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Je n'ofe me flater que les Anglais fassent à Zayre le même bonneur qu'ils ont fait à Brutus, * dont on va jouer la traduction fur le Théatre de Londres. Vous avez ici la réputation de n'être ni affez dévots pour vous foucier beaucoup du vieux Lufignan, ni affez tendres pour être touchés de Zayre. Vous pallez pour aimer mieux une intrigue de conjurés, qu'une intrigue d'amans. On croit qu'à votre Théatre on bat des mains au mot de patrie, chez nous à celui d'amour ; cependant la vérité eft, que vous mettez de l'amour tout comme nous dans vos Tragédies. Si vous n'avez pas la réputation d'être tendres, ce n'est pas que vos Héros de Théatre ne foient amoureux; mais c'eft qu'ils expriment rarement leur passion d'une maniere naturelle. Nos amans parlent en amans, les vôtres ne parlent encore qu'en Poëtes.

Si vous permettez que les Français foient vos maîtres en galanterie, il y a bien des chofes en récompenfe que nous pourrions prendre de vous. C'est au Théatre Anglais que je dois la bardiesse que j'ai euë, de mettre fur la fréne les noms de nos Rois & des anciennes familles du Royaume. Il me parait que cette nouveauté pourroit être la Source d'un genre de Tragédie, qui nous eft inconnu jufqu'ici, & dont nous avons besoin. Il Je trouvera fans doute des génies heureux qui perfectionneront cette idée, dont Zayre n'eft qu'une faible ébauche. Tant que l'on continuera en France de protéger les Lettres, nous aurons affez d'Ecrivains. La nature forme prefque toujours des hommes en tout genre de talent ; il ne s'agit que de

*M. de Voltaire s'eft trompé ; on a traduit & joué Zayre en Angleterre avec beaucoup de fuccès.

les encourager S de les employer. Mais fi ceux qui fe diftinguent un peu, n'étoient foutenus par quelque récompense honorable 5 par l'attrait plus flateur de la confidération, tous les beaux Arts pourroient bien dépérir un jour au milieu des abris élevés pour eux, ces arbres plantés par Louis XIV. dégénéreroient faute de culture: le public auroit toujours du goût, mais les grands maîtres manqueroient: un Sculpteur dans fon. Académie verroit des hommes médiocres à côté de lui, n'éleveroit pas fa pensée jusqu'à Girardon Sau Puget; un Peintre fe contenteroit de fe croire fupérieur à fon confrere, & ne fongeroit pas à égaler le Pouffin. Puiffent les fucceffeurs de Louis XIV. fuivre toujours l'exemple de ce grand Roi, qui donnoit d'un coup d'œil une noble émulation à tous les Artiftes! I encourageoit à la fois un Racine & un Vanrobès. It portoit notre commerce notre gloire par delà les Indes; il étendoit fes graces fur des Etrangers, étonnés d'être connus & récompensés par notre Cour. Par tout où étoit le mérite, il avoit un Protecteur dans Louis XIV.

Car de fon Aftre bienfaisant
Les influences libérales

Du Caire au bord de l'Occident
Et fous les glaces Boréales,
Cherchoient le mérite indigent.
Avec plaifir fes mains royales
Répandoient la gloire & l'argent,
Le tout fans brigue & fans cabales,
Guillelmini, Viviani,

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Et le célefte Caffini

Auprès des lys venoient fe rendre,
Et quelque forte penfion-

Vous auroit pris le grand Newton,
Si Newton avoit pu se prendre.
Ce font-là les heureux fuccès,
Qui faifoient la gloire immortelle
De Louis & du nom Français.
Ce Louis étoit le modéle

De l'Europe & de vos Anglais.
On craignit que par les progrès,
Il n'envahît à tout jamais

La Monarchie universelle;

Mais il l'obtint par fes bienfaits.

Vous n'avez pas chez vous des fondations pareilles aux monumens de la munificence de nos Rois; mais votre nation y Supplée ; vous n'avez pas besoin des regards du maître, pour honorer récompenfer les grands talens en tout genre. Le Chevalier Steele 5 le Chevalier Vanbrouk, étoient en même temps Auteurs comiques

membres du Parlement. La Primatie du Docteur Tillotson, l'Ambaffade de M. Prior, la charge de M. Newton, le miniftere de M. Addiffon, ne font que les fuites ordinaires de la confidération qu'ont chez vous les grands hommes ; vous les comblez de biens pendant leur vie, vous leur élevez des Maufolées & des Statuës après

leur mort; il n'y a pas jusqu'aux Adrices célébres qui n'aient chez vous leur place dans les Temples à côté des grands Poëtes;

Votre Ofilde * & fa devanciere

Bracgirdle la Minaudiere,

Pour avoir fçu dans leurs beaux jours
Réuffir au grand art de plaire,

Ayant achevé leur carriere,
S'en furent avec leurs concours
De votre République entiere,
Sous un grand poële de velours
Dans votre Eglife pour toujours,
Loger de fuperbe maniere.
Leur ombre en paraît encor fiere
Et s'en vante avec les amours;
Tandis que le divin Moliere,
Bien plus digne d'un tel honneur,
A peine obtint le froid bonheur
De dormir dans un cimetiere:

Et que l'aimable le Couvreur >
A qui j'ai fermé la paupiere,
N'a pas eu même la faveur

* Fameufe Actrice, mariée à un Seigneur d'Angleterre.

De deux cierges & d'une biere;
Et que Monfieur de Laubiniere
Porta la nuit par charité

Ce corps autrefois fi vanté,

Dans un vieux Fiacre empaqueté

Vers le bord de notre riviere.

Voyez-vous pas à ce récit
L'Amour irrité qui gémit,
Qui s'envole en brisant ses armes,
Et Melpomène toute en larmes
Qui m'abandonne & fe bannit
Des lieux ingrats qu'elle embellit
Si long-temps de fes nobles charmes ?

Tout femble ramener les Français à la barbarie dont Louis XIV. & le Cardinal de Richelieu les ont tirés. Malbeur aux Politiques qui ne connaissent pas le prix des Beaux Arts. La Terre eft couverte de Nations auffi puiffantes que nous d'où vient cependant que nous les regardons prefque toutes avec peu d'eftime? C'eft par la raifon qu'on méprife dans la fociété un homme ricke, dont l'efprit eft fans goût & fans culture. Sur tout ne croyez pas, que cet empire de l'efprit, & cet honneur d'être le modele des autres Peuples, foit une gloire frivole. Elle est la marque infaillible de la grandeur d'un Empire : c'est toujours fous les plus grands Princes que les Arts ont fleuri, le décadence eft quelquefois l'époque de

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