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du Ciel et très estimé à la cour de Portugal. Le Japonais, qui ne voyait rien que de pauvre en la personne du Père, et qui se souvenait de ce qu'on lui avait écrit d'Amanguchi, s'arrêta un peu sans parler; puis, avec l'air d'un homme étonné: Je suis bien en peine, dit-il, qu'elle réponse faire à mon prince? car ce que vous venez de me dire ne s'accorde guère, ni avec ce que je vois, ni avec ce que les bonzes d'Amanguchi ont mandé, qu'ils ont vu de leurs propres yeux votre père bonze entretenir familièrement un démon qui lui enseignait à jeter des sorts, et à faire je ne sais quelles actions magiques pour éblouir les ignorants; que c'était un malheureux si rebuté et si maudit de toute le terre, que la vermine dont il est couvert depuis les pieds jusqu'à la tête a horreur de se nourrir d'une chair aussi infecte que la sienne. Du reste, je crains que, si je rapporte au roi ce que vous pensez de ce bonze, les nôtres ne passent ou pour des esprits peu éclairés qui font de faux jugements, ou pour des envieux et des imposteurs.

Alors Gama, prenant la parole, dit au gentilhomme japonais tout ce qu'il fallait pour lui donner de bonnes impressions de la conduite du Saint, et pour l'empêcher d'en prendre de mauvaises de sa pauvreté. Sur ce dernier point, il lui déclara que celui qui semblait si méprisable en apparence, était d'une très noble extraction; que la fortune l'avait fait riche, mais que la vertu le faisait pauvre, et que ce dénuement universel était l'effet d'une grande âme qui méprisait ce que les hommes estiment le plus.

Un tel discours ravit en admiration le Japonais : il fit à son prince un rapport fidèle de ce qu'on lui avait dit, en ajoutant lui-même que les Portugais étaient plus heureux de posséder ce saint homme, que si leur navire était plein de lingots d'or.

Le roi de Bungo avait déjà ouï parler du père François, et ne croyait pas ce que les bonzes d'Amanguchi en avaient écrit. C'était un prince de vingt-cinq ans, extrêmement sage, très généreux, très civil, mais très emporté dans les plaisirs de la chair, selon la coutume des rois du Japon.

Ce qu'il apprit de son gentilhomme augmenta l'envie

qu'il avait de voir Xavier, et dès le jour même il lui écrivit en ces termes :

Père bonze de Chemachicogin, c'est ainsi qu'ils appellent le Portugal, que votre heureuse arrivée en mes états soit aussi agréable à votre Dieu, que le lui sont les louanges dont les Saints l'honorent. Quansyonafama, mon domestique, que j'ai envoyé au port de Figen, m'a dit que vous y étiez arrivé d'Amanguchi, et toute ma cour vous dira combien j'en ai eu de joie. Comme Dieu ne m'a pas fait digne de vous commander, je vous supplie instamment de venir, avant le lever du soleil, frapper à la porte de mon palais, où je vous attendrai avec impatience, et permettez-moi de vous demander cette faveur, sans que ma demande vous soit importune. Cependant prosterné par terre, je prie à genoux votre Dieu, que je confesse être le Dieu de tous les dieux, Souverain des plus grands et des meilleurs qui vivent au ciel; je le prie, dis-je, de faire entendre aux superbes de ce siècle combien cette vie sainte et pauvre lui est agréable; afin que les enfants de votre chuir ne soient pas trompés par les fausses promesses du monde. Mandez-moi des nouvelles de votre santé pour me faire bien dormir la nuit, jusqu'à ce que les coqs m'éveillent en m'annonçant votre venue.

le

Cette lettre fut portée par un jeune prince du sang royal, suivi de trente jeunes seigneurs de la cour, accompagné d'un sage vieillard qui était son gouverneur, Hommé Poomendono, homme des plus qualifiés du royaume et frère naturel du roi de Minato. L'honneur que les Portugais rendaient au père Xavier surprit tellement le prince, qu'il dit tout haut à son gouverneur: En vérité, il faut que le Dieu de ces gens là soit grand, et que ses secrets soient cachés aux hommes, puisqu'il veut bien que les plus riches navires obéissent à une personne aussi pauvre qu'est ce bonze des Portugais, et que le bruit du canon fasse entendre que la pauvreté a de quoi plaire au Seigneur de tout le monde, cette pauvreté si abjecte d'elle-même, et si honteuse dans l'opinion commune qu'il semble que ce soit un péché énorme même d'y penser.

Bien que nous ayons horreur de la pauvreté, repartit Poomendono, et que nous croyions les pauvres incapables

d'être heureux, il se peut faire que ce pauvre estime tant sa pauvreté qu'elle soit agréable au Dieu qu'il sert, et que, la pratiquant dans toute la rigueur possible pour l'amour de son Dieu, il soit plus riche qu'aucun homme de la terre.

Le jeune ambassadeur étant retourné à la cour, témoigna au roi avec quel respect on avait reçu sa lettre, et entreprit de le persuader que le bonze de l'Europe devait être traité bien autrement que les bonzes ordinaires, jusqu'à dire que ce serait un grand péché de le confondre avec eux ; qu'au reste il n'était pas pauvre au point que ses ennemis disaient; que le capitaine et les marchands portugais lui donneraient de bon cœur leur navire et tous leurs trésors, s'il en voulait; et qu'à parler proprement, on ne pouvait pas appeler pauvre celui qui a autant de richesse qu'il en veut.

