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Soit que nous commencions à nous accoutumer à l'idée de ces tourmens, soit qu'ils n'aient rien en eux-mêmes qui fasse naître le terrible, parce qu'ils se mesurent sur des fatigues connues dans la vie, il est certain qu'ils font peu d'impression sur l'esprit. Mais voulez-vous être remué, voulez-vous savoir jusqu'où l'imagination de la douleur peut s'étendre, voulez-vous connoître la poésie des tortures et les hymnes de la chair et du sang? descendez dans l'enfer du Dante. Ici, des ombres sont ballotées par les tourbillons d'une tempête; là, des sépulcres embrâsés renferment les fauteurs de l'hérésie. Les tyrans sont plongés dans un fleuve de sang tiède; les suicides, qui ont dédaigné la noble nature de l'homme, ont rétrogradé vers la plante; ils sont transformés en arbres rachitiques, qui croissent dans un sable brûlant, et dont les harpies arrachent sans cesse des. rameaux. Ces ames ne reprendront point leurs corps au jour de la résurrection; elles le traîneront dans l'affreuse forêt, pour le suspendre aux branches des arbres auxquelles elles sont attachées.

Nous omettons une foule de tortures, toutes les plus effrayantes et les plus extraordinaires. Enfin le Dante étant arrivé dans la vallée. des serpens, où sont punis les menteurs,

voit des ombres épouvantées courir sur des reptiles de tcute race et de toute forme. Deux coupables s'arrêtent auprès de lui:

Comél ramano sotto la gran fersa, etc. (1).

« Comme on voit sous l'ardente canicule, le lézard désertant ses buissons, fuir en éclair à travers les sentiers; tel parut, s'échappant vers les deux autres coupables, un reptile enflammé, noir et luisant comme l'ébène. Il frappa l'un d'eux au nombril, premier passage des alimens dans nous, et tomba vers ses pieds étendu. L'homme frappé le vit, et ne cria point; mais immobile et debout, il bâilloit comme aux approches du sommeil, ou d'une brûlante fièvre : il bâilloit et fixoit (2) le reptile qui le fixoit lui-même. Tous deux se contemploient; la bouche de l'un et la blessure de l'autre fumoient comme deux soupiraux, et les deux fumées s'élevoient ensemble.

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» Je vis la croupe de l'un se fendre et se diviser, et les jambes de l'autre s'unir sans intervalle; ici la peau s'étendre et s'amollir, et là se durcir en écailles. Ensuite les bras du coupables décroissant à ses côtés, le monstre alongea deux de ses pieds vers ses flancs, et les deux autres réunis plus bas, lui donnèrent le sexe que perdoit l'ombre malheureuse.

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» Sous la fumée qui les voiloit toujours, les deux spectres se coloroient diversement; et l'un quittant enfin les cheveux dont l'autre ombrageoit sa tête, le reptile tomba sur son ventre, et l'homniê se dressa sur ses pieds.

(1) Enf. Cant. XXV. st. 28.

(2) Fixer n'est pas françois dans ce sens.

Alors, et sans détourner leurs affreux regards, l'un se montra sous une face et des traits moins informes; et l'autre, pareil au limaçon qui replie ses yeux, n'offroit déjà plus qu'une tête effilée, où disparoissoient tour-àtour le nez, la bouche et les oreilles.

» Ainsi j'ai vu le septième habitacle se former et se transformer; et si mes tableaux sont horribles, ils ont au moins la nouveauté (1) ».

Selon M. de Rivarol, ce morceau approche beaucoup du Laocoon.

Tel peut devenir un enfer chrétien, sous un pinceau habile. Si tout ceci ne forme pas un corps de preuves sans réplique, en faveur des beautés poétiques du christianisme, jamais rien ne sera prouvé en littérature. Qu'on ne dise pas qu'un auteur grec ou romain eût pu faire un Tartare tout semblable à l'enfer du Dante. Cette remarque, fût-elle vraie, ne concluroit rien contre la religion chrétienne; mais quiconque a la moindre connoissance en littérature, conviendra que le ton sombre de l'enfer du Dante, ne se trouve point dans la théologie payenne, et qu'il appartient aux dogmes formidables de notre Foi.

(1) Trad. de M. de Rivarol,

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CHAPITRE X V.

DU PURGATOIRE.

N avouera du moins que le purgatoire offre aux poëtes chrétiens un genre de merveilleux inconnu de l'antiquité (1), et l'on peut s'étonner qu'ils n'en aient pas fait un plus grand usage. Il n'y a peut-être rien de plus favorable aux Muses, que ce lieu de purification, placé sur les confins de la douleur et de la joie, et où viennent se réunir les sentimens confus du bonheur et de l'infortune. La gradation des souffrances en raison des fautes passées; ces ames, plus ou moins heureuses, plus ou moins brillantes, selon qu'elles approchent plus ou moins de la double éternité des plaisirs ou des peines, présenteroient des tableaux riches et touchans. Le purgatoire surpasse en poésie le ciel et l'enfer, en ce qu'il présente un avenir qui manque aux deux premiers.

Dans l'Elysée antique, le fleuve du Léthé n'avoit point été inventé sans beaucoup de

(1) On trouve quelque trace de ce dogme dans Platon et dans la doctrine de Zénon (Vid. Diog. Laert). Les poëtes paroissent aussi en avoir eu quelqu'idée ( Eneid. lib. VI). Mais tout cela est vague, sans suite et sans but.

grâce; mais toutefois, on ne sauroit dire que ces ombres qui renaissoient à la vie sur ses bords, fournissent la même progression poétique vers le bonheur que les ames du purgatoire. Quitter les campagnes des manes heureux pour revenir dans ce monde, c'étoit passer d'un état parfait à un état qui l'étoit moins; c'étoit rentrer dans le cercle; renaître pour mourir, et voir ce qu'on avoit vu. Toute chose dont l'esprit peut mesurer l'étendue, est petite. Le cercle, qui chez les anciens représentoit l'éternité, étoit sans doute une image grande et vraie; cependant ne pourroit-on pas dire qu'elle tue l'imagination, en la forçant de tourner dans ce cerceau redoutable? La ligne droite prolongée sans fin seroit, peut-être, plus belle, parce qu'elle jetteroit la pensée dans un vague effrayant, et feroit marcher de front trois choses qui paroissent s'exclure, l'espérance, la mobilité et l'éternité.

Deux ressorts admirables produiroient ensuite dans le purgatoire tous les charmes du sentiment le premier est le rapport à établir entre le châtiment et l'offense. Que de peines ingénieuses réservées à une mère trop tendre, à une fille trop crédule, à un jeune homme trop ardent? Et certes, puisque les vents, les feux, les glaces prêtént leurs vio

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