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LE

CORRESPONDANT

DU DEVOIR

DANS LES CIRCONSTANCES ACTUELLES1

Nos maitres dans l'éloquence et dans la foi se sont fait entendre; on ne peut rien ajouter à l'autorité de leur langage ni à la puissance de leurs démonstrations, et le retentissement de leurs voix n'a pas besoin d'un écho de plus. Cependant un dernier effet doit répondre à leurs inspirations et à leurs conseils : c'est la mise en œuvre de ces inspirations et de ces conseils eux-mêmes. Ce point unique, je demande la permission de le traiter en quelques lignes.

On l'a dit il y a quarante ans et on l'a bien souvent répété depuis:

1 Au milieu d'événements qui intéressent si gravement les droits de l'Église et T'honneur de la France, au moment où le Saint-Père est consulté par une lettre officielle et l'opinion publique par un écrit anonyme, le Correspondant doit aider, pour sa part, l'opinion des catholiques français à répondre hautement, complétement. Nos lecteurs ne seront donc pas surpris de trouver dans un même numéro plusieurs articles consacrés à la même question, et de voir des écrivains placés à des points de vue très-divers se rencontrer dans les mêmes conclusions. Si cela avait été possible, nous aurions voulu donner plus de place encore à l'opinion des catholiques: nous ne pouvions apporter trop de preuves de leur unanimité.

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la grande difficulté dans les époques de perturbations ou de révolutions passées à l'état chronique, la grande difficulté, c'est de connaître son devoir. Cette difficulté se présente aujourd'hui. Non-seulement quelques esprits se divisent sur la nécessité ou sur la limite de la résistance à opposer aux desseins qui se manifestent, mais le droit même d'y résister est contesté, nié par des organes considérables de la presse. Une coalition d'éléments formidables, représentés par le Siècle, le Constitutionnel et la Patrie, fait sans cesse appel aux moyens de compression contre l'émission énergique de toute pensée favorable au maintien du Saint-Siége dans ses conditions normales. Est-ce un évêque ou un prêtre qui parle, cette coalition s'écrie: - La question du pouvoir temporel n'est point une question religieuse; vous sortez de vos attributions, vous méconnaissez votre caractère, vous provoquez de violentes et légitimes représailles contre l'Église! Est-ce un laïque qui prend la plume ou la parole, on retourne la thèse et on lui répond aussitôt - La question est religieuse, vous voulez la rendre politique; vous venez jeter dans un débat, où vous n'avez nulle compétence, vos récriminations sur le passé ou vos vues secrètes sur l'avenir; malheur au clergé s'il ne condamne et ne repousse votre perfide appui! Ainsi, pour le prêtre ou pour le laïque, deux ordres d'objections qui se contredisent et qui par conséquent s'annulent; mais conclusion identique : le silence; le silence absolu, la contemplation inerte, l'abdication complète de toutes les protestations de la conscience et de tous les droits du citoyen.

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Et ce silence du moins est-il respecté? Consent-on à l'honorer, à le constater comme l'attitude douloureuse d'hommes désarmés? Non, ce dernier refuge ne demeure même pas inviolable; le silence est changé pour les uns en assentiment tacite ou formel, pour les autres en honteuse pusillanimité. Le silence, on le demande, on l'exige, et, dès qu'on l'obtient, on l'exploite ou on l'insulte. Personne n'ignore avec quelle véhémence les dernières manifestations de la pensée religieuse ont été dénoncées à la vindicte publique et surtout à la surveillance gouvernementale. Voici maintenant comment l'accusation contraire est développée dans un journal hebdomadaire fort répandu. On lit dans le Courrier du Dimanche :

<< L'émotion pourrait s'accroître et la scène s'élever, s'il y avait << encore dans le monde quelques hommes capables de sacrifier leur << repos et tout le reste à l'idée qu'ils doivent se faire du devoir et de « l'honneur. Mais cela n'est point à craindre dans les temps où nous << sommes; l'histoire a vu des siècles plus méchants que le nôtre, elle « n'en a guère vu de plus lâches, à ce point qu'un grand exemple de << courage ressemblerait à un miracle, et que celui qui le donnerait a paraîtrait inspiré par Dieu même...

