Obrazy na stronie
PDF
ePub

le chantre d'Eden, c'est qu'à l'exemple de Virgile, il est devenu original en imitant; ce qui prouve que le style original n'est pas celui qui n'emprunte rien de personne, mais celui que personne ne peut imiter. On peut rester fort commun en n'écrivant que d'après soi. Notre siècle (ce nous semble), est tombé à cet égard dans une grande erreur. On s'est écrié qu'il falloit ouvrir des routes nouvelles, et l'on s'est fourvoyé du vrai chemin ; › un seul fait détruit toutes nos prétentions. Avec notre hardiesse de style et de pensées, sommes-nous plus originaux que les auteurs du siècle de Louis-le-Grand, qui n'ont presque rien à eux? Bossuet qui, non-seulement a pris les principaux traits de Tertulien, mais encore son style quelquefois dur et sa manière brusque; Fénélon, qui déroboit le génie de Platon et d'Homère; Racine, qui traduisoit Virgile, Sophocle et Euripide; Molière, qui s'approprioit jusqu'aux richesses contemporaines; Lafontaine, qui suivoit Phèdre, Esope, pour le fond, et tour-àtour Virgile, Ovide, Boccace et Marot pour le style, manquent-ils d'originalité ? Il en est ainsi du beau siècle de la littérature angloise; Pope, Adisson, Philips, Parnell, et avant eux Milton, travailloient toujours d'après l'antique. Le cercle des idées de l'homme est borné à l'exception de quelques vérités

[ocr errors]

naturelles, découvertes par l'expérience, tout ce que les modernes ont pensé a été pensé par les anciens. Les moules mêmes où l'on peut jeter ses idées, ne sont pas aussi variés qu'on se l'imagine. Il n'y a qu'un certain nombre de formes primitives dans la nature intellectuelle, comme dans la nature physique. La ligne droite, dans cette dernière, peut représenter la force, l'étendue et la clarté dans l'autre; l'ellipse correspond à la grâce, et le cercle à l'abondance et au génie hors de là, vous n'aurez que des mélanges qui ne seront jamais que des combinaisons moins parfaites des premiers principes; ce qui porteroit à croire qu'il y a une beauté de style absolue, et une règle sûre pour juger d'un ouvrage, quelle que soit la diversité des opinions.

:

Il nous paroît donc que ceux qui se consacrent aux lettres feroient bien d'étudier les maîtres de l'école grecque et latine; on tombe en d'étranges erreurs avec cette horreur d'imitation, qui conduit à l'honneur d'être médiocrement original, et barbare à votre manière. Encore n'a-t-on pas toujours ce triste mérite; car en n'étudiant personne, on écrit des choses qu'on croit neuves, qui se trouvent par-tout.

Mais quel est donc cet art d'imitation, connu de tous les grands écrivains? Il consiste

dans une certaine délicatesse de goût, qui s'empare des beautés étrangères, en les accommodant aux temps et aux

mœurs

de son siècle. La copie, quoique ressemblante, devient un original, comme le SaintJérôme du Dominicain, fait d'après le SaintJérôme du Carrache, ou comme les traits d'un père se répètent sur le visage de ses enfans, sans qu'on puisse accuser la nature de plagiat: Virgile est un modèle en ce genre. On peut voir comment il a transporté à la mère d'Euryale, les plaintes d'Andromaque sur la mort d'Hector. Homère, dans ce dernier morceau, a quelque chose de plus naïf que le poëte de Mantoue, dont il a d'ailleurs tous les traits frappans; tels que l'ouvrage échappant aux mains d'Andromaque, l'évanouissement, et quelques autres qui ne sont point dans l'Enéïde, comme le pressentiment du malheur, et cette tête qu'Andromaque échevelée, avance à travers les créneaux. Mais aussi l'épisode d'Euryale est plus pathétique, plus tendre. Cette mère qui, seule de toutes les Troyennes, a voulu suivre les destinées d'un fils; ces habits devenus inutiles, et dont elle occupoit son amour maternel, son exil, sa vieillesse et sa solitude, au moment même où l'on promenoit la tête du jeune homme sous les remparts du camp; ce fœmineo ululatu;

sont des choses qui n'appartiennent qu'à l'ame de Virgile. Les plaintes d'Andromaque, plus étendues, perdent de leur force; celles de la mère d'Euryale, plus resserrées, tombent, avec tout leur poids, sur le cœur. On reconnoît dans Virgile la grande différence qui existoit déjà entre son siècle et celui d'Homère; et l'on y voit que tous les arts, même celui d'aimer, avoient acquis plus de perfection.

CHAPITRE I V.

Suite de l'analyse du Paradis perdu; ses défauts.

UAND le christianisme n'auroit produit en poésie que le Paradis perdu, quand il ne nous auroit donné ni la Jérusalem délivrée, ni Polyeucte, ni Esther, ni Athalie, ni Zaïre, ni Alzire, on seroit encore en droit de soutenir qu'il est très-favorable aux Muses. Et néanmoins le poëme de Milton est bien loin d'être un ouvrage parfait. Nous ne voulons pas qu'on nous accuse de tout sacrifier à un systême, de ne louer que ce qui est chrétien, et de trouver excellent tout ce qui tient de près ou de loin à la religion; nous allons donner une preuve de notre impartialité.

Le docteur Johnson lui-même, tout an

glois qu'il étoit, a osé dire qu'il est difficile de lire de suite le Paradis perdu (1). L'imagination de Milton, forte, sublime et majestueuse, manque de flexibilité, et elle ignore le sourire, que les Grecs mettoient jusques sur les lèvres de la sérieuse Uranie. Il nous semble sur-tout, sauf erreur, qu'on loue trop la manière dont Milton a peint la Nature. Rien ne nous paroît plus vague que la description du Paradis terrestre. Une terre récemment sortie des mains du Créateur, devoit offrir au chantre d'Eden toute autre chose que ces romarins, ces eaux jaillissantes, et cette foule de lieux communs (2) employés par les poëtes vulgaires.

Mais le principal défaut de Milton, c'est d'épuiser sa matière. Ce qui coûte le plus à connoître, et ce qu'on apprend le plus difficilement dans l'art d'écrire, c'est la véritable mesure des choses. Le Paradis perdu offre un exemple frappant de cette vérité.

(1) De tous les critiques Anglois, Johnson est celui qui se rapproche le plus de la manière de juger des François. Le docteur Blair a de même quelques rapports avec nos meilleurs critiques, mais sa rhétorique, toujours vraie par les principes, manque de ces vues fines et piquantes, qui peuvent seules réveiller le goût dans des sujets trop rebattus.

(2) y a des exceptions à ceci, et nous aurons occasion de citer un fort beau tableau, tiré du Paradis perdu.

« PoprzedniaDalej »