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PRÉFACE.

'Oedipe, dont on donne cette nouvelle édition, fut repréfenté pour la première fois à la fin de l'année 1718. Le public le reçut avec beaucoup d'indulgence. Depuis même, cette tragédie s'eft toujours foutenue fur le théâtre, & on la revoit encor avec quelque plaifir malgré fes défauts; ce que j'attribue en partie à l'avantage qu'elle a toujours eu d'être très-bien repréfentée, & en partie à la pompe & au pathétique du fpectacle même.

Le père Folard jéfuite, & Mr. de la Motte de l'académie Françaife, ont depuis traité tous deux le même fujet, & tous deux ont évité les défauts dans lefquels je fuis tombé. Il ne m'apartient pas de parler de leurs piéces; mes critiques, & même mes louanges, paraîtraient également fufpectes (a).

Je fuis encor plus éloigné de prétendre donner une poëtique à l'occafion de cette tragédie; je fuis perfuadé que tous ces raifonnemens délicats, tant rebattus depuis quelques années, ne valent pas une fcène de génie, & qu'il y a bien plus à aprendre dans Polyeucte & dans Cinna, que dans tous les préceptes de l'abbé d'Aubignac.

(a) Monfieur de la Motte donna deux Oedipes en 1726. F'un en rimes, & l'autre en pro

fe non rimée. L'Oedipe en rimes fut joué quatre fois ; l'autre n'a jamais été joué.

gnac. Sévère & Pauline font les véritables maîtres de l'art. Tant de livres faits fur la peinture par des connaiffeurs n'inftruiront pas tant un élève, que la feule vue d'une tête de Kaphael.

Les principes de tous les arts, qui dépendent de l'imagination, font tous aifés & fimples, tous puifés dans la nature & dans la raifon. Les Pradons & les Boyers les ont connus auffi-bien que les Corneilles & les Racines; la différence n'a été & ne fera jamais que dans l'application. Les auteurs d'Armide & d'Iffe, & les plus mauvais compofiteurs, ont eu les mêmes règles de mufique. Le Poufin a travaillé fur les mêmes principes que Vignon. Il parait donc auffi inutile de parler de règles à la tête d'une tragédie, qu'il le ferait à un peintre de prévenir le public par des differtations fur fes tableaux, ou à un muficien de vouloir démontrer que fa mufique doit plaire.

Mais puifque Mr. de la Motte veut établir des règles toutes contraires à celles qui ont guidé nos grands maitres, il eft jufte de défendre ces anciennes loix, non pas parce qu'elles font anciennes, mais parce qu'elles font bonnes & néceffaires, & qu'elles pourraient avoir dans un homme de fon mérite un adverfaire redoutable.

DES TROIS

UNITÉS.

Mr. de la Motte veut d'abord profcrire l'unité d'action, de lieu & de tems.

Les Français font les premiers d'entre les nations modernes, qui ont fait revivre ces fages

règles

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règles du théâtre; les autres peuples ont été longtems fans vouloir recevoir un joug, qui paraiffait fi févère; mais comme ce joug était jufte, & que la raifon triomphe enfin de tout, ils s'y font foumis avec le tems. Aujourd'hui même en Angleterre, les auteurs affectent d'a vertir au-devant de leurs piéces, que la durée de l'action est égale à celle de la représentation; & ils vont plus loin que nous, qui en cela avons été leurs maîtres. Toutes les nations commencent à regarder comme barbares les tems où cette pratique était ignorée des plus grands génies, tels que Don Lopez de Vega & Shakespear. Elles avouent l'obligation qu'elles nous ont de les avoir retirées de cette barbarie. Faut-il qu'un Français fe ferve aujourd'hui de tout fon efprit pour nous y ramener?

Quand je n'aurais autre chofe à dire à Mr. de la Motte, finon que Meffieurs Corneille, Racine, Molière, Addison, Congreve, Maffei ont tous obfervé les loix du théâtre, c'en ferait affez pour devoir arrêter quiconque voudrait les violer: Mais Mr. de la Motte mérite qu'on le combatte par des raifons plus que par des autorités.

