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Matériaux pour servir à la connaissance du système phonétique et des formes grammaticales des dialectes.

P

our apprendre à connaître la nature d'une langue il ne suffit pas de savoir où elle se parle et quels sont les ouvrages qu'elle a produits; il faut se résoudre à faire l'analyse de son matérial et à comparer ses formes grammaticales avec celles d'une autre langue connue. Je me propose donc de donner dans cet article, par le moyen d'un grand nombre de mots pris dans les principaux dialectes, un aperçu général des diverses articulations qui servent à remplacer dans les différents idiomes, soit la lettre radicale ou le son primitif des mots, soit les articulations adoptées en français, après quoi je traiterai brièvement et toujours d'une manière comparative, les conjugaisons des verbes dans les nuances les plus marquantes de ces dialectes. Pour abréger ce procédé, je mettrai à côté des mots patois le seul mot français, toutes les fois que l'articulation dont il s'agit se trouve être la même en français qu'en latin, ou que le mot français dériverait d'une autre langue que le latin, parceque, sans cela, je me verrais obligé d'entrer dans des explications qui passeraient de beaucoup les limites étroites que je me suis tracées dans cet essai. Au reste je n'ai pas voulu porter ces indications à la hauteur d'un système complet, je nai voulu qu'en donner ici l'ébauche.

Ce chapitre se divise tout naturellement en deux parties d'après la division générale des idiomes locaux que nous avons établie. Abordons donc d'abord les patois du nord et commençons par retracer leurs articulations variées.

1° IDIOMES du nord.

A.

La lettre a prend dans la plupart de ces patois le son de l'e ouvert ou fermé, représenté tantôt par un e, tantôt par la syllabe ai. Ce changement n'est que l'extension d'une tendance égale qu'on trouve très généralement en français, comme p. ex. dans les mots: aimer, aigle, aigre, qui viennent du latin amare, aquila, acer.

Le dialecte bourguignon incline surtout fortement vers ce changement de l'a en e ou ai; p. ex. saibai, sabbat, ai l'aibri, à l'abri, étraipai, attraper, aimin, ami, brai, bras, pairaidi, paradis, paite, pâte. Outre cela il se trouve fréquemment en lorrain: maitin, matin, mêrdcha, maréchal, bais, bas, vouiédje, voyage, évoi, avoir, béquia, bâteau, effare, affaire, sévant, savant; en haut alsacien: aibitin, habitant, faimine, famine, aiplait, appelé, chaimp, champ, airivai, arriver, jémais, jamais, aippoichai, approcher; en rouchi: éniau, anneau, ménier, manger; en normand: pé, pas, égairé, égaré. En général ce changement n'est pas trop fréquent en rouchi et moins encore en picard, où on ne le trouve que dans peu de mots, comme p. ex. dans r'waitier, regarder. Il appartient préférablement aux dialectes de l'est et se trouve dans cette direction jusque dans le franc-comtois; p. ex. paitiaige, partage, aipré, après, gaidhia, garder, raimassa, ramassé, ailoë, alors, aittaicher, attacher, aippoutia, apportez; et en nivernais: aivot, avait, ailé, allé, baigue, bague, regailer, régaler, aimounier,

amener.

A se change aussi souvent en o ou au, surtout devant m, n, et 7, ce qui a lieu également de préférence dans les provinces orientales, et moins souvent dans les autres; p. ex. en lorrain: dedons, dans, lè longue, la longue, maisondje, mésange, quosi, quasi, paupiers, papiers; en bourguignon: évaulai, avaler, aulegresse, allégresse, aulemain, allemand, aulebarde, hallebarde, mau,

mal, maussaige, mal sage, por, par, taule, table, et ainsi tous les mots en able dérivant de la syllabe latine abulum ou abula, tels que étaule, étable, faule, fable, ozéraule, érable. Ce changement a lieu le long de toute la frontière française orientale jusque dans la Flandre française. Les adjectifs en able, dérivant de la syllabe latine abilis ne suivent pas cette règle; ils changent leur finale en ape ou abe; p. ex. en rouchi: abominape, abominable; en lorrain: égriabe, agréable. O pour a se trouve encore en rouchi: omère, armoire; en picard: folut, fallut; en franc-comtois : olle aller; en poitevin: song, le sang, grond, grand, animau, animal, poyis, pays.

En normand cet o s'altère au point de sonner comme un ou; p. ex. dans le mot mougier, manger etc.

Les sons nasaux an et en se changent aussi quelquefois en in et éen; p. ex. en poitevin: mingit, mangea, minquay, manquer; en picard: dins, dans, pinche, panse, inniau, anneau, grattint, grattant, lingage, langage, infins ou inféens, enfans, innée, année, kminder, commander, kéen, champ, pindéent, pendant, séenté, santé, gréende, grande; en rouchi: diminche, dimanche, lozinque, losange, masinque, mésange, mier au lieu de minier ou ménier, manger; en bourguignon: ainge, ange, grainge, grange; en lorrain du nord ces syllabes se changent même tout à fait en é; p. ex. étrége, étrange, écate, encontre.

Par une tendance toute contraire nous trouvons dans un grand nombre de mots patois un rapprochement vers la forme primitive, là ou la langue française dans ces mêmes mots présente les syllabes ai ou ais, soit comme simple altération d'un a latin, soit comme produit d'une contraction de plusieurs lettres. Nous voyons souvent dans ce cas dans les patois un á fort large, un oi ou o et même un oua; p. ex. en saintongeais: fasez, vous faites; en lorrain: máte, maître, militare, militaire, fare, faire, pliaji, plaisir, mahon, mouachon, maison; en bourguignon: moltre, maître, boissé, baissé, époizé, apaisé, jaimoi, jamais, moigre, maigre; en franc-comtois: molson, maison, bin ase, bien aise, en poitevin et normand: foit, fait, poin, pain, foin, fin: en rouchi: asiau, ais, rosin, raisin, levouin, levain.

