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que jamais Que sert à un homme de gagner tout l'univers et de perdre son âme ? Il lui dit ensuite qu'un cœur aussi noble et aussi grand que le sien ne devait pas se borner aux vains honneurs de la terre, que la gloire seule du ciel était l'objet légitime de son ambition, et que le bons sens voulait qu'on préférât ce qui dure éternellement à ce qui passe comme un songe.

Xavier entrevit alors le néant des grandeurs mondaines, et se sentit même touché de l'amour des choses célestes. Mais ces premières impressions de la grâce ne firent pas tout leur effet sur-le-champ; il repassa souvent en lui-même ce que lui avait dit l'homme de Dieu; et ce ne fut qu'après de sérieuses réflexions, qu'après bien des combats intérieurs, que, vaincu enfin par la force des vérités éternelles, il prit une ferme résolution de vivre selon les maximes de l'Evangile, et de marcher sur les pas de celui qui lui avait fait connaître son égarement.

Il se mit donc sous la conduite d'Ignace, à l'exemple de Le Fèvre, qui vivait déjà saintement, et qui brûlait du zèle des âmes. Les conseils d'un directeur si éclairé facilitèrent à Xavier le chemin de la perfection, qui lui était inconnu : il apprit de son nouveau maître que le premier pas qu'on doit faire, quand on veut se convertir tout de bon, est de travailler à vaincre la passion qui nous domine davantage. Comme l'amour de la gloire avait le plus d'empire sur lui, il ne pensa, dès les premiers jours, qu'à s'humilier et à se confondre dans la vue de son néant et de ses péchés. Mais comme il sut qu'on ne pouvait abattre l'orgueil de l'esprit sans mater la chair, il entreprit de dompter son corps par le cilice, par le jeûne, et par les autres rigueurs de la pénitence.

Quand le temps des vacances fut venu, il fit les exercices spirituels que ses leçons de philosophie l'avaient empêché de faire plus tôt. Les exercices dont je parle sont ceux qu'Ignace, inspiré de Dieu, avait composés à Manrèze, et dont j'ai tracé le plan dans la vie de ce saint Instituteur de la Compagnie de Jésus.

Il commença sa retraite avec une ferveur excessive, jusqu'à passer quatre jours entiers sans prendre nulle

nourriture. Les choses divines occupaient jour et nuit toutes ses pensées, et un ancien mémoire fait foi qu'il se présentait à l'oraison les mains et les pieds liés, ou pour marquer qu'il ne voulait plus agir que par le mouvement de l'esprit divin, ou pour se traiter lui-même comme on traite dans l'Evangile l'homme qui osa paraître en la salle des noces sans la robe nuptiale.

C'est en méditant à loisir les grandes vérités du christianisme, et surtout les mystères de Notre-Seigneur, selon la méthode d'Ignace, qu'il fut changé tout-à-fait en un autre homme, et que l'humilité de la croix lui parut plus belle que toute la gloire du monde. Ces nouvelles vues lui firent refuser sans peine un canonicat de Pampelune, qu'on lui offrit alors, et qui était très considérable pour le revenu et pour l'honneur. Il forma encore, dans sa solitude, le dessein de glorifier Dieu par toutes les voies possibles, et de s'employer toute sa vie au salut des âmes.

C'est pourquoi, ayant achevé le cours de philosophie qu'il enseignait, et qui dura trois ans et demi, selon la coutume de ce temps-là, il étudia en théo logie par le conseil d'Ignace, dont il était le disciple déclaré.

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Cependant Ignace, qui se sentait appelé à la TerreSainte pour la conversion des Juifs et des fidèles s'ouvrit là-dessus à Xavier, comme il avait déjà fait à Le Fèvre et à quatre autres jeunes hommes fort savants, qui avaient embrassé sa forme de vie.

Tous sept résolurent, d'un commun accord, de s'engager, par des vœux exprès, à quitter leurs biens et à faire le voyage de Jérusalem, ou, en cas que, dans un an, ils ne trouvassent point la commodité de passer la mer, à s'aller jeter aux pieds du souverain Pontife, pour servir l'Eglise en quel lieu du monde il lui plairait de les envoyer.

Ils firent ces voeux à Montmartre, le jour de l'Assomption de Notre-Dame, l'an 1534. Ce lien saint, qui a été arrosé du sang des Martyrs, et où leurs cendres reposent encore, inspira une dévotion particulière à Xavier, et lui fit même concevoir un désir ardent du martyre.

Vers la fin de l'année suivante, il partit de Paris avec Le Fèvre, Laynez, Salmeron, Rodriguez, Bobadilla, et trois autres théologiens que Le Fèvre avait gagnés en l'absence d'Ignace, qui, pour des raisons importantes, fut obligé de prendre les devants, et qui les attendait à Venise.

Un peu avant leur départ, Xavier, que sa ferveur emportait quelquefois trop loin, s'était lié les bras et les cuisses avec de petites cordes, pour se punir de je ne sais quelle complaisance qu'il avait eue, en sautant et en courant mieux que les jeunes gens de son âge, car il était fort agile; et de tous les jeux d'écolier, il n'avait guère aimé que les exercices du corps.

Quoique les cordes fussent fort serrées, il crut qu'elles ne l'empêcheraient pas de marcher; mais à peine fut-il en chemin qu'il sentit d'extrêmes douleurs. Il souffrit son mal le mieux qu'il put, et le dissimula jusqu'à ce que les forces lui manquèrent. Le mouvement lui avait fort enflé les cuisses, et avait même fait entrer les cordes si avant dans la chair, qu'elles ne paraissaient presque plus; de sorte que les chirurgiens, à qui ses compagnons le firent voir, dirent nettement que les incisions qu'on pourrait faire ne serviraient qu'à augmenter ses douleurs, et que le mal était incurable.

