FABLE XV. LA MORT ET LE MALHEUREUX. Un malheureux appeloit tous les jours La Mort à son secours.. 0 Mort! lui disoit-il, que tu me sembles belle! La Mort crut, en venant, l'obliger en effet. Qu'il est hideux ! que sa rencontre Me cause d'horreur et d'effroi ! N'approche pas, ô Mort ! ô Mort, retire-toi! Mécénas fut un galant homme: Il a dit quelque part : Qu'on me rende impotent, Ce sujet a été traité d'une autre façon par Ésope, comme la fable suivante le fera voir. Je composai celle-ci pour une raison qui me contraignoit de rendre la chose ainsi géné rale. Mais quelqu'un me fit connoître que j'eusse beaucoup mieux fait de suivre mon original, et que je laissois passer un des plus beaux traits qui fût dans Ésope. Cela m'obligea d'y avoir recours. Nous ne saurions aller plus avant que les anciens : ils ne nous ont laissé pour notre part que la gloire de les bien suivre. Je joins toutefois ma fable à celle d'Esope, non que la mienne le mérite, mais à cause du mot de Mécénas que j'y fais entrer, et qui est si beau et si à propos, que je n'ai pas cru le devoir omettre. m FABLE XVI. LA MORT ET LE BUCHERON. Un pauvre bûcheron, tout couvert de ramée, Sous le faix du fagot aussi-bien que des ans Gémissant et courbé, marchoit à pas pesants, Et tâchoit de gagner sa chaumine enfumée. Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur, Il met bas son fagot, il songe à son malheur. Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde? En est-il un plus pauvre en la machine ronde? Point de pain quelquefois, et jamais de repos: Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts, Le créancier, et la corvée, Lui font d'un malheureux la peinture achevée. A recharger ce bois; tu ne tarderas guère. Le trépas vient tout guérir; Mais ne bougeons d'où nous sommes : FABLE XVII. L'HOMME ENTRE DEUX AGES, ET SES DEUX MAÎTRESSES. Un homme de moyen âge, Et tirant sur le grison, Il avoit du comptant, De quoi choisir; toutes vouloient lui plaire: En quoi notre amoureux ne se pressoit pas tant : Bien adresser n'est pas petite affaire. Deux veuves sur son cœur eurent le plus de part: L'une encor verte; et l'autre un peu bien mûre, La vieille, à tout moment, de sa part emportoit Afin que son amant en fût plus à sa guise. J'ai plus gagné que perdu; Car d'hymen point de nouvelles. Il n'est tête chauve qui tienne: Je vous suis obligé, belles, de la leçon. FABLE XVIII. LE RENARD ET LA CICOGNE. Compère le renard se mit un jour en frais, Avoit un brouet clair (il vivoit chichement ). A l'heure dite, il courut au logis Loua très fort sa politesse, Bon appétit sur-tout; renards n'en manquent point. Mise en menus morceaux, et qu'il croyoit friande. |