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de fa vie, en ait affez pour ne point dire des injures atroces à sa mère.

Pour Jocalte, dont le rôle devrait être intéreffant, puifqu'elle partage tous les malheurs d'Edipe, elle n'en eft pas même le témoin; elle ne paraît point au cinquiéme acte, lorfqu'Edipe apprend qu'il eft fon fils: en un mot, c'est un perfonnage abfolument inutile, qui ne fert qu'à raifonner avec Théfée, & à excufer les infolences de fa fille, qui agit, dit-elle,

En amante à bon titre, en princesse avisée.

Finiffons par examiner le rôle d'Edipe, & avec lui la contexture du poëme.

Il commence par vouloir marier une de fes filles, avant que de s'attendrir fur les malheurs des Thébains; bien plus condamnable en cela que Théfée, qui n'étant point chargé comme lui du falut de tout ce peuple, peut fans crime écouter fa paffion.

Cependant comme il falait bien dire au premier acte quelque chofe du fujet de la piéce, on en touche un mot dans la cinquiéme fcène. Edipe foupçonne que les Dieux font irrités contre les Thébains, parce que Jocafte avait autrefois fait expofer fon fils, & trompé par-là les oracles des Dieux, qui prédifaient que ce fils tuerait fon père & épouferait fa mère.

Il me femble qu'il doit croire plutôt que les Dieux font fatisfaits que Jocafte ait étouffé un monftre au berceau; & vrai-femblablement ils n'ont prédit les crimes de ce fils, qu'afin qu'on l'empêchât de les commettre.

Jocafte

Jocafte foupçonne, avec auffi peu de fondement, que les Dieux puniffent les Thébains de n'avoir pas vengé la mort de Laïus; elle prétend qu'on n'a jamais pû venger cette mort. Commert donc peut-elle croire que les Dieux la puniffent de n'avoir pas fait l'impoffible?

Avec moins de fondement encor Edipe ré

pond :

Pourrons-nous en punir des brigands inconnus,
Que peut-être jamais en ces lieux on n'a vûs?

Si vous m'avez dit vrai, peut-être ai-je moi-même
Sur trois de ces brigands vengé le diadême.

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Au lieu même, au tems même, attaqué feul par trois; J'en laiffai deux fans vie, & mis l'autre aux abois. Edipe n'a aucune raifon de croire que ces trois voyageurs fuffent des brigands, puifqu'au quatriéme acte, lorfque Phorbas paraît devant lui, il lui dit :

Et tu fus un des trois que je fus arrêter,
Dans ce paffage étroit qu'il falut disputer?

S'il les a arrêtés lui-même, & s'il ne les a combattus que parce qu'ils ne voulaient pas lui céder le pas, il n'a point dû les prendre pour des voleurs, qui font ordinairement très-peu de cas des cérémonies, .& qui fongent plutôt à détrouffer les gens, qu'à leur difputer le haut du pavé.

Mais il me femble qu'il y a dans cet endroit une faute encor plus grande. Edipe avoue à Jocafte qu'il s'eft battu contre trois inconnus

au

que

au tems même & au lieu même où Laïus a été tué. Jocafte fait que Laïus n'avait avec lui deux compagnons de voyage. Ne devait - elle donc pas foupçonner que Laius eft peut-être mort de la main d'Edipe? Cependant elle ne fait nulle attention à cet aveu; & de peur que la piéce ne finiffe au premier acte, elle ferme les yeux fur les lumières qu'Edipe lui donne, & jufqu'à la fin du quatriéme acte, il n'eft pas dit un mot de la mort de Laius, qui pourtant eft le fujet de la piéce. Les amours de Théfée & de Dircé occupent toute la fcène.

