Obrazy na stronie
PDF
ePub

teur pardonne tout, hors la longueur; & lorfqu'il eft une fois ému, il examine rarement s'il a raifon de l'être.

A l'égard de l'amour de Jocafte & de Philoctète, j'ofe encor dire que c'eft un défaut nécellaire; le fujet ne me fournifait rien par luimème pour remplir les trois premiers actes; à peine même avais-je de la matiére pour les deux derniers. Ceux qui connaissent le théatre, c'està-dire ceux qui fentent les difficultés de la compofition auffi-bien que les fautes, conviendront de ce que je dis. Il faut toujours donner des paffions aux principaux perfonnages. Eh! quel rôle infipide aurait joué Jocafte, fi elle n'avait eu du moins le fouvenir d'un amour légitime, & fi elle n'avait craint pour les jours d'un homme qu'elle avait autrefois aimé.

Il eft furprenant que Philoctète aime encor Jocafte, après une fi longue abfence: il reffemble affez aux chevaliers errans, dont la profef fion était d'être toujours fidèles à leurs maîtref fes. Mais je ne puis être de l'avis de ceux qui trouvent Jocafte trop ȧgée pour faire naître encor des paffions; elle a pû être mariée fi jeune, & il est si souvent répété dans la piéce qu'Edipe eft dans une grande jeuneffe, que fans trop preffer les tems, il eft aifé de voir qu'elle n'a pas plus de trente-cinq ans. Les femmes feraient bien malheureufes, fi on n'infpirait plus de fentiment à cet age.

Je veux que Jocafte ait plus de foixante ans dans Sophocle & dans Corneille. La conftruction de leur fable n'est pas une règle pour la mienne.

Je

Je ne fuis pas obligé d'adopter leurs fictions; & s'il leur a été permis de faire revivre dans plufieurs de leurs piéces des perfonnes mortes depuis longtems, & d'en faire mourir d'autres qui étaient encor vivantes, on doit bien me paffer d'ôter à Jocafte quelques années.

Mais je m'aperçois que je fais l'apologie de ma piéce, au lieu de la critique que j'en avais promife. Revenons vite à la cenfure.

Le troifiéme acte n'eft point fini; on ne fait pourquoi les acteurs fortent de la fcène. Edipe dit à Jocafte:

Suivez mes pas, rentrons; il faut que j'éclairciffe
Un foupçon que je forme avec trop de justice.

Suivez moi,

Et venez diffiper ou combler mon effroi.

Mais il n'y a pas de raifon pour éclaircir fon doute plutôt derrière le théâtre que fur la fcène: auffi Edipe après avoir dit à Jocafte de le fuivre, revient avec elle le moment d'après, & il n'y a nulle diftinction entre le troifiéme & le quatriéme acte, que le coup d'archet qui les fépare.

La premiére fcène du quatriéme acte eft celle qui a le plus réuffi: mais je ne me reproche pas moins d'avoir fait dire dans cette fcène à Jocafte & à Edipe tout ce qu'ils avaient dû s'apprendre depuis long-tems. L'intrigue n'eft fondée que fur une ignorance bien peu vraifemblable. J'ai été obligé de recourir à un miracle pour couvrir ce défaut du fujet. Je mets dans la bouche d'Edipe:

Enfin

Enfin je me fouviens qu'aux chams de la Phocide, (Et je ne conçois pas par quel enchantement J'oubliais jufqu'ici ce grand événement;

La main des Dieux fur moi fi longtems fufpendue, Semble ôter le bandeau qu'ils mettaient fur ma vûe) Dans un chemin étroit je trouvai deux guerriers, &c.

Il eft manifefte que c'était au premier acte qu'Edipe devait raconter cette avanture de la Phocide; car dès qu'il apprend par la bouche du grand prêtre que les Dieux demandent la punition du meurtrier de Laïus, fon devoir eft de s'informer fcrupuleufement & fans délai de toutes les circonftances de ce meurtre. On doit lui répondre que Laïus a été tué en Phocide, dans un chemin étroit, par deux étrangers; & lui qui fait que dans ce tems-là même il s'eft battu contre deux étrangers en Phocide, doit foupçonner dès ce moment que Laïus a été tué de fa main. Il eft trifte d'être obligé, pour cacher cette faute, de fuppofer que la vengeances des Dieux ôte dans un tems la mémoire à Edipe, & la lui rend dans un autre.

