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accoutumées à juger de tout fur le rapport d'autrui, feront étonnées de me trouver fi innocent, après m'avoir cru fi criminel fans me connaître. Je fouhaite que mon exemple puiffe leur apprendre à ne plus précipiter leurs jugemens fur les apparences les plus frivoles, & à ne plus condamner ce qu'ils ne connaiffent pas. On rougirait bientôt de ses décisions, fi on voulait réfléchir fur les raifons par lesquelles on fe détermine. Il s'eft trouvé des gens qui ont cru férieufement que l'auteur de la tragédie d'Atrée était un méchant homme, parce qu'il avait rempli la coupe d'Atrée du fang du fils de Thyefte; & aujourd'hui il y a des confciences timorées qui prétendent que je n'ai point de religion, parce que Jocafte fe défie des oracles d'Apollon. Voila comme on décide prefque toujours dans le monde; & ceux qui font accoutumés à juger de la forte, ne fe corrigeront pas par la lecture de cette lettre, peut-être même ne la liront-ils point.

Je ne prétends donc point ici faire taire la calomnie; elle eft trop inféparable des fuccès: mais du moins il m'eft permis de fouhaiter, que ceux qui ne font en place que pour rendre juftice, ne faffent point des malheureux fur le rapport vague & incertain du premier calomniateur. Faudra-t-il donc qu'on regarde déformais comme un malheur, d'être connu par les talens de l'efprit, & qu'un homme foit perfécuté dans fa patrie, uniquement parce qu'il court une carrière dans laquelle il peut faire honneur à fa patrie même ?

Ne croyez pas, monfieur, que je compte parmi les preuves de mon innocence le préfent dont Monfeigneur le Régent a daigné m'honorer : cette bonté pourait n'être qu'une marque de fa clémence; il eft au nombre des princes, qui, par des bienfaits, favent lier à leur devoir ceux même qui s'en font écartés. Une preuve plus fûre de mon innocence, c'eft qu'il a daigné dire que je n'étais point coupable, & qu'il a reconnu la calomnie, lorfque le tems a permis qu'il pût la découvrir.

Je ne regarde point non plus cette grace que Monfeigneur le duc d'Orléans m'a faite comme une récompenfe de mon travail, qui ne méritait tout au plus que fon indulgence. Il a moins voulu me récompenfer que m'engager à mériter fa protection: l'envie de lui plaire me tiendra lieu déformais de génie.

Sans parler de moi, c'eft un grand bonheur pour les lettres, que nous vivions fous un prince qui aime les beaux-arts autant qu'il hait la flaterie, & dont on peut obtenir la protection, putôt par de bons ouvrages que par des louanges, pour lesquelles il a un dégoût peu ordinai re dans ceux, qui, par leur naiffance & par leur rang, font deftinés à être loués toute leur vie.

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LETTRE II.

Onfieur, avant que de vous faire lire ma tragédie, fouffrez que je vous prévienne fur le fuccès qu'elle a eu, non pas pour m'en aplaudir, mais pour vous affurer combien je m'en défie.

Je fais que les premiers aplaudiffemens du public, ne font pas toujours de fûrs garans de la bonté d'un ouvrage. Souvent un auteur doit le fuccès de fa piéce, ou à l'art des acteurs qui la jouent, ou à la décifion de quelques amis accrédités dans le monde, qui entraînent pour. un tems les fuffrages de la multitude; & le pu blic eft étonné quelques mois après, de s'ennuyer à la lecture du niême ouvrage, qui lui. arrachait des larmes dans la repréfentation. Je me garderai donc bien de me prévaloir d'un fuccès peut-être paffager, & dont les comédiens ont plus à s'aplaudir que moi-même.

On ne voit que trop d'auteurs dramatiques qui impriment à la tête de leurs ouvrages des préfaces pleines de vanité, qui comptent les princes & les princesses qui font venus pleurer aux représentations, qui ne donnent d'autres réponses à leurs cenfeurs que l'aprobation du public; & qui enfin, après s'être placés à côté de Corneille & de Racine, fe retrouvent confondus dans la foule des mauvais auteurs, dont ils font les feuls qui s'exceptent.

G4

J'évi

J'éviterai du moins ce ridicule : je vous parlerai de ma piéce plus pour avouer mes défauts que pour les excufer: mais auffi je traiterai Sophocle & Corneille avec autant de liberté que je me traiterai avec justice.

J'examinerai les trois dipes avec une égale exactitude. Le refpect que j'ai pour l'antiquité. de Sophocle & pour le mérite de Corneille, ne m'aveuglera pas fur leurs défauts; l'amour-propre ne m'empêchera pas non plus de trouver les miens. Au refte, ne regardez point ces differtations comme les décisions d'un critique orgueilleux, mais comme les doutes d'un jeune homme qui cherche à s'éclairer. La décision ne convient ni à mon âge, ni à mon peu de génie; & fi la chaleur de la compofition m'arrache quelques termes peu mefurés, je les défayoue d'avance, & je déclare que je ne prétends parler affirmativement que fur mes fautes.

LETTRE III.

Contenant la critique de l'EDIPE de Sophocle.

Monfieur, mon peu d'érudition ne me per

met pas d'examiner fi la tragédie de (1). Sophocle fait fon imitation par le difcours, le nombre & l'harmonie ; ce qu'Ariftote appelle expresse

(1) M, Dacier, préface fur l'Edipe de Sophocle,

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preffément un difcours agréablement affaifonné. ne difcuterai pas non plus fi c'est une pièce du premier genre fimple&implexe; fimple, parce qu'elle n'a qu'une fimple catajirophe, & implexe, parce qu'elle a la reconnaissance avec la péripétie.

Je vous rendrai feulement compte, avec fimplicité, des endroits qui m'ont révolté, & fur lefquels j'ai besoin des lumières de ceux qui connaiffant mieux que moi les anciens, peuvent mieux excufer tous leurs défauts.

La fcène ouvre dans Sophocle par un chœur de Thébains profternés au pied des autels, & qui, par leurs larmes & par leurs cris, demandent aux Dieux la fin de leurs calamités. dipe leur libérateur & leur roi paraît au milieu d'eux.

Je fuis dipe, leur dit-il, fi vanté par tout le monde. Il y a quelque apparence que les Thébains n'ignoraient pas qu'il s'appellait dipe.

A l'égard de cette grande réputation dont il fe vante, M. Dacier dit que c'est une adreffe de Sophocle, qui veut fonder par - là le caractère d'Edipe qui eft orgueilleux.

Mes enfans, dit Edipe, quel est le sujet qui vous amène ici? Le grand prêtre lui répond: Vous voyez devant vous des jeunes gens & des vieillards. Moi qui vous parle, je Juis le grand prêtre de Jupiter. Votre ville eft comme un vaiffeau battu de la tempête, elle est prête d'être abîmée, & n'a pas la force de furmonter les flots qui fondent fur elle. De- là le grand prêtre prend occafion de faire une description de la pefte, dont dipe était auffi - bien informé

que

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