Dans une conjoncture si fâcheuse, Le Fèvre, Laynez et les autres eurent recours à Dieu, et ce ne fut pas inutilement. Dès le lendemain, Xavier trouva, en s'éveillant, les cordes tombées, ses cuisses sans aucune enflure, et seulement les marques des cordes sur la chair. Ils rendirent tous des actions de grâces au ciel du soin que la Providence prenait déjà d'eux ; et quelque mauvais que fussent les chemins en une saison très rude, ils continuèrent leur voyage avec allégresse.

Xavier servait ses compagnons en toute rencontre, et les prévenait toujours par des devoirs de charité, soit qu'étant naturellement officieux et plein de feu, il fût plus prompt à rendre service, soit que sa guérison miraculeuse le rendît encore plus obligeant et plus charitable envers ceux qui l'avaient obtenue par leurs prières.

Dès qu'ils eurent gagné Venise, ils ne soupirèrent tous qu'après les saints lieux. Ignace, qu'ils furent ravis de revoir, et qu'ils reconnaissaient pour leur Père, fut d'avis qu'en attendant qu'ils allassent rece voir la bénédiction du Pape, pour le voyage de Jérusalem, chacun d'eux s'employât à des œuvres de misé ricorde dans les hôpitaux de la ville.

L'hôpital des Incurables fut le partage de Xavier : non content de s'occuper tout le jour à panser les plaies des malades, à faire leurs lits, et à leur rendre d'autres services plus bas, il passait les nuits entières auprès d'eux. Mais ses soins ne se bornaient pas au soulagement du corps. Quoiqu'il ne sût guère d'italien, il parlait très souvent de Dieu, et il exhortait surtout les plus libertins à la pénitence, en leur faisant comprendre, le mieux qu'il pouvait, que si leurs maladies corporelles étaient incurables, celles de leurs âmes ne l'étaient pas; que, quelque énormes que fussent nos crimes, nous devions avoir toujours confiance en la miséricorde de Dieu, et que les pécheurs n'avaient qu'à vouloir sincèrement se convertir, pour obtenir la grace de leur conversion.

Un de ces malades avait un ulcère qui faisait horreur à voir, et dont la puanteur était encore plus insupportable que la vue. Personne n'osait presque approcher de ce misérable, et Xavier sentit une fois beaucoup de répugnance à le servir; mais il se souvint en même temps de la maxime d'Ignace, qu'on n'avançait dans la vertu qu'autant qu'on se surmontait soi-même, et que l'occasion d'un grand sacrifice était une occasion précieuse qu'il ne fallait pas laisser échapper. Fortifié de ces pensées et animé par l'exemple de sainte Catherine de Sienne, qui lui revint en l'esprit, il embrasse le malade, il attache sa bouche sur l'ulcère qui lui faisait bondir le cœur, et il en suce le pus ; au même moment toute sa répugnance cessa; et depuis il n'eut peine à rien, tant il importe de se vaincre bien une bonne fois. Deux mois se passèrent dans ces exercices de charité, après quoi il se mit en chemin pour Rome, avec les autres disciples d'Ignace, qui demeura seul à Venise. Ils eurent beaucoup à souffrir dans leur voyage : les

pluies furent continuelles et le pain leur manqua souvent; lorsque leurs forces étaient épuisées, Xavier animait les autres, et se soutenait lui-même par l'esprit apostolique dont Dieu le remplit dès-lors, et qui lui faisait déjà aimer les fatigues et les souffrances.

Etant arrivé à Rome, son premier soin fut de visiter les églises et de se consacrer au ministère évangélique sur le sépulcre des saints Apôtres. Il eut occasion de parler plus d'une fois devant le Pape; car toute la troupe ayant été introduite au Vatican par Pierre Ortiz, ce docteur espagnol qui les avait connus à Paris, et que l'empereur avait envoyé à Rome pour l'affaire du mariage de Catherine d'Aragon, reine d'Angleterre, Paul III, qui aimait les lettres, et qui se faisait entretenir durant le repas par de savants hommes, voulut que ces étrangers, dont on lui avait tant loué la capacité, le vinssent voir plusieurs jours de suite, et qu'en sa présence ils traitassent tous divers points de théologie.

Après avoir reçu la bénédiction du saint Père pour le voyage de la Terre-Sainte, et obtenu pour ceux qui n'étaient point prêtres, la permission de recevoir les ordres sacrés, ils retournèrent à Venise. Xavier y fit vœu de pauvreté et de chasteté perpétuelle, avec les autres, entre les mains de Jérôme Veralli, nonce du Pape; et, ayant repris son poste dans l'hôpital des Incurables, il y continua, jusqu'au temps de l'embarquement, les exercices de charité que le voyage de Rome l'avait contraint d'interrompre.

Cependant la guerre qui s'alluma entre les Turcs et les Vénitiens rompit le commerce du Levant et ferma la porte de la Terre-Sainte, tellement que le navire des pèlerins de Jérusalem ne partit point cette année-là comme il avait fait les autres. Xavier en eut un sensible déplaisir; et ce qui le toucha davantage, c'est qu'outre qu'il perdait l'espérance de voir les lieux consacrés par la présence et par le sang de Jésus-Christ, il crut perdre encore l'occasion de mourir pour son divin Maître. Il s'en consola néanmoins dans la vue des ordres de la Providence; mais en même temps, pour se rendre plus utile au prochain, il se disposa à recevoir la prétrise, et il la reçut avec des sentiments de piété, de

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