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sera pas inutile d'en dire ici quelque chose. Elle est située au-delà du golfe de Bengale, vers la tête de cette péninsule qui, de l'embouchure de l'Ava, s'étend au midi, près de la ligne équinoxiale, et elle est à deux degrés et demi d'élévation vis-à-vis l'île de Sumatra, que les anciens, qui n'avaient pas pratiqué ce canal, ont crue jointe à la terre ferme.

Malaca était sous la domination des rois de Siam, jusqu'à ce que les Sarrasins, qui y trafiquaient, devenus puissants, la firent d'abord mahométane, puis la révoltèrent contre son prince légitime, et y établirent enfin un monarque de leur secte, nommé Mahomet. Il n'y avait point alors de ville plus célèbre pour le débit des marchandises, et où il y eût un plus grand concours de nations différentes; car, outre les peuples de Guzarate, d'Aracan, de Malabar, de Pégu, de Sumatra, de Java et des Moluques, les Arabes, les Persans, les Chinois et les Japonais y faisaient trafic aussi avait-on étendu la ville le long de la mer, pour la commodité du négoce.

De toutes les nations de l'Asie, il n'y en a point dont la complexion soit plus portée au plaisir, et il semble que cela vienne de la température de l'air; car le printemps est là éternel, nonobstant le voisinage de la ligne. Les habitants suivent fort leurs inclinations naturelles, et ce n'est chez eux que parfums, que musique, que festins, pour ne rien dire des voluptés de la chair, où ils ne gardent aucune mesure. Il n'y a pas jusqu'à la langue qu'il parlent, qui ne se sente de la mollesse du pays on la nomme Malaya ; et c'est, de toutes les langues de l'Orient, la plus délicate et la plus douce.

Don Alphonse d'Albuquerque conquit Malaca l'an 1511; et trente mille hommes, avec huit mille pièces d'artillerie et un nombre infini d'éléphants et de navires ne purent la défendre. Elle fut prise par force en deux assauts, par huit cents Portugais fort braves, secondés de peu de gens amenés de Malabar. Albuquerque la mit au pillage durant trois jours, et le roi more n'eut point d'autre parti à prendre que de s'enfuir avec cinquante hommes. Les Portugais y bâtirent une citadelle, que les gouverneurs des Indes fortifièrent dans la suite;

mais non pas de telle sorte qu'elle fût à l'épreuve de l'insulte des barbares, qui l'attaquèrent plusieurs fois et qui la ruinèrent en partie.

Xavier n'eut pas plus tôt mis pied à terre, qu'il alla voir le gouverneur de la ville, pour lui exposer son dessein de Macazar. Le gouverneur dit au Père qu'il avait envoyé depuis peu, à cette île, un prêtre de très sainte vie, avec des soldats portugais, et qu'il en attendait des nouvelles tous les jours; que, cependant, il était d'avis que lui et son compagnon demeurassent à Malaca jusqu'à ce qu'on sût l'état véritable des chrétiens de Macazar. Xavier crut le gouverneur, et se retira à l'hôpital, qu'il choisit pour le lieu de sa demeure. Le peuple y courut en foule pour voir l'homme apostolique dont la réputation était grande dans tout l'Orient. Les pères et les mères le montraient à leurs enfants, et on remarque que le serviteur de Dieu, en caressant les petits Portugais, les appelait chacun par son nom, comme s'il les eût connus, et qu'il n'eût pas été un étranger arrivé tout nouvellement.

Au reste, il trouva la ville dans une horrible corruption de mœurs. Les Portugais, qui étaient là, éloignés et de l'évêque et du vice-roi des Indes, vivaient avec une licence effrénée, sans nulle crainte des lois ni ecclésiastiques ni civiles: l'avarice, l'intempérance, l'impudicité, l'oubli de Dieu régnaient partout, et l'habit seul, ou plutôt l'excès des vices, distinguait les chrétiens des infidèles.

Un état si malheureux fit comprendre au père Xavier que son séjour dans Malaca ne serait pas peut-être inutile; mais, avant que d'entreprendre la réformation d'une ville toute corrompue, il s'employa quelques jours uniquement au service des malades; il passa plusieurs nuits en oraison, et il fit des austérités extraordinaires.

Après ces préparatifs, il commença des instructions publiques, de la manière qu'il avait fait la première fois dans Goa. Allant le soir, par les rues, la clochette en main, il disait à haute voix : Priez Dieu pour ceux qui sont en état de péché mortel; et par-là il remettait insensiblement dans l'esprit des pécheurs les désordres

de leur vie; car, voyant les mauvaises dispositions de leur cœur, et combien il était aisé d'aigrir le mal si on y appliquait de violents remèdes, il tempéra plus que jamais l'ardeur de son zèle. Bien qu'il eût naturellement le visage serein et la conversation agréable, sa gaieté et tous les charmes de son humeur semblèrent redoubler à Malaca, en sorte que son compagnon Jean Deyro ne pouvait assez s'étonner de le voir si gai et si doux,

L'apôtre gagna par-là tous les cœurs, et devint, en quelque façon, maître de la ville. Il extermina d'abord une coutume établie, qui permettait aux jeunes filles de s'habiller en garçons quand il leur plaisait, ce qui était cause d'une infinité de scandales. Il chassa les concubines, ou en fit de légitimes épouses, selon la méthode qu'il avait tenue ailleurs. Pour les enfants qui n'avaient nulle connaissance de Dieu, et qui apprenaient des chansons impudiques dès qu'ils commençaient à parler, il les forma si bien en peu de temps, qu'on les entendait réciter publiquement la doctrine chrétienne, et qu'ils dressaient au milieu des rues de petits autels, où ils chantaient tous ensemble les prières catholiques. Mais en quoi il réussit davantage, fut à rétablir l'usage de la confession, qui était presque entièrement aboli : les hommes et les femmes venaient en foule au tribunal de la pénitence, et le Père n'y pouvait suffire.

