Obrazy na stronie
PDF
ePub

plaifirs & les peines de l'ame font d'autres fommes pareilles : il ne faut négliger ni les unes, ni les autres; il faut les calculer & en tenir compte.

En examinant la nature des plaifirs & des peines du corps, nous commencerons par une remarque bien affligeante : c'eft que le plaifir diminué par la durée, & que la peine augmente. La continuité des impreffions qui caufent les plaisirs du corps en affoiblit l'intenfité; l'intensité des peines eft augmentée par la continuité des impreffions qui les caufent. Qu'on parcoure les plus grands plaifirs que les objets extérieurs puiffent nous procurer, on verra que, ou la sensation qu'ils excitent eft de nature à ceffer fort promptement, ou que fi elle dure, elle s'affoiblit, devient bientôt infipide, & même incommode, fi elle dure trop longtems. Au contraire, la douleur que caufent les objets extérieurs, peut durer autant que la vie; &, plus elle dure, plus elle devient infupportable. Si l'on doute de ceci, qu'on effaye de prolonger l'impreffion de quelque objet des plus agréa bles, on verra ce que le plaifir devient; que l'action du fer ou du feu fur notre corps dure un peu, qu'on y tienne feu

lement des cantharides trop long-tems appliquées, & l'on verra à quel point peut s'accroître la douleur.

11 y a une autre confidération à faire. Le trop long & le trop fréquent ufage des objets qui caufent les plaifirs du corps, conduit à des infirmités; & l'on ne devient auffi que plus infirme, par l'applica tion continuée ou répétée trop fouvent des objets qui caufent la douleur. Il n'y a ici aucune espece de compenfation. La mesure des plaifirs que notre corps nous peut faire goûter, eft fixée & bien petite; fi l'on y verfe trop, on en eft puni: la mesure des peines eft fans bornes, & les plaifirs mêmes contribuent à la remplir. Si l'on difoit que la douleur a fes bornes; que, comme le plaifir, elle émouffe le fentiment, ou même le détruit tout-àfait cela n'a lieu que pour une douleur extrême, une douleur qui n'eft point dans l'état ordinaire de l'homme, & à laquelle aucune efpece de plaifir ne fe peut

comparer.

Par tout ce que nous venons de dire, on peut juger de la nature des plaifirs & des peines du corps, & de ce qu'on peut en attendre pour notre bonheur. Examinons maintenant la nature des plaifirs & des peines de l'ame.

S. III.

La fource des plaifirs de l'ame fe trouve dans la pratique de la juftice, & dans la découverte de la vérité.

Avant que d'entrer dans cet examen, il faut définir exactement ces plaifirs & ces peines, & ne les pas confondre avec d'autres affections de l'ame, qui n'ont que le corps pour objet. Je m'explique: je ne compte pas parmi les plaifirs de l'ame, le plaifir qu'un homme trouve à penfer qu'il augmente fes richeffes ou celui qu'il reffent à voir fon pouvoir s'accroî tre, fi, comme il n'eft que trop ordinaire, il ne rapporte fes richeffes & fon pouvoir qu'aux plaifirs du corps que ces moyens peuvent lui procurer; les plaifirs de l'avare & de l'ambitieux ne font alors que des plaifirs du corps vus dans l'éloignement de même, nous ne pren. drons pas pour des peines de l'ame, les peines d'un homme qui perd fes richesfes ou fon pouvoir, fi ce qui les lui fait regretter n'eft que la vue des plaifirs du corps qu'ils lui pouvoient procurer, ou la vue des peines du corps auxquelles cette perte l'expose.

:

Après cette définition, il me femble

que tous les plaisirs de l'ame fe réduifent à deux genres de perception; l'un, qu'on éprouve par la pratique de la juftice, l'autre, par la vue de la vérité. Les peines de l'ame fe réduifent à manquer ces deux objets.

Je n'entreprends point de donner ici une définition abfolue de la juftice, & n'ai pas befoin de le faire : j'entends feulement jufqu'ici par pratique de la juftice, l'accompliffement de ce qu'on croit fon devoir, quel qu'il foit. Il n'eft pas non plus néceffaire de définir ici exactement la vérité : j'entends par vue de la vérité, cette perception qu'on éprouve lorsqu'on eft fatisfait de l'évidence avec laquelle on voit les chofes or ces deux genres de plaifir me paroiffent d'une nature bien oppofée à celle des plaisirs du corps. 1° Loin de paffer rapidement, ou de s'affoiblir par la jouiffance, les plaifirs de l'ame font durables; la durée & la répéti tion les augmentent; 2° l'ame les reffent dans toute fon étendue ; 3° la jouiffance de ces plaifirs, au lieu d'affoiblir l'ame, la fortifie. Quant aux peines qu'on éprouve lorfqu'on n'a pas fuivi la juftice ou lorfqu'on n'a pu découvrir la vérité, elles different encore extrêmement des peines du corps. Il est vrai que l'idée qu'on a man

qué à fon devoir, eft une peine très-douloureuse; mais il dépend toujours de nous de l'éviter : elle eft elle-même fon préservatif; plus elle eft fenfible, plus elle nous éloigne du péril de la reffentir. Pour la peine qu'on éprouve de la recherche d'une vérité qu'on ne fçauroit découvrir, l'homme sage ne s'attachera qu'à celles qui lui font utiles, & il découvrira celleslà facilement.

[blocks in formation]

La Félicité domeftique, ou le bonheur de la Vie privée.

S. I. La dépravation générale ne juftifie point les défordres particuliers.

*T

Oute fociété politique n'est qu'un affemblage de fociétés particulieres. Plufieurs familles en forment une grande que l'on appelle nation. La fociété générale n'eft heureufe que lorfque les fociétés particulieres, dont elle eft compofée, jouiffent elles-mêmes de l'harmonie & des avantages d'où résulte le bonheur. Quelle que puiffe être la cor

* Syflême focial.

« PoprzedniaDalej »