La fcène fuivante d'Edipe & de Phorbas me parait bien moins intéreffante chez moi que dans Corneille. Edipe, dans ma piéce, eft déja inftruit de fon malheur, avant que Phorbas achéve de l'en perfuader. Phorbas ne laiffe l'efprit du fpectateur dans aucune incertitude, il ne lui infpire aucune furprife, & ainfi il ne doit point l'intéreffer au contraire, dans Corneille, Edipe, loin de fe douter d'être le meurtrier de Laius, croit en être le vengeur, & il fe

con

convainc lui-même en voulant convaincre Phorbas. Cet artifice de Corneille ferait admirable, fi Edipe avait quelque lieu de croire que Phorbas eft coupable, & fi le noeud de la piéce n'était pas fondé fur un menfonge puéril.

C'est un conte

Dont Phorbas, au retour, voulut cacher fa honte.

Je ne poufferai pas plus loin la critique de mon ouvrage; il me femble que j'en ai reconnu les défauts les plus importans. On ne doit pas en exiger davantage d'un auteur, & peutêtre un cenfeur ne m'aurait-il pas plus maltraité. Si on me demande pourquoi je n'ai pas corrigé ce que je condamne, je répondrai qu'il y a fouvent dans un ouvrage des défauts qu'on eft obligé de laiffer malgré foi; & d'ailleurs il y a peut-être autant d'honneur à avouer fes fau tes qu'à les corriger. J'ajoûterai encore que j'en ai ôté autant qu'il en refte. Chaque repréfentation de mon dipe était pour moi un examen févère, où je recueillais les fuffrages & les cenfures du public, & j'étudiais fon goût pour former le mien. Il faut que j'avoue que monfeigneur le prince de Conti eft celui qui m'a fait les critiques les plus judicieufes & les plus fines. S'il n'était qu'un particulier, je me contenterais d'admirer fon difcernement mais puifqu'il eft élevé au-deffus des autres par fon rang autant que par fon efprit, j'ofe ici le fupplier d'accorder fa protection aux belles-lettres dont il a tant de connaiffance.

J'oubliais de dire que j'ai pris deux vers dans l'@dipe

l'Edipe de Corneille. L'un eft au premier acte. Ce monfire à voix humaine, aigle, femme & lion.

L'autre eft au dernier acte. C'eft une traduction de Sénèque Nec vivis miftus, nec fepultis. Et le fort qui l'accable,

Des morts & des vivans semble le féparer.

Je n'ai point fait fcrupule de voler ces deux vers, parce qu'ayant précisément la même chofe à dire que Corneille, il m'était impoffible de l'exprimer mieux, & j'ai mieux aimé donner deux bons vers de lui, que d'en donner deux mauvais de moi.

Il me reste à parler de quelques rimes que j'ai hazardées dans ma tragédie. J'ai fait rimer frain à rien; héros à tombeaux; contagion à poifon, &c. Je ne défends point ces rimes, parce que je les ai employées mais je ne m'en fuis fervi que parce que je les ai crues bonnes. Je ne puis fouffrir qu'on facrifie à la richeffe de la rime toutes les autres beautés de la poéfie, & qu'on cherche plutôt à plaire à l'oreille qu'au cœur & à l'efprit. On pouffe même la tyrannie jufqu'à exiger qu'on rime pour les yeux encor plus que pour les oreilles, je ferais, j'aimerais, &c. ne fe prononçent point autrement que traits & attraits: cependant on prétend que ces mots ne riment point enfemble, parce qu'un mauvais ufage veut qu'on les écrive différemment. Mr. Racine avait mis dans fon Andromaque :

M'en

« PoprzedniaDalej »