Il ne laissa pas d'étudier la langue malayaise, qui a cours dans toutes les îles qui sont au-delà de Malaca, et qui en est comme la langue universelle. Son premier soin fut de faire traduire en malayais le petit Catéchisme qu'il avait composé à la côte de la Pêcherie, et une instruction plus ample qui traitait des principaux devoirs du chrétien. Il apprit tout cela par cœur ; et pour se faire mieux entendre, il fit une étude particulière de la prononciation.

Avec ce secours et celui des interprètes, qui ne lui manquaient pas au besoin, il convertit beaucoup d'idolâtres, de mahométans et de juifs, entre autres un fameux rabbin, qui abjura publiquement le judaïsme. Ce rabbin, qui avait pris au commencement pour des fables ou pour des prestiges ce qu'on disait de Xavier, reconnut la vérité de ses propres yeux ; car jamais le Saint

ne fit tant de miracles qu'à Malaca. Les dépositions juridiques des témoins de ce temps-là portent que tous les malades qu'il touchait guérissaient, et que ses mains semblaient avoir une vertu salutaire contre toutes sortes de maux.

Une des plus célèbres guérisons fut celle d'Antoine Fernandez. Ce jeune homme, qui n'avait guère plus de quinze ans, était malade à la mort. Sa mère, chrétienne de profession, mais encore un peu païenne dans le coeur, voyant que tous les remèdes naturels ne faisaient aucun effet, eut recours à certains enchantements qui se pratiquaient parmi les gentils, et fit venir une vieille magicienne nommée Naï. La magicienne jeta son sort sur une corde faite de plusieurs fils mêlés et entrelacés les uns dans les autres, et lia avec la corde les bras du malade..

Au lieu de la guérison que l'on espérait, Fernandez perdit la parole, et eut des convulsions si violentes que les médecins étant rappelés en désespérèrent toutà-fait. On n'attendait plus que le moment qu'il rendît l'esprit, lorsqu'une dame chrétienne qui survint, dit à la mère du moribond: Que n'appelez-vous le saint Père? il guérira votre fils infailliblement. Elle crut ce qu'on lui disait, et manda Xavier: il vint aussitôt. Fernandez, qui n'avait plus de sentiment, et qui rendait les derniers soupirs, commença à crier et à s'agiter dès que le Saint eut mis le pied dans la maison; mais quand il parut devant le malade, ce furent des hurlements et des contorsions effroyables, qui redoublèrent de beaucoup à la vue de la croix qu'on lui présenta.

Xavier ne douta pas qu'il n'y eût quelque chose d'extraordinaire dans la maladie de Fernandez, ni même que Dieu, pour punir la mère d'avoir usé de remèdes magiques, n'eût livré le fils au malin esprit. Il se mit à genoux près du lit, lut tout haut la Passion de NotreSeigneur, pendit son reliquaire au cou du malade, et lui jeta de l'eau bénite. Cela fit cesser les fureurs du démon, et le jeune homme, à demi-mort, devint immobile comme auparavant : alors Xavier se levant : Préparez-lui, dit-il, à manger; et il marqua ce qu'on devait lui faire prendre; ensuite, s'adressant au père du ma

lade: Dès que votre fils sera en état de marcher, ajouta til, vous le conduirez vous-même, durant l'espace de neuf jours, à l'église de Notre-Dame du-Mont, où je dirai demain la messe pour lui; il sortit après, et le jour suivant, lorsqu'il célébrait le saint sacrifice, Fernandez revint tout à coup, parla de bon sens, et recouvra parfaitement la santé.

Mais quelque admirable que parût au yeux du monde la guérison de ce jeune homme, la résurrection d'une jeune fille le fut davantage. Xavier était allé faire un petit voyage aux environs de Malaca, pour je ne sais quelle œuvre de charité, quand cette fille mourut. La mère, qui avait cherché le Saint partout pendant la maladie de sa fille, le vint trouver dès qu'elle le sut de retour, et, se jetant à ses pieds toute en larmes, lui dit à peu près ce que Marthe dit à Notre-Seigneur, que s'il eût été dans la ville, celle qu'elle pleurait ne serait point morte; mais que, s'il voulait invoquer le nom de JésusChrist, la défunte revivrait bientôt. Xavier fut ravi de voir une si grande foi dans une femme baptisée depuis peu de jours; et, la jugeant digne de la grâce qu'elle demandait, après avoir élevé les yeux aux ciel, et prié Dieu en silence quelque temps, il se tourna vers elle, et lui dit d'un ton assuré: Allez, votre fille est vivante. Cette pauvre mère voyant que le Saint ne s'offrait point d'aller au lieu de la sépulture, repliqua, entre l'espérance et la crainte, qu'il y avait déjà trois jours que sa fille était enterrée. N'importe, reprit Xavier, allez, ouvrez son tombeau, et vous la trouverez vivante. La mère sans répondre davantage, courut avec confiance à l'église, et, en présence de plusieurs personnes, ayant fait lever la pierre qui couvrait le cercueil, trouva sa fille pleine de vie.

Pendant que les choses se passaient ainsi à Malaca, un navire de Goa y apporta au père Xavier des lettres d'Italie et de Portugal, qui lui apprirent les heureux progrès de la Compagnie de Jésus, et tout ce qu'elle faisait déjà en Allemagne pour le bien commun de l'Eglise. Il ne pouvait se lasser de lire ces lettres; il les baisait mille fois, et les arrosait de ses larmes, s'imaginant comme il dit lui-même, ou être avec ses frères

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