J'ai changé d'esclavage, ou plutôt de fupplice; Et le feul des mortels dont mon cœur fut touché, A mes vœux pour jamais devoit être arraché. Pardonnez-moi, grands Dieux, ce fouvenir funefte; D'un feu que j'ai dompté c'eft le malheureux Egine, tu nous vis l'un de l'autre charmés, Mon front chargé d'ennuis fut ceint du Diadême, Et mes prémiers amours, & mes prémiers fer mens. Tu fçais, qu'à mon devoir toute entiere atta chée, J'étouffai de mes fens la révolte cachée, Et déguifant mon trouble & dévorant mes pleurs, Je n'ofois à moi-même avouer mes douleurs. M'est-il permis de ne vous rien cacher? JOCASTE. Parle, 4 ÉGINE. Edipe, Madame, a paru vous toucher; Et votre cœur du moins fans trop de réfiftance, De vos Etats fauvés donna fa récompense. JOCASTE. Ah grands Dieux ! ÉGINE. Étoit-il plus heureux que Laïus? Ou Philoctete abfent ne vous touchoit-il plus ? Entre ces deux Héros étiez-vous partagée ? JOCASTE. Par un monftre cruel Thébe alors ravagée, Et le vainqueur du Sphinx étoit digne de moi. Vous l'aimiez ? ÉGINE. JOCAST E. Je fentis pour lui quelque tendreffe Mais que ce fentiment fut loin de la faibleffe! Ce n'étoit point, Egine, un feu tumultueux, De mes fens enchantés enfant impétueux. Je ne reconnus point cette brûlante flamme, Que le feul Philoctete a fait naître en mon ame Et qui fur mon efprit répandant fon poison, De fon charme fatal a féduit ma raison. Je fentois pour @dipe une amitié févere. Edipe eft vertueux, fa vertu m'étoit chere, Mon cœur avec plaifir le voyoit élevé Au Thrône des Thébains qu'il avoit confervé. Des transports inconnus que je ne conçus pas: Avoit été formé de fon malheureux fang; Tous deux dans le Tartare ils sembloient m'entraîner. De fentimens confus mon ame poffédée Se préfentoit toujours cette effroyable idée; ÉGINE. J'entends du bruit, on vient, je le voi qui s'a vance. JOCAST E. C'est lui-même : je tremble; évitons fa présence. NE fuyez point, Madame, & ceffez de trem bler: Ofez me voir, ofez m'entendre & me parler; N'attendez point de moi de reproches honteux, Que dicte la molleffe aux Amans ordinaires; Un cœur pour qui le vôtre avoit quelque ten dreffe, N'a point appris de vous à montrer de faibleffe. JOCASTE. De pareils fentimens n'appartenoient qu'à nous, J'en dois donner l'exemple, ou le prendre de vous. Si Jocaste avec vous n'a pû fè voir unie, Sans doute à votre oreille eft déjà parvenuë. Vous fçavez quels fléaux ont éclaté fur nous, Et qu'Edipe.. PHILOCTETE. Je fçai, qu'Edipe eft votre époux ; Je fçai, qu'il en eft digne, & malgré fa jeuneffe L'Empire des Thébains fauvé par fa fageffe, Ses exploits, ses vertus, & fur tout votre choix, Ont mis cet heureux Prince au rang des plus grands Rois: Ah! pourquoi la fortune, à me nuire constante, Emportoit-elle ailleurs ma valeur imprudente? Si le vainqueur du Sphinx devoit vous conquérir, Falloit-il loin de vous ne chercher qu'à périr? Je n'aurois point percé les ténébres frivoles D'un vain fens déguifé fous d'obfcures paroles. Ce bras, que votre aspect eût encore animé, A vaincre avec le fer étoit accoûtumé. Du monftreà vos genoux j'euffe apporté la tête... D'un autre cependant Jocafte eft la conquête : Un autre a pú jouir de cet excès d'honneur ! JOCASTE. Vous ne connaiffez pas quel eft votre malheur. PHILOCTETE. Je perds Alcide & vous, qu'aurai-je à craindre encore? JOCAST E. Vous êtes dans des lieux qu'un Dieu vengeur abhorre. Un feu contagieux annonce fon courroux, |