Obrazy na stronie
PDF
ePub

toujours le pardon aux pénitents, il lui fit quitter les occasions du péché, et le disposa à une confession générale, dont le fruit fut une vie honnête et chrétienne.

Enfin le Père fit dans Méliapor tout ce qu'il voulut, et des témoins irréprochables ont déposé qu'il laissa la ville si différente de ce qu'elle était quand il y vint, qu'on ne la reconnaissait plus : aussi en fut-il lui-même si satisfait, que, la bénissant mille fois, il dit qu'il n'y avait pas aux Indes une ville plus chrétienne. Il prédit en même temps qu'elle serait un jour très riche et très florissante, et la prédiction s'accomplit peu d'années après.

Bien que toutes ces conversions attirassent au père' François la vénération publique, il semble que Dieu prit plaisir à rendre le nom de son serviteur encore plus illustre par certains événements merveilleux. Un marchand de Méliapor, étant sur le point de s'embarquer pour Malaca, alla prendre congé de lui, et en recevant sa bénédiction, il lui demanda quelque petit gage d'amitié. Le Père, qui était très pauvre, ne trouva rien à donner, que le chapelet qu'il portait pendu au cou. Ce chapelet, dit-il au marchand, ne vous sera pas inutile, pourvu que vous ayez confiance en Marie. Le marchand partit fort assuré de la protection du Ciel, et ne craignant ni pirates, ni vents, ni écueils. Mais Dieu voulut éprouver sa foi il avait déjà presque traversé, sans aucun péril, le grand golfe qui est entre Méliapor et Malaca, lorsqu'il s'éleva tout à coup une furieuse tempête. Les voiles, le mât et le gouvernail se rompirent d'abord, et le vaisseau fut poussé ensuite contre des rochers, où il se brisa entièrement. La plupart des matelots et des passagers se noyèrent ; quelques-uns s'attachèrent aux rochers où ils avaient échoué, et le marchand dont nous parlons fut un de ceux-là. Mais comme ils étaient en haute mer, et qu'ils n'avaient pas de quoi vivre, pour ne pas mourir de faim, ils prirent une résolution que le désespoir seul pouvait inspirer: ayant ramassé quelques planches du débris de leur navire, et les ayant jointes ensemble le mieux qu'ils purent, ils se jetèrent dessus, et s'abandonnèrent à la merci des vagues, sans autre espérance que de rencontrer quelques courants qui les portassent à terre.

Le marchand, plein de confiance en la sainte Vierge, tenait le chapelet de Xavier, et ne craignait pas de périr tandis qu'il l'aurait entre les mains. A peine les planches furent-elles sur l'eau, qu'il se sentit comme hors de lui-même, et s'imagina être dans Méliapor avec le père François. Revenant à lui, il fut fort surpris de se trouver sur une côte inconnue, et de ne plus voir ni les compagnons de sa fortune, ni les planches auxquelles il avait confié sa vie. Il apprit de quelques gens qui parurent, que c'était la côte de Négapatan, et dans un transport mêlé de joie et d'étonnement, il leur raconta par quelle voie extraordinaire Dieu l'avait délivré de la mort.

Un autre Portugais, soldat de profession et nommé Jérôme Fernandez de Mendoze, reçut un secours considérable de Xavier, d'une manière différente, mais pour

le moins aussi merveilleuse. Feétant parti de

la côte de Coromandel, dans un navit qui lui appartenait et qui faisait toute sa richesse, pour aller à une autre côte vers l'occident, fut pris proche du cap de Comorin, par des corsaires de Malabar, également cruels

et avares.

