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Pour moi, après vous avoir dit bien du mal de Sophocle, je fuis obligé de vous en dire le peu de bien que j'en fais; tout différent en cela des médifans, qui commencent toujours par louer un homme, & qui finient par le rendre ridicule.

J'avoue que peut-être, fans Sophocle, je nė ferais jamais venu à bout de mon dipe. Je lui dois l'idée de la première fcène de mon quatriéme acte. Celle du grand-prêtre qui accufe le roi, eft entiérement de lui; la fcène des deux vieillards lui appartient encore. Je voudrais lui avoir d'autres obligations, je les avouerais avec la même bonne foi. Il est vrai que comme je lui dois des beautés, je lui dois auffi des fautes, & j'en parlerai dans l'examen de ma piéce, où j'efpère vous rendre compte

des miennes.

LETTRE IV.

Contenant la critique de l'EDIPE de Corneille.

M

Onfieur, après vous avoir fait part de mes fentimens fur l'Edipe de Sophocle, je vous dirai ce que je penfe de celui de Corneille je refpecte beaucoup plus, fans doute, ce tragique Français, que le Grec : mais je ref pecte encor plus la vérité à qui je dois les premiers égards. Je crois même que quiconque ne fait pas connaître les fautes des grands hom

mes,

mes, eft incapable de fentir le prix de leurs perfections. J'ofe donc critiquer l'Edipe de Corneille, & je le ferai avec d'autant plus de liberté, que je ne crains point que vous me soupçonniez de jaloufie, ni que vous me reprochiez de vouloir m'égaler à lui. C'eft en l'admirant que je hazarde ma cenfure; & je crois avoir une estime plus véritable pour ce fameux poète, que ceux qui jugent de l'Edipe par le nom de l'auteur, & non par l'ouvrage même, & qui euffent méprifé dans tout autre ce qu'ils admirent dans l'auteur de Cinna.

Corneille fentit bien que la fimplicité, ou plutôt la féchereffe de la tragédie de Sophocle, ne pouvait fournir toute l'étendue qu'exigent nos piéces de théâtre. On fe trompe fort. lorf qu'on penfe que tous ces fujets, traités autrefois avec fuccès par Sophocle & par Euripide, PEdipe, le Philoctete, l'Electre, l'Iphigénie en Tauride, font des fujets heureux & aifés à manier; ce font les plus ingrats & les plus impraticables; ce font des fujets d'une ou de deux fcènes tout au plus, & non pas d'une tragédie. Je fais qu'on ne peut guères voir fur le théàtre des événemens plus affreux ni plus attendriffans; & c'eft cela même qui rend le fuccès plus difficile. Il faut joindre à ces événemens des paffions qui les préparent: fi ces paffions font trop fortes, elle étouffent le fujet; fi elles font trop faibles, elles languiffent. Il falait que Corneille marchât entre ces deux extrémités, & qu'il fuppléat par la fécondité de fon génie à l'aridité de la matiére. Il choifit donc l'épifode

fode de Théfée & de Dircé ; & quoique cet épi-• fode ait été universellement condamné, quoique Corneille eût pris dès longtems la glorieufe habitude d'avouer fes fautes, il ne reconnut point celle-ci; & parce que cet épifode était tout entier de fon invention, il s'en applaudit dans fa préface: tant il eft difficile aux plus grands hommes, & même aux plus modeftes, de fe fauver des illufions de l'amour propre.

Il faut avouer que Théfée joue un étrange rôle pour un héros, au milieu des maux les plus horribles dont un peuple puiffe être accablé ; il débute par dire que :

Quelque ravage affreux que faffe ici la pefte, L'absence aux vrais amans est encor plus funefte. Et parlant dans la feconde fcène à Edipe: Il veut lui faire voir un beau feu dans fon fein, Et tâcher d'obtenir un aveu favorable, Qui peut faire un heureux d'un amant misérable. Il est vrai, j'aime en votre palais; Chez vous eft la beauté qui fait tous mes souhaits. Vous l'aimez à l'égal d'Antigone & d'Ismène ; Elle tient même rang chez vous & chez la Reine; En un mot, c'eft leur fœur, la princeffe Dircé, Dont les yeux....

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Edipe répond:

Quoi! fes yeux, prince, vous ont bleffé!
Je fuis fâché pour vous, que la reine sa mère
Ait fu vous prévenir pour un fils dej fon frère.

Ma

Ma parole eft dornée, & je n'y puis plus rien:

Mais je crois qu'après tout fes fœurs la valent bien.
THÉ SÉ E.

Antigone eft parfaite, Ifmène eft admirable;
Dircé, fi vous voulez, n'a rien de comparable';
Elles font, l'une & l'autre, un chef-d'œuvre des cieux :
Mais.

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Ce n'eft pas offenfer deux fi charmantes fœurs,

Que voir en leur aînée auffi quelques douceurs. Cependant l'ombre de Laius demande un prince ou une princeffe de fon fang pour victime; Dircé, feul refte du fang de ce roi, eft prête à s'immoler fur le tombeau de fon père: Théfée qui veut mourir pour elle, lui fait accroire qu'il eft fon frère, & ne laiffe pas de lui parler d'amour, malgré la nouvelle parenté.

J'ai mêmes

yeux encor; & vous, mêmes appas. Mon cœur n'écoute point ce que le fang veut dire; C'eft d'amour qu'il gémit, c'est d'amour qu'il foupire;

Et

pour pouvoir fans crime en goûter la douceur, Il fe révolte exprès contre le nom de fœur. Cependant, qui le croirait? Théfée dans cette même fcène, fe laffe de fon ftratagême. Il ne peut plus foûtenir davantage le perfonnage de frère; & fans attendre que le frère de Dircé foit connu, il lui avoue toute la feinte, & la remet par- là dans le péril dont il voulait la tirer, en lui difant pourtant:

Que

Que l'amour, pour défendre une fi chère vie,
Peut faire vanité d'un peu de tromperie.

Enfin, lorfqu'Edipe reconnaît qu'il eft le meurtrier de Laïus, Théfée, au lieu de plaindre ce malheureux roi, lui propofe un duel pour le lendemain; il époufe Dircé à la fin de la piéce, & ainfi la paffion de Théfée fait tout le fujet de la tragédie, & les malheurs d'Edipe n'en font que l'épifode.

Dircé, perfonnage plus défectueux que Thé fée, paffe tout fon tems à dire des injures à Edipe & à fa mère; elle dit à Jocafte, fans détour, qu'elle eft indigne de vivre.

Votre fecond hymen peut avoir d'autres causes;
Mais j'oferai vous dire, à bien juger des chofes,
Que pour avoir puisé la vie en votre flanc,
J'y dois avoir fucé fort peu de votre fang.
Celui du grand Laïus, dont je m'y fuis formée,
Trouve bien qu'il eft doux d'aimer & d'être aimée:
Mais il ne trouve pas qu'on foit digne du jour,
Lorfqu'aux foins de fa gloire on préfére l'amour.

Il est étonnant que Corneille, qui a fenti ce défaut, ne l'ait connu que pour l'excufer. Ce manque de respect, dit-il, de Dircé envers fa mère, ne peut être une faute de théâtre, puifque nous ne sommes pas obligés de rendre parfaits ceux que nous y faifons voir. Non fans doute, on n'eft pas obligé de faire des gens de bien de tous fes perfonnages: mais les bienféances exigent du moins qu'une princeffe qui a affez de vertu pour vouloir fauver fon peuple aux dépens

de

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