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Je pourrais faire voir la même doctrine dans les docteurs et les philosophes chrétiens, dans les Pères et les Conciles, qui tous ont proclamé la nécessité des secours surnaturels pour accomplir la loi du devoir. Mais le rationalisme respecte peu les autorités doctrinales. Un genre de preuve qu'il adoptera plus aisément est l'expérience.

Est-il prouvé par l'expérience que l'homme ne saurait se maintenir longtemps dans la vertu sans le secours de la religion chrétienne?

Écoutons là-dessus le témoignage personnel d'un homme qui ne le cède ni en force d'esprit ni en force de volonté à aucun de nos plus fiers philosophes d'aujourd'hui. Si l'on veut connaître un des plus grands, un des plus vigoureux caractères qui aient honoré l'humanité, qu'on lise la vie de saint Paul, dans les Actes des Apôtres1. L'histoire de ses innombrables travaux est étonnante; l'histoire des luttes de son cœur est plus étonnante encore. « Je sais bien, dit-il, que la loi du devoir est spirituelle; mais moi je suis charnel, asservi au mal. Je ne comprends pas ce que je fais; car je ne fais pas le bien que je veux; au contraire, je fais le mal que je ne veux pas. Ce n'est plus moi qui fais cela; c'est le mal qui habite en moi. Car je sais que le bien n'habite point en moi, c'est-à-dire dans ma chair; parce que je trouve en moi la volonté de faire le bien, mais je n'y trouve point le moyen de l'accomplir. Voilà pourquoi je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je ne veux pas. Lors donc que je veux faire le bien, je trouve en moi une loi qui s'y oppose, parce que le mal réside en moi. Car je me plais dans la loi de Dieu selon l'homme intérieur; mais je sens dans les membres de mon corps une autre loi qui combat contre la loi de mon esprit et qui me captive sous la loi du mal?. >>

Voilà les combats héroïques et la lutte presque désespérée d'un cœur qui veut rester fidèle au devoir. Voilà la guerre sans trêve que ce grand homme portait dans son sein et qui ravageait son âme. Ecoutez le cri de détresse de cette âme aux abois, appelant la force qui lui manque : « Malheureux homme que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort?... Ce sera la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur 3. » Voilà le remède, et la seule force qui suffise à l'homme. Fatigué de cette lutte incessante et sentant son courage défaillir, trois fois il a demandé que cette lutte cesse. Il lui a été répondu : « Je serai ta force dans ta faiblesse, et ma grâce te suffira *. »

1 Trad. et annotés par le P. de Ligny.

II Cor., x1, 89.

5 Rom., vi, 15 à 23.

▲ Ibid. v, 24, 25.

Les chrétiens n'ont pas d'autre secret que l'Apôtre pour résister au mal. Vous admirez ces hommes simples et généreux qui s'appliquent à la vertu tous les jours de leur vie et travaillent à se conserver purs devant Dieu et devant leur conscience. Tant de courage et tant de succès vous étonnent. Ils n'ont pas une autre nature que vous, ni des passions moins vives que les vôtres. Où puisent-ils la force, la consolation et l'amour qui leur sont nécessaires?

Avant tout, dans la prière, dans un commerce et un épanchement fréquent avec Dieu, qui rafraîchit leur âme et restaure leurs forces épuisées. Le rationaliste ne prie pas; il croit pouvoir seul gouverner son âme et se tenir ferme dans le sentier du devoir. Volontiers, comme le sage du paganisme, il demanderait à Dieu la santé, les honneurs, la richesse; pour la vertu, il se suffit à lui-même. N'a-t-il pas sa raison, pour voir ce qui est bien, et sa volonté pour le faire? Nest-il pas le maître de ses mouvements et de ses actions? Qu'a-t-il besoin du secours de Dieu et de la religion? Qu'a-t-il besoin de l'exemple ou de l'exhortation des hommes? Sa vertu dépend de lui; il s'engage par-devant sa conscience à être vertueux ; et il y tiendra.

Et cet homme, si sûr de lui-même, si résolu à suivre la ligne du devoir, n'ira pas un jour peut-être, n'ira pas un mois, sans être ralenti, arrêté par quelque obstacle. Sa disposition change, son courage faiblit, il est tenté de renoncer à la vertu. Il a compté sur lui-même; il n'a pas compté, comme le chrétien, sur le secours de Dieu, obfenu par la prière.

Le chrétien puise sa force et son courage dans l'exercice même et les pratiques de la religion. Les pratiques de sa religion et de son culte, loin d'être un fardeau, sont un moyen pour lui.