Pour sauver sa vie en perdant son bien, il se jeta dans la mer, et fut assez heureux, malgré sa mauvaise fortune, que de gagner à la nage la côte de Méliapor. Ayant rencontré le père François, il lui conta sa disgrâce, et lui demanda l'aumône. Le Père eut presque regret, en cette rencontre, d'être pauvre lui-même, et de n'avoir pas de quoi secourir un malheureux ; il mit néanmoins la main dans sa poche, comme s'il y eût cherché quelque chose: n'y trouvant rien, il éleva les yeux au ciel, et puis, se retournant vers Fernandez avec un visage plein de compassion: Prenez courage, mon frère, lui dit-il, la Providence divine aura soin de vous. Après quoi, ayant fait quatre ou cinq pas, il chercha tout de nouveau dans sa poche, et en tira plus de cinquante pièces d'or. Tenez, ajouta le Père, voilà ce que le Ciel vous envoie; servez-vous-en, mais n'en dites mot. La surprise et la joie de Fernandez ne lui permirent pas de se taire; il publia partout la libéralité de son bienfaitenr: les pièces de monnaie furent trouvées d'un or si pur

et si fin, qu'on ne douta pas qu'elles ne fussent miraculeuses.

Mais rien peut-être n'est plus admirable que ce qui se passa entre le père François et Jean Deyro ou Duro, comme quelques-uns l'appellent : c'était un homme de trente-cinq ans, qui avait porté autrefois les armes, alors marchand et maître de vaisseau fort riche et très heureux dans son négoce; cependant peu satisfait du monde et de lui-même, toujours inquiet au milieu de ses richesses, et persuadé que Dieu seul pouvait contenter son cœur. Il alla un jour trouver le Saint, et lui dit que, depuis quelques années, il avait envie de changer d'état et de servir Dieu le plus parfaitement qu'il pourrait; mais que deux raisons l'avaient toujours retenu : l'une était qu'il n'avait rencontré personne qui lui enseignât le chemin de la perfection; l'autre que la pauvreté lui avait fait peur. Il ajouta qu'il était maintenant hors de peine touchait ces deux points; que, pour le premier, il espérait marcher sûrement dans la voie du ciel, ayant un guide aussi éclairé que lui; et que, pour le second, il avait amassé de quoi vivre honnêtement le reste de ses jours. Il conjura le père Xavier de trouver bon qu'il le suivît, et lui promit de l'entretenir partout à ses dépens.

Le Père fit entendre à Deyro combien il était éloigné du royaume de Dieu; que, pour être parfait, il fallait accomplir ce que Notre-Seigneur conseilla au jeune homme qui voulait le suivre, c'est-à-dire qu'il fallait pratiquer ces paroles à la lettre : Vends tout ce que tu as, et le donne aux pauvres. Deyro, détrompé d'abord, dit au Père qu'il lui plût donc prendre tout son bien et le distribuer aux pauvres. Xavier ne voulut ni faire ce que Deyro lui proposait, ni permettre qu'il disposât de rien avant que de s'être confessé, prévoyant sans doute qu'un homme si riche serait obligé à restituer une partie de ses richesses.

La confession du marchand dura trois jours; après quoi, ayant vendu son navire et ses marchandises, il restitua le bien d'autrui, et fit de grandes aumônes. Il s'adonna ensuite, sous la direction du Saint, aux exercices de piété et de pénitence, pour mettre un solide fondement à la perfection où il aspirait.

De si beaux commencements n'eurent pas une suite heureuse, et cet esprit de retraite, de mortification et de pauvreté, fut bientôt éteint dans un homme accoutumé au tracas du monde, qui avait toujours vécu à son aise, et qui aimait le bien passionnément. Il reprit done la pensée de l'état qu'il avait quitté, et ayant recouvré des pierreries, il acheta secrètement un petit navire pour trafiquer tout de nouveau.

