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nant fouvent l'horreur pour la terreur, & le dégoûtant & l'incroyable pour le tragique & le merveilleux. L'art étoit dans fon enfance à Athenes du temps d'Efchyle, comme à Londres du temps de Shakespear; mais parmi les grandes fautes des Poëtes Grecs, & même des vôtres, on trouve un vrai pathétique & de fingulieres beautés ; & fi quelques Français qui ne connaiffent les Tragédies & les mœurs étrangeres que par des traductions, & fur des ouïdire, les condamnent fans aucune restriction ils font, ce me femble, comme des aveugles, qui affûreroient qu'une rofe ne peut avoir de Couleurs vives, parce qu'ils en compteroient les épines à tâtons.

Mais fi les Grecs & vous, vous paffez les bornes de la bienséance, & fi fur tout les Anglais ont donné des fpectacles effroyables, voulant en donner de terribles; nous autres Français, auffi fcrupuleux que vous avez été téméraires, nous nous arrêtons trop de peur de nous emporter, & quelquefois nous n'arrivons pas au tragique, dans la crainte d'en paffer les bornes.

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Je fuis bien loin de propofer, que la fcene devienne un lieu de carnage, comme elle eft dans Shakespear & dans fes fucceffeurs qui n'ayant pas fon génie, n'ont imité que fes défauts; mais j'ofe croire, qu'il y a des fituations qui ne paraiffent encore que dégoutantes & horribles aux Français, & qui bien ménagées, représentées avec art, & fur tout adoucies par le charme des beaux vers, pourroient nous faire une forte de plaifir dont nous ne nous doutons pas.

Il n'eft point de ferpent ni de monftre odieux » Qui par l'art imité ne puiffe plaire aux

Du moins que l'on me dife, pourquoi il eft permis à nos Héros & à nos Héroïnes de Théa tre de fe tuer, & qu'il leur est défendu de tuer perfonne? La fcene eft-elle moins enfanglanrée par la mort d'Atalie qui fe poignarde pour fon amant, qu'elle ne le feroit par le meurtre de Céfar? Et fi le fpectacle du fils de Caton qui paraît mort aux yeux de fon pere, eft l'occafion d'un difcours admirable de ce vieux Romain; fi ce morceau a été applaudi en Angleterre & en Italie par ceux qui font les plus grands partifans de la bienféance Françaife; fi les femmes les plus délicates n'en ont point été choquées, pourquoi les Français ne s'y accoûtumeroient-ils pas ? La nature n'eft-elle pas la même dans tous les hommes ?

Toutes ces loix de ne point enfanglanter la fcene, de ne point faire parler plus de trois Interlocuteurs, &c. font des loix qui, ce me femble, pourroient avoir quelques exceptions parmi nous, comme elles en ont eu chez les Grecs; il n'en eft pas des régles de la bienféance, toujours un peu arbitraire, comme des ré-gles fondamentales du Théatre qui ont les trois unités. Il y auroit de la faibleffe & de la ftérilité à étendre une action au delà de l'espace du temps & du lieu convenables. Demandez à quiconque aura inféré dans une piéce trop d'événemens, la raison de cette faute : s'il eft de bonne foi, il vous dira, qu'il n'a pas eu affez de génie pour remplir fa piéce d'un feul fait; & s'il prend deux jours & deux Villes pour fon action , croyez que c'eft parce qu'il n'auroit pas eu l'adreffe de la refferrer dans l'efpace de trois heures, & dans l'enceinte d'un Palais, comme l'exige la vraisemblance.

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Il en est tout autrement de celui qui hazar

deroit un fpectacle horrible fur le Théatre; il ne choqueroit point la vraisemblance, & cette hardieffe, loin de supposer de la faibleffe dans l'Auteur, demanderoit au contraire un grand génie, pour mettre par fes vers de la véritable grandeur dans une action qui, fans un style fublime, ne feroit qu'atroce & dégoûtante.

Voilà ce qu'a ofé tenter une fois notre grand Corneille dans fa Rodogune. Il fait paraître une mere, qui en préfence de la Cour & d'un Ambaffadeur, veut empoifonner fon fils & fa belle-fille, après avoir tué fon autre fils de fa propre main; elle leur préfente la coupe empoifonnée, & fur leur refus & fur leurs foupelle la boit elle-même, & meurt du poifon qu'elle leur destinoit.