Le philosophe s'isole dans son culte, et ne prend part à aucune pratique commune. Nulle réunion, nulle assemblée pieuse, nulle communion avec les autres âmes. Il se renferme dans son temple personnel, où il reste seul tous les jours de sa vie. Il est seul à adorer, seul à combattre l'ennemi invisible, à se combattre lui-même. Ses efforts sont héroïques, ses combats journaliers; mais il combat, sans témoins, sans appui, sans personne qui s'intéresse à ses chutes ou à ses victoires. Il ne tardera guère à s'apercevoir et à se lasser de son isolement, et il abandonnera une lutte où rien ne l'anime et ne le soutient.

La vie du chrétien trouvera son aliment dans un milieu bien autre, bien plus large et bien plus favorable. Il ira dans les assemblées saintes prendre place au milieu de frères nombreux, pressés dans l'enceinte sacrée. Ils l'accueilleront comme un frère; et là, au pied du même autel et participant au même sacrifice, ils s'animeront tous du même esprit et prieront tous dans le même esprit. Ils prie

ront tous les uns pour les autres et se soutiendront les uns les autres. Dans les assemblées saintes, tous ne sont pas des saints peut-être ; mais je sais qu'il y en a ; je sens autour de moi des saints, je sens l'ardeur de leur âme en çommunication brûlante avec Dieu; je me sens dans une atmosphère de sainteté, et cette atmosphère m'échauffe, me purifie et m'élève au-dessus de ma nature. Que sera-ce si, au moment solennel, il m'est donné, avec cette foule de saints, de participer à la même hostie, de recevoir en moi le même pain de vie, le pain qui nourrit les âmes.

Dans les assemblées saintes, j'entends les mêmes enseignements sur le devoir et la vertu, et je suis éclairé; les mêmes exhortations au devoir et à la vertu, et je suis fortifié. Je suis avec les autres emporté au bien par cette parole qui s'adresse à tous, les pénètre tous et les entraîne tous.

Mais j'entends cette voix me parler de la confession. La confession, le grand épouvantail de tant d'hommes, et le principal obstacle qui les tient éloignés de la religion. Assurément je ne veux pas dire que la confession ait été établie pour notre plaisir; mais j'affirme qu'elle a été moins encore établie pour notre tourment. Elle est établie divinement comme un moyen d'expiation; mais elle est établie aussi comme un moyen de consolation pour nos âmes, et surtout comme un moyen de vertu, le plus puissant moyen de vertu qu'il fût possible de trouver pour des hommes. Ayez le courage une bonne fois de vaincre et de mépriser une honte puérile, pour faire l'aveu d'un mal dont le germe après tout existe dans tout cœur humain. Épanchez votre âme, versez simplement et complétement votre âme dans le sein d'un homme qui se croit plus qu'un homme, qui se croit votre père, et qui a conscience d'une mission du ciel pour vous soulager. Confiez-vous à lui; personne comme lui ne mérite votre pleine confiance. Personne, fût-il votre père ou votre mère, ne s'intéresse comme lui au bien de votre âme. Personne, comme lui, ne vous aidera dans le chemin difficile de la vertu. Associez-le à vos peines, à vos difficultés, à vos combats. Vous ne serez plus seul alors, vous serez deux. Vous chercherez ensemble les moyens de vaincre, vous veillerez ensemble, vous prierez ensemble, vous combattrez ensemble et vous triompherez ensemble. A chaque entrevue, il ouvrira sur votre tête les sources de la grâce, il vous confirmera pour de nouveaux combats, il vous appellera à de nouveaux triomphes. Soyez fidèle à la confession; le confesseur répondra de votre vertu.

Voilà les moyens offerts au chrétien pour s'établir et pour persévérer dans le devoir. Le philosophe spiritualiste croit n'avoir pas besoin de tels secours. Sa raison, sa volonté, sa droite nature, lui

suffisent pour faire régner dans son cœur toutes les vertus, et il se persuade être suffisamment fidèle à toutes les lois du devoir, du moins à tous les devoirs moraux et religieux qu'impose la raison.

Qu'il nous permette cependant un court examen, et qu'il consente à nous suivre. Vous avez pour Dieu les sentiments que doit avoir tout homme, sa créature. Vous l'honorez, et même vous l'aimez. Mais l'honorez-vous assez, et lui adressez-vous souvent vos hommages? Toutes vos actions et toutes vos paroles honorent-elles Dieu, et sont-elles conformes à sa volonté sainte? Vous aimez Dieu; l'aimezvous comme il doit être aimé et comme il veut être aimé? L'aimezvous plus que vos richesses, plus que vos plaisirs, plus que vos amis, plus que votre vie? L'aimez-vous de manière à le préférer à tout, et toujours? Alors, vous l'aimez comme le vrai chrétien l'aime, mais comme la philosophie seule ne s'est point encore flattée de l'aimer. Vous bénissez la Providence tant que les événements marchent à votre gré. Mais, si vous voyez vos projets et vos espérances cruellement trompés; si vous voyez le vice triompher et la vertu succomber; si vous-même vous voyez votre fortune renversée, votre réputation à jamais perdue, votre corps livré à d'irremédiables douleurs; pourrez-vous toujours conserver le calme et la résignation nécessaires, et dire avec Job: « Dieu me l'avait donné, Dieu me l'a enlevé, que sa volonté soit bénie? »