C'est au quatriéme acte qu'dipe en voyant Phorbas, s'écrie:

C'est un de mes brigands à la mort échapé,

Madame, & vous pouvez lui choifir des fupplices : S'il n'a tué Laïus, il fut un des complices. Pourquoi prendre Phorbas pour un brigand? & pourquoi affirmer avec tant de certitude qu'il eft complice de la mort de Laius? Il me paraît que l'Edipe de Corneille accufe Phorbas avec autant de légéreté que l'Edipe de Sophocle accufe Créon.

Je ne parle point de l'acte gigantefque d'Œdipe qui tue trois hommes tout feul dans Corneille, & qui en tue fept dans Sophocle. Mais il est bien étrange qu'Edipe fe fouvienne, après feize ans, de tous les traits de ces trois hommes; que l'un avait le poil noir, la mine affez farouche, le front cicatrifé, & le regard un peu louche; que l'autre avait le teint frais & l'eil perçant, qu'il était chauve fur le devant,

mêlé

mêlé fur le derrière, & pour rendre la chose encor moins vraisemblable, il ajoûte :

On en peut voir en moi la taille & quelques traits.

Ce n'était point à Edipe à parler de cette ref femblance; c'était à Jocafte, qui ayant vécu avec l'un & avec l'autre, pouvait en être bien mieux informée qu'Edipe, qui n'a jamais vû Laius qu'un moment en fa vie. Voilà comme Sophocle a traité cet endroit : mais il falait que Corneille, ou n'eût point lû du tout Sophocle, ou le méprifat beaucoup, puifqu'il n'a rien emprunté de lui, ni beautés ni défauts.

Cependant, comment fe peut-il faire qu' dipe ait feul tué Laius, & que Phorbas, qui a été bleffé à côté de ce roi, dife pourtant qu'il a été tué par des voleurs? Il était difficile de concilier cette contradiction ; & Jocaste, pour toute réponse, dit que :

C'est un conte,

Dont Phorbas, au retour, voulut cacher fa honte.

Cette petite tromperie de Phorbas devait - elle être le nœud de la tragédie d'Edipe? Il s'eft pourtant trouvé des gens qui ont admiré cette puérilité; & un homme diftingué à la cour par fon efprit, m'a dit que c'était là le plus bel endroit de Corneille.

Au cinquiéme acte, Edipe, honteux d'avoir époufé la veuve d'un roi qu'il a maffacré, dit qu'il veut fe bannir & retourner à Corinthe; & cependant il envoye chercher Théfée & Dircé :

Thiatre. Tom. I.

I

Pour

Pour lire dans leur ame,

S'ils prêteroient la main à quelque fourde trame.

Et que lui importent les fourdes trames de Dircé, & les prétentions de cette princeffe fur une couronne à laquelle il renonce pour jamais?

Enfin, il me paraît qu'Edipe apprend avec trop de froideur fon affreufe avanture. Je fais qu'il n'eft point coupable, & que fa vertu peut le confoler d'un crime involontaire : mais s'il a affez de fermeté dans l'efprit pour fentir qu'il n'eft que malheureux, doit-il fe punir de fon malheur? Et s'il eft affez furieux & affez defefpéré pour fe crever les yeux, doit-il être affez froid pour dire à Dircé dans un moment fi terrible:

Votre frère eft connu, le favez-vous, madame?
Votre amour pour Thésée eft dans un plein repos.

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Aux crimes, malgré moi, l'ordre du ciel m'attache;
Pour m'y faire tomber à moi-même il me cache;
Il offre, en m'aveuglant fur ce qu'il a prédit,
Mon père à mon épée, & ma mère à mon lit.
Hélas! qu'il eft bien vrai qu'en vain on s'imagine
Dérober notre vie à ce qu'il nous destine;
Les foins de l'éviter font courir au-devant,
Et l'adreffe à le fuir y plonge plus avant.

Doit-il refter fur le théâtre à débiter plus de quatre-vingt vers avec Dircé & Théfée, qui font deux étrangers pour lui, tandis que Jocafte, fa femme & fa mère, ne fait encor rien de fon avanture, & ne paraît pas même fur la scène ?

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