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ticulier des eaux et forêts de ce duché, et sa mère étoit fille du bailli de Coulommiers. Il étudia sous des maîtres de campagne; d'autres disent à Reims, ville qu'il a toujours chérie. Quoi qu'il en soit, il n'apprit que le latin, et toute sa vie il ignora le grec. A l'âge de dix-neuf ans, il eut la fantaisie d'entrer à l'Oratoire. Cette congrégation, la plus libre de toutes, l'étoit encore trop peu pour son humeur volage et ennemie de la gêne; aussi n'y demeura-t-il que dixhuit mois; et c'étoit déja pour lui un bien long séjour.

Il avoit vingt-deux ans, et son génie sommeilloit encore. Par hasard, un officier, en quartier d'hiver à Château-Thierry, lut devant lui, avec emphase, l'ode de Malherbe :

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Le croirez-vous, races futures, etc.

Il écouta cette ode, dit l'abbé d'Olivet, avec des transports mécaniques de joie, d'admira

tion et d'étonnement. » Aussitôt il se mit à lire Malherbe, à le méditer, à l'apprendre par cœur, à le déclamer, et enfin à l'imiter. Toujours l'instinct poétique précède le goût : cette imitation fut plutôt celle des défauts que des qualités du

modéle. Un parent de La Fontaine, nommé Pintrel, homme de bon sens et de quelque savoir, choisi pour confident de ses premiers essais, lui représenta qu'il falloit, avant tout, étudier les anciens. Il suivit ce sage conseil : Horace, Virgile, Térence, devinrent ses auteurs favoris ; il fut charmé de leur noble simplicité. Malherbe alors lui parut trop beau, ou plutôt trop embelli, et il abandonna pour toujours ce maître qui avoit pensé le gâter. Lorsqu'il put fréquenter sans danger les modernes, il choisit, parmi les françois, Rabelais, Marot, et Voiture. A ces auteurs, il joignit d'Urfé, dont L'ASTRÉE eut le privilège de l'amuser long-temps; il y goûtoit sur-tout ces riantes images de la nature champêtre, dont luimême a souvent embelli ses ouvrages. Il lisoit peu nos autres écrivains françois : il se divertissoit mieux, disoit-il, avec les italiens; et, parmi eux, il adopta de préférence l'Arioste, Boccace, et Machiavel: non pas, j'imagine, le Machiavel du PRINCE et de l'HISTOIRE DE FLORENCE, mais celui de LA MANDRAGORE, de la CLITIE, et de la nouvelle de BELPHEGOR. Par la suite, il étendit davantage le cercle de ses lectures, et, pour ainsi dire, de ses relations littéraires avec les siècles

V

passés et les peuples étrangers. La belle langue des Grecs lui étant inconnue, il lut leurs auteurs dans des traductions latines, et il fit particulièrement ses délices de Plutarque et de Platon. Le premier, peintre si naïf et si vrai dans ses VIES DES HOMMES ILLUSTRES, discoureur si aimable et si ingénieux dans ses Traités de moRALE, lui procuroit à-la-fois de l'instruction et du plaisir. Mais Platon, le divin Platon, qu'il appelle quelque part le plus grand des amuseurs, le séduisoit bien plus encore par ses nobles pensées, ses rêveries sublimes, et ses belles formes de style, qu'il savoit apercevoir à travers la plate fidélité des versions latines. Celui qui trouvoit tant de charmes dans le commerce des philosophes ne pouvoit négliger celui d'Homère, de ce grand poëte qu'Horace met au-dessus des plus grands moralistes, au-dessus des chefs de l'académie et du portique. On rapporte que La Fontaine alloit souvent chez Racine, pour se faire expliquer par lui des passages de L'ILIADE et de L'ODYSSÉE : l'habile interprète y mettoit tant d'art, et l'ingénieux disciple tant de pénétration, que celui-ci parvenoit à saisir, à sentir des beautés de diction, créées dans une langue qu'il ne savoit pas.

Le père de La Fontaine aimoit beaucoup les vers, quoiqu'il n'y connût rien. Il avoit desiré passionnément que son fils fût poëte: ce vœu, bien rarement formé par des parents, fut exaucé, et le bon homme en eut une joie incroyable. Comme il ne pensoit pourtant pas que la poésie dût tenir lieu d'un état, il avoit fait passer à son fils sa charge de maître des eaux et forêts, dès qu'il l'avoit vu en état de la remplir. La Fontaine en fit les fonctions pendant très long-temps, par complaisance, et avec si peu de goût, que, s'il faut en croire Furetière, il ignoroit, après trente ans d'exercice, la plupart des termes de son métier. Ce fut aussi par complaisance pour ses parents qu'il se laissa marier. Sa femme, nommée Marie Héricart, fille d'un lieutenant au bailliage de La Ferté-Milon, ne manquoit ni de beauté ni d'esprit ; mais elle étoit, dit-on, d'une humeur exigeante et fière; et l'on croit généralement qu'elle est l'original du portrait de madame Honesta dans le conte de BELPHEGOR.

N'ayant probablement guère plus d'amour pour sa femme que de goût pour le mariage, La Fontaine devoit être peu susceptible de jalousie. On réussit cependant un jour à lui en donner, ou

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plutôt à lui persuader qu'il en falloit montrer. Il avoit un ami, nommé Poignan, capitaine de cavalerie retiré à Château-Thierry. Quelqu'un s'avisa de lui demander pourquoi il souffroit que ce Poignan vînt tous les jours chez lui. «Eh! pourquoi, répondit-il, n'y viendroit-il pas ? c'est « mon meilleur ami. Ce n'est pas ce que dit le pu«blic, répliqua le charitable donneur d'avis: on prétend qu'il ne va chez toi que pour madame . de La Fontaine. Le public a tort; mais que faut-il que je fasse à cela? - Il faut aller deman« der satisfaction à celui qui nous déshonore. « Eh bien ! j'irai. » Le lendemain, à quatre heures du matin, il va trouver Poignan, le presse de s'habiller, et de le suivre avec son épée. Poignan le suit sans savoir où ni pourquoi. Dès qu'ils sont hors de la ville : « Mon ami, dit La Fontaine, il faut nous battre. » L'autre en demande le motif, et représente d'ailleurs que la partie n'est pas égale. « N'importe; le public veut que je me batte avec toi. » Et sur-le-champ il met l'épée à la main. Poignan tire la sienne, du premier coup fait sauter à dix pas celle du spadassin novice, et lui demande enfin de quoi il s'agit. « Le

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