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vere affurés d'avance des places & des récompenfes, ne fe donnent aucune peine pour acquérir les qualités néceffaires au bien-être de la fociété il leur fuffit d'être nés, pour parvenir aux honneurs, à la confidération, au crédit, à la faveur, & pour devenir les arbitres du fort des nations. C'est à la naissance feule qu'appartient le droit d'approcher de la perfonne des princes, de leur donner des confeils, de régler le deftin des empires, de commander des armées, de juger les citoyens : c'est à la naissance feule que font accordés les privileges, les diftinctions, les dignités, les richeffes, qui, pour le bien de la patrie, ne devroient être accordés qu'à ceux dont la patrie a éprouvé les fervices. En un mot, les nations ne femblent faites que pour travailler, afin de mettre dans l'abondance & dans le luxe, des hommes qui, depuis des fiécles, n'ont fouvent pour eux que les mérites fictifs de leurs premiers ancêtres.

S. III.

Du préjugé de la profeffion des armes.

Le préjugé qui, dans les nations modernes, devenues cependant plus policées & plus douces, adjuge encore de

fi grands avantages à la profeffion des armes, eft une preuve nouvelle de leur vénération déraisonnable pour l'antiquité; c'eft un refte de l'ancienne barbarie, qui faifoit regarder la violence, la rapine le meurtre, comme des actions louables, & ceux qui les exerçoient, comme des perfonnages diftingués. En effet, fi nous voulons chercher la fource d'une foule d'opinions fauffes & d'ufages bizarres auxquels nous voyons les peuples fortement attachés, nous ferons forcés de remonter à ce qui fe pratiquoit chez des Scythes, des Celtes, des Gaulois des Germains, des Sarmates, des Vandales, des Goths, &c. en un mot, chez des Sauvages, dont les grands & le peuple ont fcrupuleusement confervé les idées fingulieres.

D'où viennent ces armoiries fi bizarrement ornées, dont, parmi nous, la nobleffe paroît fi jalouse & fi fiere? On y voit des animaux & des figures que des Sauvages tout nus fe traçoient d'abord fur la peau, pour se rendre plus terribles; qui, lorfqu'ils eurent appris à fe vêtir, furent portés groffiérement fur des écus ou boucliers, & furent enfuite entourés des peaux de bêtes qu'ils avoient tuées à la chaffe. Telle eft la véritable

origine de cet art connu fous le nom d'héraldique, qui fervit de base à la science fameufe des généalogies, inventée pour repaître la vanité de quelques hommes très-curieux de prouver à l'univers qu'ils defcendoient en droite ligne de quelque ancien Sauvage vagabond & heureux. Ces colliers, ces chaînes dont les fouverains fe fervent encore pour décorer & récompenfer les courtifans qui les environnent, étoient déja des diftinctions pour ces mêmes peuples, dans une antiquité très-reculée. On fçait que le Romain Manlius fut furnommé Torquatus, pour avoir enlevé le collier à un Gaulois qu'il avoit vaincu.

S. IV.

Du préjugé du point d'honneur. N'eft-ce point encore à ces premiers Celtes, à ces brigands farouches & ombrageux, que l'Europe moderne est redevable de fes idées fi cruelles & fi fauffes fur le point d'honneur, & de ces combats finguliers, ou duels, par lesquels des citoyens croient leur honneur engagé à répandre leur propre fang ou celui de leurs concitoyens, pour l'offense la plus légere; préjugé fi fortement enraciné, que, non content de braver l'hu

manité, il a, jusques ici, réfifté & à la religion & aux lois? Par une fuite de cet affreux préjugé, les habitans des contrées policées, auffi féroces que les Celtes leurs peres, même au fein des villes, même au fein de la paix fe montrent armés d'un glaive qui annonce qu'ils font toujours prêts à détruire leurs femblables, & à fe venger eux-mêmes.

S. V.

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Source du mépris de la nobleffe pour les fciences & les arts.

C'eft à la barbarie altiere de la nobleffe Celtique, que la nobleffe moderne doit encore le mépris qu'elle montre pour les sciences & les arts. Nos grands, comme leurs fauvages ancêtres, fe font gloire d'ignorer prefque tout, & ne font cas que de l'art odieux de piller, de ravager & de tuer. Le militaire dans le grade le plus infime, le plus dépourvu de lumieres, fe croit fort au-deffus du magiftrat le plus élevé, du génie le plus fublime, du citoyen le plus utile & le plus industrieux; tandis qu'aux yeux de la raifon, l'artisan le plus dédaigné est souvent préférable à ces hommes de fang, à ces grands qui, de race en race, ne fe font fouvent illuftrés que par des ravages, des

crimes & des calamités. Ils fuivent exactement les mêmes maximes que les hordes de leurs ancêtres, dont la guerre étoit l'unique élément. Auffi la nobleffe regarde la paix comme un état violent. Cette paix les plonge dans une honteufe oifiveté, parce qu'un préjugé ridicule lui perfuade qu'il faut ou tuer ou ne rien faire, & qu'il feroit indigne d'elle de fe livrer à des occupations utiles. En conféquence, nous voyons en Europe des milliers de foldats, pendant la paix, de: meurer les bras croifés; tandis que, par des travaux publics & néceffaires, ils pourroient alors au moins dédommager la patrie des maux que lui font toujours les guerres les plus heureufes. Si les chefs qui commandent ces troupes fe croyoient déshonorés en les faifant tra vailler pour le bien de l'Etat qui les nourrit, on leur dira que les Romains, qui ont conquis la terre, ne dédaignoient pas, durant la paix, d'employer leurs mains victorieufes à faire des aqueducs, des chemins, des canaux, en un mot, des travaux utiles, dont les ruines mêmes font encore impofantes pour les modernes, énervés & fi vains.

Malgré toute la force de ces réflexions, c'est toujours à nos ancêtres les plus re

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