« Catholiques de France, on vous crie que vous avez été trompés; « mais qui vous a trompés? Ce n'est point, quel qu'il puisse être, <«<l'auteur de la brochure; vous ne sauriez, sans injustice, le préa tendre...

« Quiconque cède à la tentation est la proie et la dérision du tena tateur. C'est une vieille histoire. Croyez-vous, par exemple, que, si « Jésus-Christ eût accepté sur la montagne les offres magnifiques qui « lui étaient faites, il eût en effet possédé tous les royaumes du « monde? Nullement, il eût été précipité du haut en bas de la monta« gne avec la permission de Dieu le Père et avec l'approbation des an« ges. J'ai lu dans les récits fort curieux d'un voyageur anglais qu'un << petit prince de l'Hindoustan n'avait pas de plus grand plaisir que « de perdre soudainement ceux qui l'avaient trop flatté. Il se laissait « volontiers adorer et paraissait regarder avec complaisance celui qui « se prosternait le mieux devant lui; mais tout à coup il mettait le « pied sur le front de l'incomparable adulateur et l'envoyait rouler « dans la poussière. C'était sa façon de rétablir l'équilibre et de ven« ger la dignité humaine. Je ne sais pas même le nom de ce petit « prince, et nous n'avons, grâce à Dieu, aucune chance de nous rencontrer jamais. Mais il y a dans cette partie de sa conduite une cer« taine grandeur à laquelle je ne suis point insensible et pour la« quelle je lui envoie, à travers l'espace qui nous sépare, mon sincère a compliment. » (1" janvier 1860.)

Ainsi donc, que cela soit bien entendu et bien compris : prêtre ou laïque, parlez ou taisez-vous, un reproche et une injure vous attendent; vous n'avez qu'à choisir entre les deux ce qui vous répugne le moins. Pour mon compte, après mûr et scrupuleux examen de la situation, tant au dedans qu'au dehors, mon choix est fait, et je tiens à le dire avec beaucoup de franchise. J'aime mieux ce qui expose que ce qui avilit; j'aime mieux pour ma cause, pour tout ce qui m'est cher et sacré, la lutte avec ses chances et ses périls que la défaite subie d'avance et l'humiliation froidement consentie. J'ajouterai en outre, pour ceux dont le goût pourrait être différent, que leur habile prudence est plus dangereuse encore que ne pourrait l'être leur témérité. Il faut d'ailleurs s'appliquer à saisir la différence entre les dangers sérieux et l'intimidation calculée. Le danger est grand dans la sphère des idées et des institutions catholiques; la menace envers les personnes est puérile et ne pourrait, en aucun cas, susciter d'autre sentiment que le dédain. La persécution, de quelque part qu'elle vienne, n'a plus de racine dans nos mœurs, elle est désavouée par toutes les opinions qui ont droit de se produire au grand jour; elle ne peut avoir aucune prise sur les âmes demeurées calmes et saines, parce que la persécution n'aurait ni fondement ni prétexte dans la vérité

des choses; on ne travestit pas comme on veut en criminels d'État des hommes qu'on ne peut prendre qu'en flagrant délit de vie charitable et chrétienne.

Comment pourrait-on contester les sujets d'alarme, et, un sujet d'alarme quelconque étant donné, qui peut contester à un honnête homme le droit de manifester son inquiétude? Qui peut lui interdire, dans la sphère demeurée libre pour sa parole ou son action, de parer au danger qu'il croit proche et certain?

Je prendrai pour exemple un fait récent et considérable, la réforme commerciale et l'introduction imminente dans notre pays du libre échange. Cette question n'est pas nouvelle, elle a suscité déjà depuis dix ans beaucoup de controverses et beaucoup d'appréhensions. Ce mouvement d'opinion a-t-il été incriminé? Qui a imaginé de prétendre que des négociants réunis en chambres consultatives ou agissant spontanément étaient des factieux? On n'a pas découvert alors l'ingénieuse théorie consistant à professer qu'on ne porte aucune atteinte au commerce pris en lui-même et comme principe abstrait, quand on ne fait que toucher aux bases essentielles de son régime. On n'a pas prétendu que la question de savoir si le commerce, dans son application pratique, sera plus ou moins indépendant, placé sous une loi plus ou moins favorable à son expansion, fût une question oiseuse, réservée uniquement à la décision impériale. Eh bien, cette théorie qu'on rougirait d'émettre pour une question financière ou commerciale, cette prétention qui, en de tels termes, soulèverait les rires plus encore que l'indignation du pays, c'est précisément la théorie que la coalition du Siècle, du Constitutionnel et de la Patrie, distribuant alternativement les caresses et la menace, essaye de nous imposer sur la première des questions pour un peuple civilisé, la question religieuse, sur le premier des intérêts, celui de la conscience, de l'indépendance et de la dignité humaines.

