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CORRESPONDANCE DE SÉNÈQUE ET DE SAINT PAUL. 437 dans son discours à l'assemblée des fidèles, dit que Cicéron et Virgile, éclairés par les prédictions de la sibylle Erythrée, ont cru secrètement à la divinité de JésusChrist. « Le poëte, dit-il, a caché ses sentiments, de peur d'être accusé d'avoir violé les lois de son pays et d'avoir ruiné la religion autorisée par l'antiquité. Je ne doute pas qu'il n'eût connaissance du mystère de la rédemption et du salut1. » Eût-il omis le nom de Sénèque, si à cette époque la tradition relative à ce philosophe eût existé, si ses prétendues lettres à saint Paul avaient couru dans les mains des fidèles? Nous croyons donc que ces lettres ont été composées à Rome, sous le règne de Constance, et vers le temps où saint Jérôme, né en 331, fréquentait les écoles de cette ville. Sans doute aussi, c'est à Rome que saint Augustin en entendit parler, lorsqu'il y vint enseigner la rhétorique à une jeunesse bruyante et indocile 2. Peut-être l'auteur de ces lettres apocryphes est-il quelqu'un des maîtres chrétiens de cette époque, ou un rhéteur récemment converti, comme Victorinus3, ou simplement un écolier, un compagnon obscur de saint Jérôme, dont le nom est resté secret et ne méritait pas la publicité. Telle est, selon nous, la date précise et l'origine de cette correspondance.

Une autre raison nous frappe encore; c'est que cet écrit nous paraît inspiré par l'esprit du Ive siècle, et conforme à ses idées. Baronius se trompe, selon nous, lorsqu'il veut que ce soit le faux saint Lin qui ait engendré le faux Sénèque; l'un et l'autre sont les in

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3 Victorinus professait avec éclat la rhétorique à Rome. Il fut converti

en 354 par un ami nommé Simplicien. Victorinus est l'auteur d'un traité De orthographia, c'est une sorte de De copia verborum.

"Constance a régné de 357 à 361.

terprètes d'une croyance, sinon générale, du moins répandue. Comment donc est née cette opinion? Il est clair que ce n'est pas dans les esprits sérieux et instruits, ni parmi les éloquents et profonds défenseurs du christianisme, puisqu'aucun d'eux ne l'exprime, et que nulle part elle ne s'est produite sous une forme savante et avec l'appareil de la discussion: ce n'est pas une thèse philosophique, soutenue par de nombreux arguments, comme celle qu'Eusèbe et saint Clément défendent avec ardeur au sujet de Platon et des anciens philosophes; c'est un bruit, c'est une croyance qui a dû naître dans le monde crédule et oisif des amateurs de merveilles et des lecteurs d'apocryphes. Leur curiosité, probablement, a été mise en éveil, et leur imagination s'est enflammée à la lecture de l'Epître aux Philippiens, qui parle des chrétiens de la maison de César : parmi ces néophytes on a rangé Sénèque. Mais nous allons dire pourquoi cette interprétation n'a dû être trouvée qu'assez tard.

Dans les premiers temps, ceux qui personnelle ment ou par tradition avaient connu la primitive Eglise de Rome savaient bien que les convertis du palais ne comptaient dans leurs rangs ni sénateurs, ni ministres, ni philosophes; durant le n° et le m° siècle, le peu de faveur que le christianisme obtint parmi les membres de l'aristocratie romaine, parmi les savants et les lettrés, et surtout à la cour, éloigna des esprits l'idée de ce contre-sens. Ce ne sont ni les chrétiens des catacombes, ni les martyrs qui ont inventé cette explication erronée; ils voyaient trop clairement les obstacles de toute sorte qui s'opposaient au triomphe de la foi, et la dure réalité leur apprenait que les conversions ne s'opèrent pas facilement au sein des richesses, des honneurs, du pouvoir, et sous les yeux d'un Néron et d'un Domitien. En effet,

