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ticuliers; il ne peut convenir qu'à des piéces où il s'agit du falut de tout un peuple.

Les Thébains font les premiers intéreffés dans le fujet de ma tragédie; c'eft de leur mort ou de leur vie dont il s'agit, & il ne paraît pas hors des bienféances de faire paraître quelquefois fur la fcène ceux qui ont le plus d'intérêt de s'y trouver.

LETTRE VII.

A Poccafion de plufieurs critiques qu'on a faites

M

ďŒDIPE.

Onfieur, on vient de me montrer une critique de mon Edipe, qui, je crois, fera imprimée avant que cette feconde édition puiffe paraître. J'ignore quel eft l'auteur de cet ouvrage. Je fuis faché qu'il me prive du plaifir de le remercier des éloges qu'il me donne avec bonté, & des critiques qu'il fait de mes fautes avec autant de difcernement que de politeffe.

J'avais déja reconnu, dans l'examen que j'ai fait de ma tragédie, une bonne partie des défauts que l'obfervateur reléve; mais je me fuis aperçu qu'un auteur s'épargne touiours, quand il fe critique lui-même, & que le cenfeur veille, lorfque l'auteur s'endort. Celui qui me critique a vû fans doute mes fautes d'un œil Théatre. Tom. I.

K

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