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nous avons perdu la puissance en conservant le desir, et notre cœur cherche encore la lumière, que nos yeux n'ont plus la force de supporter.

La religion chrétienne, en nous rouvrant, par la morale et le sang du Fils de l'Homme, les routes éclatantes que la mort avoit couvertes de ses ombres, nous a rappelés à nos primitives amours. Héritier des bénédictions de Jacob, le chrétien brûle d'entrer dans cette Sion céleste, vers qui montent tous ses soupirs. Et c'est cette grande passion que nos poëtes peuvent chanter à l'exemple de Corneille; source nouvelle de beautés, que les anciens temps n'ont point connue, et que n'auroient pas négligée les Sophocle et les Euripide.

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1 reste à parler d'un état de l'ame, qui, ce nous semble, n'a pas encore été bien ob servé; c'est celui qui précède le développe ment des grandes passions, lorsque toutes les facultés, jeunes, actives, entières, mais renfermées, ne se sont exercées que sur elles-mêmes, sans but et sans objet. Plus les peuples avancent en civilisation, plus cet état du vague des passions augmente, car il arrive alors une chose fort triste? le grand nombre d'exemples qu'on a sous les yeux, la multitude de livres qui traiten? de l'homme et de ses sentimens, rendent habile sans expérience. On est détrompé sans avoir joui; il reste encore des desirs, et l'on n'a plus d'illusions. L'imagination est riche, abondante et merveilleuse; l'existence pauvre, sèche et désenchantée. On habite, avec un cœur plein, un monde vide; et sans avoir usé de rien, on est désabusé de tout.

Il est incroyable quelle amertume cet état d'ame répand sur la vie, et en combien de manières le cœur se retourne et se replie,

pour employer des forces qu'il sent lui être inutiles. Les anciens ont peu ou point connu cette inquiétude secrète, cette aigreur des passions étouffées qui fermentent toutes ensemble : une grande existence politique, les jeux du gymnase et du champ de Mars, les affaires du forum et de la place publique, remplissoient tous leurs momens, ne laissoient aucune place aux ennuis du

cœur.

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D'une autre part, ils n'étoient pas enclins aux exagérations,. aux espérances, aux craintes sans objet, à la mobilité des idées et des sentimens, à la perpétuelle. inconstance, qui n'est qu'un dégoût constant ; toutes dispositions que nous acquérons dans la société intime des femmes. Les femmes, indépendamment de la passion directe qu'elles font naître chez les peuples modernes, influent encore sur tous les autres sentimens. Elles ont dans leur existence un certain abandon qu'elles font passer dans la nôtre; elles rendent notre caractère d'homme moins décidé; et nos passions, amollies le mélange des leurs, prennent à-la-fois quelque chose d'incertain et de tendre.

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par

Enfin, les Grecs et les Romains, n'étendant guères leurs regards au-delà de la vie, et ne soupçonnant point des plaisirs plus

parfaits que ceux de ce monde, n'étoient point portés, comme nous, aux rêveries et aux desirs par le caractère de leur religion. C'est dans le génie du christianisme, qu'il faut sur-tout chercher la raison de ce vague des sentimens répandu chez les hommes modernes. Formée pour nos misères et pour nos besoins, la religion chrétienne nous offre sans cesse le double tableau des chagrins de la terre et des joies célestes, et par ce moyen elle fait dans le cœur une source de maux présens et d'espérances lointaines, d'où découlent d'inépuisables rêveries. Le chrétien se regarde toujours comme un voyageur qui passe ici bas dans une vallée de larmes, et qui ne se repose qu'au tombeau. Le monde n'est point l'objet de ses vœux, car il sait que l'homme vit peu de jours, et que cet objet lui échapperoit vite.

Les persécutions qu'éprouvèrent les premiers fidèles, augmentèrent en eux ce dé- ` goût des choses de la vie. L'invasion des barbares y mit le comble, et l'esprit humain en reçut une impression de tristesse, et peut-être même une légère teinte de misanthropie, qui ne s'est jamais bien effacée. De toutes parts s'élevèrent des couvens, où se retirèrent des malheureux trompés par le monde, ou des ames qui aimoient mieux

ignorer certains sentimens de la vie, que de s'exposer à les voir cruellement trahis. Une prodigieuse inélancolie fut le fruit de cette vie monastique; et ce sentiment, qui est d'une nature un peu confuse, en se mêlant à tous les autres, leur imprima son caractère d'incertitude: mais en même temps, par un effet bien remarquable, le vague même où la mélancolie plonge les sentimens, est ce qui la fait renaître; car elle s'engendre au milieu des passions, lorsque ces passions, sans objet, se consument d'elles-mêmes dans un Cœur solitaire.

Il ne faudroit que joindre quelques infortunes à cet état rêveur des sentimens, pour qu'il pût servir de fond à un drame admirable. Il est étonnant que les écrivains modernes ne se soient pas emparé de cette singulière position des passions. Puisque nous manquons d'exemples, nous seroit-il permis de donner aux lecteurs un épisode extrait, comme Atala, de nos anciens Natchez? C'est la vie de ce jeune René, à qui Chactas a raconté son histoire. Ce n'est pour ainsi dire, qu'une pensée; c'est la peinture du vague des passions, sans aucun mêlange d'aventures, hors un malheur, qui, sans produire d'événemens remarquables, sert seulement à redoubler la mélancolie de René et à le punir. On

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