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Gardez, me difoient-ils, que les deux enfans de Brutus paraiffent fur la scene; vous fçavez, que l'intérêt eft perdu, quand il fe partage; mais fur tout que votre piéce foir fimple; imitez cette beauté des Grecs, croyez que la multiplicité des événemens & des intérêts compliqués, n'eft que la reffource des génies ftériles, qui ne fçavent pas tirer d'une feule paffion de quoi faire cinq Actes. Tâchez de travailler chaque fcene, comme fi c'étoit la feule que vous cuffiez à écrire. Ce font les beautés de détail qui foûtiennent les ouvrages en vers, & qui les font paffer à la poftérité. C'eft fouvent la maniere finguliere de dire des chofes communes ; c'eft cet art d'embellir par la diction, ce que penfent & ce que fentent tous les hommes, qui fait les grands Poëtes. Il n'y a ni fentimens recherchés, ni avanture Romanefque dans le quatriéme Livre de Virgile; il est tout naturel, & c'eft l'effort de l'efprit humain. M. Racine n'eft fi au deffus des autres,qui ont tous dit les mêmes chofes que lui, que parce qu'il les a mieux dires. Corneille n'eft véritablement grand, que quand il s'exprime auffi-bien qu'il penfe. Souvenez-vous de ce précepte de M. Defpréaux :

Et que tout ce qu'il dit facile à retenir,

De fon ouvrage en vous laiffe un long souvenir.

Voilà ce que n'ont point tant d'ouvrages dramatiques, que l'art d'un Acteur, & la figure & la voix d'une Actrice ont fait valoir fur nos Théatres. Combien de piéces mal écrites ont eu plus de repréfentations que Cinna & Britannicus; mais on n'a jamais retenu deux vers de

ces faibles Poëmes, au lieu qu'on fçait Britannicus & Cinna par cœur. En vain le Regulus de Pradon a fait verfer des larmes par quelques fituations touchantes, l'ouvrage, & tous ceux qui lui reffemblent, font méprifés, tandis que leurs Auteurs s'applaudiffent dans leurs Préfaces.

Il me femble, Milord, que vous m'allez demander " comment des Critiques fi judicieux ont pu me permettre de parler d'amour dans une Tragédie, dont le titre eft JUNIUS BRUTUS, & de mêler cette paffion avec l'auftere vertu du Sénat Romain, & la politique d'un Ambaffadeur?

On reproche à notre nation d'avoir amolli le Théatre par trop de tendreffe, & les Anglais méritent bien le même reproche depuis près d'un fiécle; car vous avez toujours un peu pris nos modes & nos vices. Mais me permettezvous de vous dire mon fentiment fur cette matiere ?

Vouloir de l'amour dans toutes les Tragédies me paraît un goût efféminé; l'en profcrire toujours, eft une mauvaise humeur bien déraifonnable.

Le Théatre foit tragique, foit comique, est la peinture vivante des paffions humaines; l'ambition d'un Prince eft représentée dans la Tragédie; la Comédie tourne en ridicule la vanité d'un Bourgeois. Ici vous riez de la coquetterie & des intrigues d'une Citoyenne; là vous pleurez la malheureufe paffion de Phédre; de même l'amour vous amufe dans un roman, & il vous transporte dans la Didon de Virgile. L'amour dans une Tragédie n'eft pas plus un défaut effentiel, que dans l'Enéïde; il n'est à reprendre que quand il eft amené mal-à-propos, ou traité fans art. L vj

Les Grecs ont rarement hazardé cette paffion fur le Théatre d'Athenes. Premiérement, parce que leurs Tragédies n'ayant roulé d'abord que fur des fujets terribles, l'efprit des Spectateurs étoit plié à ce genre de spectacles; fecondement, parce que les femmes menoient une vie beaucoup plus retirée que les nôtres & qu'ainfi le langage de l'amour n'étant pas comme aujourd'hui le fujet de toutes les con verfations, les Poëtes en étoient moins invités à traiter cette paffion, qui de toutes eft la plus difficile à repréfenter, par les ménagemens infinis qu'elle demande.

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Une troifiéme raison qui me paraît affez forte, c'eft que l'on n'avoit point de Comédiennes; les rolles de femmes étoient joués par des hommes mafqués. Il femble que l'amour eût été ridicule dans leur bouche.

C'est tout le contraire à Londres & à Paris, & il faut avouer que les Auteurs n'auroient guéres entendu leurs intérêts, ni connu leur Auditoire, s'ils n'avoient jamais fait parler les Oldfields, ou les Duclos & les le Couvreur que d'ambition & de politique.

Le mal eft que l'amour n'eft fouvent chez nos Héros de Théatre que de la galanterie, & que chez les vôtres il dégénere quelquefois en débauche.

Dans notre Alcibiade, piéce très-fuivie, mais faiblement écrite, & ainfi peu eftimée on a admiré long-temps ces mauvais vers que récitoit d'un ton féduifant l'Efopus du dernier fiécle.

Ah! lorsque pénétré d'un amour véritable,
En gémiffant aux pieds d'un objet adorable,
J'ai connu, dans fes yeux timides ou distraits,

Que mes foins de fon cœur ont pu troubler

la paix,

Que par l'aveu fecret d'une ardeur mutuelle, La mienne a pris encore une force nouvelle ; Dans ces momens fi doux, j'ai cent fois éprouvé, Qu'un mortel peut goûter un bonheur achevé.

Dans votre Venife fauvée, le vieux Renaud veut violer la femme de Jaffier, & elle s'en plaint en termes affez indécens, jufqu'à dire qu'il eft venu à elle un button d., déboutonné.

Pour que l'amour foit digne du Théatre tragique, il faut qu'il foit le nœud néceffaire de la piéce, & non qu'il foit amené par force pour remplir le vuide de vos Tragédies & des nôtres, qui font toutes trop longues; il faut que ce foir une paffion véritablement tragique, regardée comme une faibleffe, & combattue par des remords: Il faut ou que l'amour conduise aux malheurs & aux crimes, pour faire voir combien il eft dangereux, ou que la vertu en triomphe pour montrer qu'elle n'eft pas invincible fans cela ce n'eft plus qu'un amour d'Eglogue ou de Comédie.

C'eft à vous, Milord, à décider fi j'ai rempli quelques-unes de ces conditions; mais que vos amis daignent fur tout ne point juger du génie & du goût de notre nation par ce Difcours, & par cette Tragédie que je vous envoie. Je fuis peut-être un de ceux qui cultivent les Lettres en France avec moins de fuccès; & fi les fentimens, que je foumets ici à votre cenfure, font défaprouvés, c'est à moi feul qu'en appartiene le blâme.

ACTEURS.

JUNIUS BRUTUS,

Confuls.

VALERIUS PUBLICOLA,

TITUS, fils de Brutus.

TULLIE, fille de Tarquin.

ALGINE, Confidente de Tullie.

ARONS, Ambaffadeur de Porfenna.

MESSAL. A, ami de Titus.

PROCULUS, Tribun Militaire.

ALBIN, Confident d'Arons.

SENATEURS.

LICTEUR S.

La Scéne eft à Romes

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