aucun des anciens interprètes de cette Epître ne mentionne le nom de Sénèque. Mais au v° siècle l'erreur était possible, et l'illusion facile. Dès le règne de Dioclétien et de Constance-Chlore, on avait vu des officiers du palais et des courtisans impériaux embrasser en secret ou au grand jour le christianisme; la foi nouvelle comptait des sectateurs influents, illustres, dans les plus hauts rangs de la société, et dans les classes éclairées; si elle n'avait pas encore conquis le monde, elle le partageait avec le paganisme. Ceux même qui s'opiniâtraient à la repousser, étaient obligés de compter avec le nombre de ses partisans, avec le talent de ses chefs, avec la puissance de ses protecteurs, avec les vertus de tous ses membres. Une erreur commune à la plupart des auteurs d'écrits apocryphes, ce fut de transporter au premier siècle, les mœurs et les opinions du ive, de peindre le règne de Néron avec les couleurs qui convenaient au règne de Constantin, et de supposer dès les commencements de l'Eglise des événements qui n'avaient été possibles que bien longtemps après. Il était moins invraisemblable, en effet, de raconter que Sénèque avait été sensible aux beautés des livres saints, lorsque la lecture des Evangiles ou de l'Ancien Testament convertissait journellement des rhéteurs et des philosophes; on pouvait persuader sans peine que Sénèque avait connu et entendu les chrétiens, depuis que le christianisme était défendu, attaqué, propagé en tous lieux, sur les places publiques, dans les écoles, dans les églises, dans les maisons privées; témoins des accroissements de la religion nouvelle, les contemporains avaient oublié l'obscurité mystérieuse de ses origines. Quoi d'étonnant que l'Apôtre eût été l'ami du philosophe! La plupart des conversions n'étaient-elles pas dues à l'heureux ascendant d'un ami chrétien sur un ami incrédule? C'est l'amitié qui gagna

à la foi saint Cyprien, le rhéteur Victorinus, saint Augustin et tant d'autres défenseurs de l'Eglise 1. Les autels ont vu plus d'un Néarque y conduire par la main un Polyeucte arraché à l'erreur.

Tel est l'ensemble des raisons qui nous déterminent à penser que la correspondance de Sénèque et de saint Paul a été composée au ive siècle, et que le bruit de leurs prétendus rapports a pris naissance vers le même temps probablement parmi la jeunesse chrétienne des écoles de Rome.

'Saint Cyprien fut converti par le prêtre Cécilius son ami, Victorinus par un chrétien, nommé Simplicien, avec qui il était lié d'amitié.

CONCLUSIONS GÉNÉRALES.

1° Aucun Père, aucun écrivain des premiers siècles de l'Eglise ne fait mention de l'amitié de Sénèque et de saint Paul, ni de leur correspondance. - Jusqu'au moyen âge, on ne rencontre à ce sujet que quelques mots peu décisifs de saint Jérôme et de saint Augustin, et le témoignage du faux saint Lin. Trop confiant

dans la valeur de ces preuves, tout le moyen âge a cru sans réserve au christianisme de Sénèque. A partir du XVIe siècle, la presque unanimité des critiques a réprouvé cette tradition.

2o L'histoire de la prédication de saint Paul en Orient, en Grèce et à Rome, démontre l'impossibilité d'une entrevue et d'une liaison des deux personnages, et surtout l'extrême invraisemblance d'une conversion complète ou ébauchée du philosophe.

3o L'étude attentive de la philosophie de Sénèque atteste qu'il n'a eu d'autres maîtres que les philosophes anciens ou contemporains, d'autres inspirations que des idées antérieures à l'Evangile, et qu'il n'a pas connu les livres des chrétiens, dont la plupart ont paru après ses propres écrits.

4o Le recueil de lettres, évidemment apocryphe, que nous possédons encore, est bien celui dont parlent saint Jérôme et saint Augustin. Il a été composé au ivo siècle,

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