Lorsque la syllabe française au dérive du latin al, elle se

rapproche très-ordinairement dans les patois du son primitif en s'énonçant par un a allongé. La syllabe eau venant dans la plupart des cas du latin ellus se change ou de la même façon, ou en iau; p. ex. en bourguignon; aigned, agneau, bed, beau, beaco, beaucoup, et aussi ea, eau; en lorrain âte, autre, dne, aune ha, haut, favatte, fauvette, adjedeu, aujourd'hui, asi, aussi; en rouchi: amone, aumone, sale, saule, éniau, anneau, câtiau, château, iaue, eau; couchie, chaussée, fait une exception; en normand: viau, veau; en poitevin: cerved, cerveau, ved, veau, Miched, Michaud, et une exception dans le mot outre, autre.

La lettre a, au commencement des mots, peut aussi subire quelquefois l'influence de consonnes suivantes, surtout dans les patois des extrémités nord de la France; p. ex. en rouchi: entention pour attention, invanie pour avanie.

E.

La lettre e placée de sa nature entre l'a et l'i, se rapproche, dans les patois, tantôt de l'une, tantôt de l'autre de ces voyelles. Elle prend le son de l'a lorsqu'elle se trouve devant des consonnes dures, sifflantes ou gutturales telles que tt, s, c, g ou devant les liquides r et l. On verra que dans quelques mots l'e français, changé ainsi en a donnera aux mots une plus grande ressemblance avec leur forme primitive; p. ex. en rouchi: acoutez, écoutez, afronté, effronté, alle, elle, an', elle ne; en picard: violatte, violette; en bourguignon: tarre, terre, garre, guerre, harbe, herbe, hivar, hiver, antarre, enterrer, anfar, enfer, et même, avec l'omission de l'r: gouvané, gouverner, vatu, vertu; en lorrain: matte, mettre, bac, bec, acole, école, matrasse, maîtresse, acu, écu, sa, sel, a et at, est, pra, prêt; en haut-alsacien: valat, valet, amenas, amenez, frare, frère, divarti, divertir, ates, êtes; en franc-comtois: sas, ses, sarviteur, serviteur, pria, prier, annas, années, das, des, las, les, rapon se, réponse; en haut-poitevin: ena, aîné, santa, santé, tua, tuer, kakais, quelques, cha, chez, parsonne, personne, assarrer, serrer. En général ce changement est moins fréquent dans les patois de l'ouest; cependant on l'entend même dans les environs de Paris, devant r et l; p. ex. garre, guerre, alle, elle. A mesure que la` lettre a se prononce plus du fond du gosier, elle se rapproche davantage du son de l'o. Voilà pourquoi

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dans certaines contrées l'e, une fois élargi au point de prendre le son de l'a, subit une seconde métamorphose en devenant o; p. ex. en bourguignon: morcei, mercier, borgei, berger, aivo, avec, morveille, merveille, chansenote, chansonnette, et ainsi tous les diminutifs en ette (en lorrain cette même syllabe diminutive se change en atte) lochai, lécher, ampochai, empêcher, lofre, lèvre, pole-mole, pêle-mêle, prôte, prêtre, pone, peine, solo, soleil; en lorrain cette articulation a lieu surtout lorsqu'il y a en français le son ei ou en; p. ex. soze, seize, troze, treize, puone, peine, possé, penser, dont, dent, fomme, femme; mais aussi môme, même, aivo, avec; en haut-alsacien: lo, le, sola, cela, onvoya, envoyer, sontir, sentir, vontre, ventre, ron, rien; en rouchi, gasio, gosier, époron, éperon; en poitevin: argeon, argent, jons, gens, doz, des, montrie, mensonge, jémont, jument, tomps, temps, omporté, emporté; en saintongeais: promier, premier.

Le double ée à la fin des mots se change souvent en aïe et eïe, représentant ainsi la finale ata, latine et romane surtout comme terminaison féminine des participes de la première conjugaison. C'est dans le lorrain et dans les patois qui l'avoisinent qu'on trouve le plus généralement ce changement; p. ex. pensaïe, pensée, fouadchaïe, fâchée, d'naïe, donnée, rousaïe, rosée, djalaïe, gelée, mouonnaïe, monnaie. Les participes masculins, au contraire, terminent toujours en i; p. ex. mendgi, mangé, voidji, gagé, laichi, laissé, péchi, péché.

Nous voyons dans ces derniers exemples le passage de l'é en i. Il se trouve, outre le cas indiqué, dans les mots français où l'e s'est formé d'un i latin, et enfin dans plusieurs autres cas; p. ex. en bourguignon: ligei, leger; en rouchi: minu, menu, Missu, Messie, inke, encre, princher, prêcher; en poitevin: bid, beau, biacot, beaucoup, vitrement, vêtement; en picard: voyiz, voyez, alliz, allez, et ainsi de suite dans toutes les secondes personnes du pluriel des verbes, finissant en français en ex.

Dans quelques patois du nord-est on trouve cette épenthèse de l'i devant l'e qu'on rencontre souvent en espagnol et dont la langue française offre également des exemples; p. ex. en rouchi: fier, fer, tierre, terre, tiète, tête, fiète; en lorrain: vié, ver, fié, fer, envie, hiver (en espagnol invierno), enfié, enfer, coulieuve,

cou

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