Cependant les Portugais s'étant assemblés pour voir comment le père Xavier paraîtrait le lendemain à la cour, tous furent d'avis qu'il y parût avec le plus de magnificence et de pompe qu'il se pourrait. Il s'opposa d'abord à leur sentiment par l'horreur qu'il avait du faste si peu convenable à son état religieux : mais il se rendit après aux prières, et encore plus aux raisons de l'assemblée. Ces raisons étaient que les bonzes d'Amanguchi ayant écrit tout ce qu'ils avaient pu imaginer pour rendre Xavier méprisable, il était à propos d'ôter au peuples les fausses idées qu'ils avaient pu prendre, et de faire voir combien les chrétiens honoraient les ministres de l'Evangile, afin de porter par là les gentils à les respecter et à les croire; qu'ainsi l'honneur serait moins pour lui que pour Jésus-Christ, et qu'on estimerait la prédication à mesure qu'on révèrerait le prédicateur.

Ils disposèrent donc tout en diligence pour l'entrée du Saint, et partirent le lendemain avant le jour dans un très bel équipage. Ils étaient trente Portugais de marque, habillés d'étoffes fort riches, portant des chaînes d'or et parés de pierreries. Les valets et les esclaves bien vêtus aussi accompagnaient leurs maîtres. Le père François avait une soutane de camelot noir et un surplis par-dessus, avec une étole de velours vert, garnie

de brocard d'or. La chaloupe et les deux barques où ils se mirent pour aller du navire à la ville par la rivière qui y conduisait, étaient couvertes, sur les bords, des plus beaux tapis de la Chine et environnés de bannières de soie de toutes couleurs. Il y avait dans la chaloupe et dans les barques des trompettes, des flûtes, des hautbois et d'autres instruments de musique, qui, mêlés ensemble, faisaient une très agréable symphonie.

La nouvelle qui se répandit dans Fucheo, que le grand bonze de l'Europe y devait venir le matin, attira plusieurs gens de condition sur le rivage; et tant de monde accourut en foule au bruit des trompettes, que les Portugais eurent de la peine à descendre.

Quansyandono, capitaine des Canafama, et un des principaux de la cour, les attendait là par ordre du roi. Il reçut le Saint très civilement, et lui offrit une litière pour se rendre au palais; mais Xavier la refusa et marcha avec toute sa suite en ordre. Edouard de Gama allait le premier tête nue et une canne à la main, comme l'écuyer et le majordome du Père. Cinq autres Portugais le suivaient, et c'étaient les plus considérables du navire; l'un portait un livre dans un sac de satin blanc; l'autre une canne de bengala garnie d'or; le troisième, des mules de chambre d'un beau velours noir, telles qu'en mettaient les personnes de la première qualité ; le quatrième portait un tableau de Notre-Dame, enveloppé d'une écharpe de damas violet ; et le cinquième, un parasol magnifique. Le Père marchait après, dans l'habillement que j'ai dit, avec un air également majestueux et modeste. Le reste des Portugais venait ensuite; et, à voir leur constance, leur parure et leur train, on les aurait pris pour des cavaliers et pour des seigneurs, plutôt que pour des marchands.

Ils traversèrent ainsi les principales rues de la ville au son des trompettes, des flûtes et des hautbois, suivis d'une multitude infinie de peuple, sans compter les gens qui remplissaient les fenêtres, les balcons et même les toits.

Etant arrivés dans la place qui est devant le palais du roi, ils y trouvèrent six cents de ses gardes, les uns armés de lances, les autres de dards, tous avec de beaux

cimeterres et de riches vestes. Ces gardes, au signe que leur fit celui qui les commandait, nommé Fingeindono, s'avancèrent en bon ordre vers le Saint, et puis se séparèrent en deux rangs pour lui ouvrir le passage au milieu d'eux.

Dès qu'on eut gagné le palais, les Portugais qui marchaient immédiatement devant le Père Xavier, se tournèrent vers lui et le saluèrent respectueusement. L'un lui offrit la canne de bengala, et l'autre les mules de velours. Celui qui avait le parasol l'étendit sur la tête du saint homme, et les deux autres qui portaient le livre et le tableau se mirent à ses côtés. Tout cela se fit de si bonne grâce et d'une manière si honorable pour Xavier, que les seigneurs qui étaient présents en furent ravis, et qu'on leur entendit dire que le père François n'était pas ce qu'avaient dit faussement les bonzes; que c'était sans doute un homme venu du ciel pour confondre leur envie et pour abattre leur orgueil.

Après qu'on eut traversé une longue galerie, on entra dans une grande salle pleine de gens, qui, à leurs habits de damas rehaussés d'or et diversifiés de belles figures, paraissaient de la plus haute qualité. Là un jeune enfant, qu'un vénérable vieillard tenait par la main, s'étant approché du Père, le salua avec ces paroles: Que ton arrivée en la maison du roi mon seigneur, lui soit aussi agréable que l'est l'eau du ciel aux laboureurs dans une extréme sécheresse. Entre sans rien craindre, continua-t-il; car je t'assure que les gens de bien t'aiment, quoique les méchants ne te puissent voir sans chagrin, et que leur visage à ta vue soit comme une nuit sombre et orageuse.

Xavier répondit selon que le demandait l'âge de celui qui faisait le compliment. Mais l'enfant reprenant la parole d'une manière qui ne sentait rien de l'enfance: Certainement, dit-il, il faut que ton courage soit extraordinaire, d'être venu d'un bout de la terre en un pays étranger pour t'y faire mépriser sous le nom de pauvre, et que la bonté de ton Dieu soit bien grande, d'agréer ta pauvreté contre l'opinion commune du monde. Nos bonzes sont bien éloignés de faire de même, eux qui assurent en public, et avec serment, que les pauvres ne peuvent se sauver non plus que les femmes.

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