Lorsqu'il était sur le point de mettre à la voile, un catéchiste, nommé Antoine, vint lui dire que le père François voulait lui parler. Deyro, qui ne pensait qu'à s'échapper, et qui n'avait confié son dessein à personne, fit semblant qu'on le prenait pour un autre. Mais comme Antoine lui soutint que c'était lui-même que le Père demandait, il n'osa pas feindre davantage, et l'alla trouver, résolu pourtant de nier tout, dans la pensée qu'on ne pouvait avoir qu'un simple soupçon de son changement et de sa fuite. Il prit pour cela un air assuré, et se présenta hardiment devant le père François. Mais Dieu avait fait connaître au Père la disposition de Deyro. Vous avez péché, lui dit Xavier en le voyant, vous avez péché. Ce peu de paroles le frappa si fort, qu'il se jeta aux pieds du Saint tout tremblant, et criant de son côté : Il est vrai, mon Père, j'ai péché. Pénitence donc, mon enfant, reprit le Père, pénitence! Deyro se confessa au même moment, il alla vendre son navire et en distribua tout l'argent aux pauvres ; il revint après se remettre sous la conduite du Père, avec un ferme propos de suivre mieux ses conseils et d'être plus fidèle à Dieu.

Quelque sincère que parût la pénitence de Deyro, Xavier ne s'y fia pas, et ses nouvelles ferveurs lui furent suspectes: aussi ne voulut-il point le recevoir en la Compagnie de Jésus, qui demande des esprits solides et constants dans leur vocation. Il ne laissa pas de le prendre pour son compagnon en qualité de catéchiste, et il le mena avec lui à Malaca; car ayant demeuré quatre mois à Méliapor, il en partit au mois de septembre de l'an 1545, malgré les larmes du peuple qui voulait le retenir, et il tint la route de Malaca, dans le dessein de passer de là à Macazar.

Avant de s'embarquer, il écrivit au père Paul de Camerin, à Goa, que quand les Pères de la Compagnie, qu'on attendait de jour en jour de Portugal, seraient arrivés, deux de ces nouveaux missionnaires accompagnassent les princes de Jafanapatan, lorsque les Portugais entreprendraient de rétablir le roi légitime; car on projetait de renouer l'expédition qu'un lâche intérêt avait rompue. Mais ce projet ne s'exécuta point, et ces princes moururent l'un après l'autre en moins de deux ans, sans que leur conversion fût utile qu'à eux-mêmes.

Tandis que le vaisseau qui portait Xavier traversait le golfe de Ceylan, il se présenta une occasion de charité que le Saint ne laissa pas échapper. Les matelots et les soldats passaient le temps, selon leur coutume, à jouer aux cartes. Deux soldats s'attachèrent au jeu, plus par avarice que par divertissement, et un d'eux joua toujours de si grand malheur, qu'il perdit non seulement tout son argent, mais encore celui qu'on lui avait mis entre les mains pour le faire profiter. N'ayant plus rien à perdre, il se retira maudissant sa mauvaise fortune et blasphémant le nom de Dieu. Son désespoir le porta si loin, qu'il se serait jeté dans la mer ou percé de son épée, si on ne l'eût empêché. Xavier apprit les emportements de ce malheureux, et vint aussitôt à son secours; il l'embrassa avec tendresse, et fit ce qu'il put pour le consoler; mais le soldat, que la fureur transportait encore, rebuta le Père, et lui dit même des injures. Xavier, s'étant un peu recueilli pour consulter Dieu, alla emprunter cinquante réales d'un des passagers, les porta au soldat, et lui conseilla de se racquitter. Le soldat reprit cœur alors, et joua si heureusement qu'il gagna beaucoup plus qu'il n'avait perdu. Le Saint, qui était présent, prit sur le gain du jeu ce qu'on lui avait prêté, et voyant le joueur dans une situation tranquille, le tourna si bien, que celui qui n'avait pas voulu l'écouter auparavant, persuadé par ses discours, ne mania jamais plus de cartes et devint un homme d'exemple.

Ils abordèrent à Malaca le 25 septembre. Comme c'est une des villes de l'Inde où le Saint dont j'écris la vie a eu plus d'affaires et a fait plus de voyages, il ne

« PoprzedniaDalej »