çons,

Des coups auffi terribles ne doivent pas être prodigués, & il n'appartient pas à tout le monde d'ofer les fraper. Ces nouveautés demandent une grande circonfpection, & une exécution de maître. Les Anglais eux-mêmes avouent que Shakespear, par exemple, a été le feul parmi eux qui ait pu faire évoquer & parler des ombres avec fuccès.

Within that circle none durft move but he.

Plus une action théatrale eft majestueuse ou effrayante, plus elle deviendroit infipide, fi elle étoit fouvent répétée ; à peu près comme les détails des batailles, qui étant par euxmêmes ce qu'il y a de plus terrible, deviennent froids & ennuyeux, à force de reparaître souvent dans les Histoires.

La feule pièce où M. Racine ait mis du fpectacle, c'eft fon chef-d'œuvre d'Athalie. On y yoit un enfant fur un Thrône, fa nourrice &

des Prêtres qui l'environnent; une Reine qui commande à fes foldats de le maffacrer, des Lévites armés qui accourent pour le défendre. Toute cette action eft pathétique; mais fi le style ne l'étoit pas auffi, elle n'étoit que puérile. Plus on veut fraper les yeux par un appareil éclatant, plus on s'impofe la néceffité de dire de grandes chofes; autrement on ne feroit qu'un Décorateur, & non un Poëte tragique. Il y a près de trente années qu'on repréfenta la Tragédie de Montezume à Paris : la fcene ouvroit par un fpectacle nouveau ; c'étoit un Palais d'un goût magnifique & barbare; Montezume paraiffoit avec un habit fingulier; des efclaves armés de fléches étoient dans le fond, autour de lui étoient huit Grands de fa Cour, profternés le vifage contre terre; Montezume commençoit la piéce en leur difant :

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Levez-vous votre Roi vous permet aujourd'hui,

Et de l'envisager, & de parler à lui.

Ce fpectacle charma; mais voilà tout ce qu'il y eut de beau dans cette Tragédie.

Pour moi j'avouë, que ce n'a pas été fans quelque crainte que j'ai introduit fur la fcene Française le Sénat de Rome en robes rouges, allant aux opinions. Je me fouvenois que lorfque j'introduifis autrefois dans @dipe un Chœur de Thébains qui difoit :

O mort, nous implorons ton funeste secours! O mort, viens nous fauver, viens terminer nos jours!

Le Parterre au lieu d'être frapé du pathétique qui pouvoit être en cet endroit, ne fentit d'abord que le prétendu ridicule d'avoir mis ces vers dans la bouche d'Acteurs peu accoûtumés, & il fit un éclat de rire. C'eft ce qui m'a empêché dans Brutus de faire parler les Sénateurs, quand Titus eft accufé devant eux, & d'augmenter la terreur de la fituation en exprimant l'étonnement & la douleur de ces peres de Rome, qui fans doute devroient marquer leur furprife autrement que par un jeu muet, qui même n'a pas été exécuté.

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Au refte, Milord, s'il y a quelques endroits paffables dans cet ouvrage, il faut que j'avouë que j'en ai l'obligation à des amis qui penfent comme vous. Ils m'encourageoient à tempérer l'austérité de Brutus par l'amour paternel, afin qu'on admirât & qu'on plaignit l'effort qu'il fe fait en condamnant fon fils. Ils m'exhortoient à donner à la jeune Tullie un caractere de tendreffe & d'innocence, parce que fi j'en avois fait une Héroïne altiére, qui n'eût parlé à Titus que comme à un fujer qui devoit fervir fon Prince, alors Titus auroit été avili, & l'Ambaffadeur eût été inutile. Ils vouloient que Titus fût un jeune homme furieux dans fes paffions, aimant Rome & fon pere, adorant Tullie, fe faifant un devoir d'être fidéle au Sénat même dont il fe plaignoit, & emporté loin de fon devoir par une paffion dont il avoit cru être le maître.

En effet, fi Titus avoit été de l'avis de fa maîtreffe, & s'étoit dit à lui-même de bonnes raifons en faveur des Rois, Brutus alors n'eûr été régardé que comme un Chef de rebelles; tus n'auroit plus eu de remords, fon pere plus excité la pitié.

LY

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