La Religion n'est point en cause, s'écrie-t-on tous les jours; la Papauté n'est point en péril : il ne s'agit pour l'une et pour l'autre que d'une question de régime. C'est là affaire de réglementation administrative ou politique. Un pareil langage ne peut se tenir qu'en face d'interlocuteurs qui n'ont pas toute leur liberté pour y répondre.

Et quand cet étrange paradoxe serait admis, qu'auriez-vous gagné par rapport au droit que nous réclamons de juger, de peser, de contrôler tout ce que vous sollicitez du pouvoir et tout ce que vous semblez à la veille d'obtenir de lui?

Quand bien même on vous accorderait cette monstruosité, que la modification, la transformation ou la destruction du Saint-Siége, ne sont pas des questions religieuses au premier chef, est-ce que de pareilles entreprises, de quelque nom qu'on les nomme, ne soulèvent

pas à la fois toutes les questions d'ordre social, de politique internationale et de tradition française? Vous pouvez déplacer la difficulté, mais vous ne parviendrez jamais à la faire disparaître; vous pouvez jouer sur les mots, éluder plus ou moins longtemps tel ou tel côté de la vérité; mais la portée et la grandeur des faits en eux-mêmes, vous ne réussirez jamais à les dissimuler, sous quelque aspect que vous les présentiez.

Notre siècle a vu, durant trente années, la lutte à jamais déplorable du droit et de la liberté ; ce qui commence aujourd'hui, c'est la lutte inverse, la lutte de la force et du droit, lutte qui, si l'on n'y met promptement obstacle, ne sera pas moins féconde en désastres. Dans cette lutte, c'est la société tout entière qui s'engage. Qu'on y prenne bien garde, et que chacun examine de près le parti qu'il adopte. Quiconque, dans un tel débat, penchera du côté de la force, donnera d'avance raison à la force contre lui-même partout où elle voudra le poursuivre et l'atteindre; raison à la force contre la liberté de la conscience, cela va sans dire, mais bientôt contre la dignité des caractères, contre la sûreté des intérêts, contre la vitalité des intelligences, et, si j'avais charge de parler à des Italiens, j'ajouterais, contre l'avenir des nationalités. Qu'on y prenne garde, je le répète, dans toutes les catégories d'opinion et dans toutes les variétés d'égoïsme, du jour où il sera établi d'un commun consentement que le domaine temporel du Souverain Pontife est à la merci de telle ou telle querelle, justement ou injustement intentée, il n'y a plus, dans la société chrétienne, une sécurité légitime sur quelque possession que ce soit. Du jour où il sera établi d'un commun consentement qu'un gouvernement peut être dépossédé, qu'une autorité peut être méconnue, parce que dans un moment donné, au dire de tel ou tel voisin plus ou moins bon juge en pareille matière et plus ou moins suspect de convoitise ou d'arrière-pensée, il y a eu défaut d'habileté, retard ou tiédeur dans l'exécution d'une réforme, le dernier rempart de la société chrétienne, le dernier boulevard de la civilisation, le dernier refuge de l'inviolabilité morale, auront disparu de ce monde. A l'aide d'un tel principe, avec l'exemple d'un tel excès de la force contre le droit, après une telle victoire du sophisme contre la vérité, le chef de la plus humble famille, l'héritier du plus modeste patrimoine, ne possèdent plus ni un argument invincible ni un titre irrécusable; nous réhabilitons l'école démagogique, substituant partout l'État à la famille; nous retournons à cette doctrine de Babeuf: Si le propriétaire laisse dépérir son domaine, c'est-à-dire un élément quelconque de la fortune publique et de la prospérité nationale, l'État doit destituer ce nuisible usufruitier et gérer son héritage à sa place.

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Assurément, si la souveraineté est, de nos jours, justiciable, amo

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