Qu'est-ce qu'une pièce de théâtre? La repréfentation d'une action. Pourquoi d'une feule, & non de deux ou trois? C'eft que l'efprit hu main ne peut embraffer plufieurs objets à la fois; c'est que l'intérêt, qui fe partage, s'anéantis bientôt; c'eft que nous fommes choqués de voir, même dans un tableau, deux événemens ; c'eft qu'enfin la nature feule nous a indiqué ce pré

cepte,

כל

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cepte, qui doit être invariable comme elle. Par la même raifon l'unité de lieu eft effentielle; car une feule action ne peut fe paffer en plufieurs lieux à la fois. Si les perfonnages que je vois font à Athènes au premier acte, comment peuvent-ils fe trouver en Perfe au fecond? Mr. le Brun a-t-il peint Alexandre à Arbelles & dans les Indes fur la même toile? Je ne ferais pas étonné, dit adroitement Mr. de la Motte,,, qu'une nation fenfée, mais moins amie des règles, s'accommodât de voir Coriolan condamné à Rome au premier acte, reçu chez les Volfques au troifiéme, & affiégeant Rome au quatriéme, &c. Premiérement, je ne conçois point qu'un peuple fenfé & éclairé ne fût pas ami des règles, toutes puifées dans le bon-fens, & toutes faites pour fon plaifir. Secondement, qui ne fent que voilà trois tragédies, & qu'un pareil projet, fût-il exécuté même en beaux vers, ne ferait jamais qu'une piéce de Jodelle ou de Hardy verfifiée par un moderne habile?

כל

دو

دو

دو

L'unité de tems eft jointe naturellement aux deux premières. En voici, je crois, une preuve bien fenfible. J'affifte à une tragédie, c'est-à-dire, à la représentation d'une action. Le fujet eft l'accompliffement de cette action unique. On confpire contre Augufte dans Rome; je veux favoir ce qui va arriver d'Augufte & des conjurés. Si le poëte fait durer l'action quinze jours, il doit me rendre compte de ce qui fe fera paffé dans ces quinze jours; car je fuis là pour être informé de ce qui fe paffe, & rien ne

doit arriver d'inutile. Or s'il met devant mes yeux quinze jours d'événemens, voilà au moins quinze actions différentes, quelques petites qu'elles puiffent être. Ce n'eft plus uniquement cet accompliffement de la confpiration, auquel il falait marcher rapidement ; c'eft une longue hiftoire qui ne fera plus intéreffante, parce qu'elle ne fera plus vive, parce que tout fe fera écarté du moment de la décifion, qui eft le feul que j'attens. Je ne fuis point venu à la comédie pour entendre l'hiftoire d'un héros, mais pour voir un feul événement de fa vie. Il y a plus. Le fpectateur n'eft que trois heures à la comédie; il ne faut donc pas que l'action dure plus de trois heures. Cinna, Andromaque, Bajazet, Oedipe, foit celui du grand Corneille, foit celui de Mr. de la Motte, foit même le mien, fi j'ofe en parler, ne durent pas davantage. Si quelques autres piéces exigent plus de tems, c'eft une licence, qui n'est pardonnable qu'en faveur des beautés de l'ouvrage; & plus cette licence eft grande, plus elle eft faute.

Nous étendons fouvent l'unité de tems juf qu'à vingt-quatre heures, & l'unité de lieu à l'enceinte de tout un palais. Plus de févérité rendrait quelquefois d'affez beaux fujets impraticables, & plus d'indulgence ouvriraient la carrière à de trop grands abus. Car s'il était une fois établi, qu'une action théatrale pût fe paffer en deux jours, bientôt quelque auteur y employerait deux femaines, & un autre deux années ; & fi l'on ne réduifait pas le lieu de la fcène à un efpace limité, nous verrions en peu de tems des piéces

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