Vous aimez vos semblables; mais les aimez-vous comme ils doivent être aimés? Les aimez-vous tous comme vous-même, prêt à faire à chacun le bien que vous voudriez qu'on vous fit, et à ne faire à personne ce que vous ne voudriez pas souffrir d'autrui? ComprenezVous la multiplicité de devoirs que cela implique? Celui qui y serait fidèle accomplirait toute la loi morale: Qui diligit proximum legem implerit1.

Vous n'avez point d'ennemis, je le suppose; mais vous pourrez en avoir. Faisant du bien à tous, vous trouverez des hommes qui chercheront sans motifs et qui parviendront à vous nuire. Ils le feront par intérêt, ils le feront par besoin de nuire, ils le feront par désouvrement et pour faire quelque chose. Un jour peut-être quelqu'un de ces monstres, qui vous devra tout ce qu'il a et tout ce qu'il est, se tournera contre vous, contre vous son bienfaiteur insigne, et, se cachant dans l'ombre, machinera odieusement contre votre réputation ou votre fortune, contre la fortune et la réputation de ceux qui Vous sont chers. Vous voyez le coup fondre sur vous, sans pouvoir arrêter le désastre de vos biens, la calomnie qui vous perd. Victime innocente, mais victime forcée, vous avez sous les yeux un spec

1
1 Pom., xii, 8.

tacle plus déchirant encore, tous vos proches également victimes forcées et victimes innocentes. Vous connaissez cette main d'où le coup est parti; vous connaissez ce cœur de démon qui se réjouit en secret du succès de sa perfidie. Dans l'abîme où il vous a plongé et où il vous tient impitoyablement, vous ne pouvez rien pour vous relever. Mais vous pourriez du moins vous venger; vous avez en main les moyens de faire subir à sa perversité une partie des maux qu'il inflige à votre innocence.

Vous venger! le devoir vous le défend. Vous devez pardonner. Il y a plus, vous devriez au besoin faire du bien à l'ingrat et au pervers. En êtes-vous capable?

Il est des jouissances coupables que le monde innocente; des actions criminelles qu'il n'a plus la force de blâmer, tant il trouve difficile de s'en abstenir. Le sensualisme, sous toutes ses formes, est un mal. Mais le sensualisme domine tellement les hommes aujourd'hui, qu'il est regardé par eux comme une nécessité de notre nature animale, quelque opposé qu'il soit à notre nature raisonnable. Ètesvous capable d'être chaste? êtes-vous capable par vous-même, par votre force et par votre sagesse, d'acquérir cette pureté nécessaire et de la conserver intacte jusqu'à la tombe? Une longue expérience de luttes et peut-être de défaites, une insatiable activité des sens et l'ardeur inquiète d'une imagination sensuelle, ne vous ont-elles point appris ce qu'elles avaient appris à un homme dont la sagesse sans doute valait la vôtre : Scivi quoniam aliter non possem esse continens, nisi Deus det ; j'ai compris que je ne puis être chaste que par le don de Dieu. Et savoir cela, savoir à qui je dois ce pouvoir, est encore un don du ciel : Et hoc ipsum erat sapientiæ, scire cujus esset hoc donum1. Un des plus nobles caractères qui aient honoré la vertu et que la vertu ait honorés, un grand génie et un grand cœur, vaincu longtemps par ses passions et courbé de longues années sous un joug qui lui paraissait irrésistible, parvint, avec le secours de Dieu, à s'affranchir de ce joug et à briser ses liens. Eh bien, après sa victoire, et quoique rendu à toute sa liberté, il était si peu sûr de luimême et de ses forces, qu'il disait à Dieu : « Seigneur, vous commandez la continence; donnez-moi ce que vous me commandez, et vous pourrez me commander ce que vous voudrez: Continentiam jubes; da quod jubes, et jube quod vis3. »

Ces difficultés sont inhérentes à la vertu prise en elle-même; que sera-ce si l'on songe aux alternatives dans lesquelles elle peut être placée, à la persévérance qu'elle demande?

1 Salomon, Sap., vin, 21.

* August., Confess., liv. X, c. xxix.

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