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fit que rapprocher des ennemis-difpofés à fe nuire, & perpétuellement occupés à fe traverser les uns les autres, & à s'arracher les jouets auxquels ils attachoient le fouverain bien. Ainfi la fociété, loin de contribuer à leur contentement, eft devenue l'arêne de leurs emportemens & de leurs combats. Leurs inftitutions & leurs préjugés allumerent leurs paffions pour les mêmes objets futiles; ils se battirent pour des richeffes, pour des honneurs, pour des diftinctions & des places dont ils apprirent rarement à faire un ufage avantageux pour eux-mêmes. L'envie fut pour eux un tourment continuel; ils devinrent faux, perfides, diffimulés, menteurs, parce qu'ils fe virent obligés de cacher leurs deffeins à leurs rivaux, & de fe fervir de voies obliques & tortueufes, afin de donner le change à ceux qui couroient la même carriere. L'art de vivre en fociété ne fut plus que l'art de tromper fes affociés, pour les faire fervir à fes propres vues; l'intérêt perfonnel fut toujours en guerre avec l'intérêt général, le citoyen devint l'ennemi caché ou ouvert de fes concitoyens. Il fe crut obligé de leur dérober fa marche quand il fut le plus foible; il n'ofa point avouer ses projets, de peur de les voir traverfés;

fes vœux portoient fur des objets que tous defiroient également, & que chacun vouloit exclufivement pofféder. Voilà comme la fociété eft devenue fi incommode, que des penfeurs découragés ont quoiqu'à tort, que la vie fociale étoit contraire à la nature de l'homme, que le parti le plus fage feroit d'y renoncer tout-à-fait.

cru,

&

CHAPITRE

XV.

Réflexions philofophiques fur les organes du bonheur.

S. I. Quels font les organes du bonheur?

*L

E bonheur eft le but de tous les hommes. Le defir d'être heureux naît avec nous; il fe développe avec nos connoiffances, il s'accroît avec nos paffions, & ne nous quitté qu'au moment où nous ceffons d'être. La nature nous fournit les moyens de parvenir au bonheur; mais, faute de les connoître ou de fçavoir s'en fervir, nous nous écartons bientôt du chemin qu'elle nous a tracé,

* Réflexions philofophiques fur nos principaux sentimens.

&

& nous nous éloignons de nous-mêmes du terme auquel un penchant fecret devroit infailliblement nous conduire.

* Les philofophes de tous les tems ont connu l'importance de la recherche du bonheur, & en ont fait leur principale étu de; s'ils n'ont pas trouvé la vraie route qui y conduit, ils ont marché par des fentiers qui en approchent; en comparant ce qu'ils ont découvert dans toutes les autres fciences, avec les excellens préceptes qu'ils nous ont laiffés pour nous rendre heu-, reux, on s'étonnera de voir combien leurs progrès ont été plus grands dans cette fcience que dans toutes les autres.

Je n'entrerai point dans le détail des opinions de tous ces grands hommes fur le bonheur, ni des différences qui ont pu fe trouver dans les fentimens de ceux qui, en général, étoient de la même fecte. Cette difcuffion ne feroit qu'une espece d'hiftoire longue, difficile, peut-être peu poffible, & sûrement inutile. Les uns regardant le corps comme le feul inftrument de notre bonheur & de notre malheur, ne connurent de plaifirs que ceux qui dépendoient des impreffions que les objets extérieurs font fur nos fens; ne

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connurent de peines que celles qui dépendoient d'impreffions femblables : les autres, donnant trop à l'ame, n'admirent que les plaifirs & les peines qu'elle trouve en elle-même; opinions outrées & également éloignées du vrai. Les impreffions des objets fur nos corps font des fources de plaifirs & de peines; les opérations de notre ame en font d'autres; & tous ces plaifirs & toutes ces peines, quoique entrées par différentes portes, ont cela de commun, qu'elles ne font que des perceptions de l'ame, dans lesquelles l'ame fe plaît ou fe déplaît, qui font des momens heureux ou malheureux.

Quelques philofophes allerent fi loin, qu'ils regarderent le corps comme un être tout-à-fait étranger à nous, & prétendirent qu'on pouvoit parvenir à ne pas même fentir les accidens auxquels il eft fujet. Le voluptueux ne fe tromperoit pas moins, s'il croyoit que les impreffions des objets extérieurs fur le corps, puffent tellement occuper l'ame, qu'elles la rendiffent infenfible à fes réflexions. Tous les plaifirs & toutes les peines appartiennent donc à l'ame; quelle que fût l'impreffion que fit un objet extérieur sur nos fens, jamais ce ne feroit qu'un mouvement phyfique, jamais un plaifir ni une

peine, fi cette impreffion ne fe faifoit fentir à l'ame. Tous les plaifirs & toutes les peines ne font que fes perceptions; la feule différence confifte en ce que les unes font excitées par l'entremise des objets extérieurs; les autres paroiffent puifées dans l'ame même. Cependant pour m'exprimer de la maniere la plus ufitée, j'appellerai les unes plaifirs & peines du corps; les autres plaifirs & peines de l'ame. S. II.

Des plaifirs & des peines du corps.

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Je ne nierai point que les plaifirs & les peines du corps ne faffent des biens & des maux; quelque peu de rapport qu'on voie entre les perceptions de l'ame & les mouvemens qui les font naître, on ne fçauroit en méconnoître la réalité; & le philofophe qui difoit que la goutte n'étoit point un mal, disoit une fottife, ou vouloit feulement dire qu'elle ne rendoit pas l'ame vicieuse; & alors il difoit une chofe bien triviale. Les plaifirs & les peines du corps font donc fans contredit des fommes de momens heureux & de momens malheureux, des biens & des maux. Les

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