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mées, qui font plûtôt des converfations qu'elles ne font la représentation d'un évenement. Un Auteur Italien m'écrivoit dans une lettre fur les Théatres. Un Critico del nostro Paftor fido diffe che quel componimento era un riaffunto di belliffimi Madrigali, credo, se vivesse che direbbe delle Tragedie Francefi che fono un riassunto di belle Elegie 5 fontuoft Epitalami.

J'ai bien peur que cet Italien n'ait trop raifon. Notre délicateffe exceffive nous force quelquefois à mettre en récit ce que nous voudrions expofer aux yeux. Nous craignons de hazarder fur la fcene des fpectacles nouveaux devant une nation accoutumée à tourner en ridicule tout ce qui n'eft pas d'ufage.

L'endroit où l'on joue la Comédie, & les abus qui s'y font gliffés, font encore une caufe de cette féchereffe qu'on peut reprocher à quel-ques-unes de nos piéces. Les bancs qui font fur le Théatre deftinés aux Spectateurs, rétreciffent la fcene, & rendent toute action prefque impraticable. Ce défaut eft caufe que les décorations tant recommandées par les anciens, font rarement convenables à la piéce. Il empêche fur tout que les Acteurs ne paffent d'un appartement dans un autre aux yeux des Spectateurs comme les Grecs & les Romains le pratiquoient fagement, pour conferver à la fois l'unité de lieu & la vraisemblance.

Comment oferions-nous fur nos Théatres faire paraître, par exemple, l'ombre de Pompée, ou le génie de Brutus, au milieu de tant de jeunes gens qui ne regardent jamais les chofes les plus férieufes que comme l'occafion de dire un bon mot? Comment apporter au milieu d'eux fur la scene, le corps de Marcus, devant Caton fon pere, qui s'écrie: Heureux jeu

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ne bomme tu es mort pour ton pays! O mes amis, laiffez-moi compter ces glorieufes bleures! Qui ne voudroit mourir ainfi pour la patrie? Pourquoi n'a-t-on qu'une vie à lui sacrifier? Mes amis ne pleurez point ma perte, ne regrettez point mon fils; pleurez Rome: la maîtreffe du monde n'est plus ; ô liberté ! ô mæ patrie ó vertu ! &c.

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Voilà ce que feu M. Addiffon ne craignit point de faire représenter à Londres ; voilà ce qui fut joué, traduit en Italien, dans plus d'une Ville d'Italie. Mais fi nous hazardions à Paris un tel spectacle, n'entendez-vous pas déjà le Parterre qui fe recrie? Et ne voyez - vous pas nos femmes qui détournent la tête ?

Vous n'imagineriez pas à quel point va cette délicateffe. L'Auteur de notre Tragédie de Manlius prit fon fujet de la piéce Anglaife de M. Otway, intitulée, Venife Sauvée. Le fujet eft tiré de l'Hiftoire de la Conjuration du Marquis de Bedmar, écrite par l'Abbé de S. Real; & permettez-moi de dire en paffant, que ce morceau d'Hiftoire, égal peut-être à Salufte eft fort au deffus & de la piéce d'Otway & de notre Manlius.

Premiérement, vous remarquez le préjugé qui a forcé l'Auteur Français à déguifer fous des noms Romains une avanture connuë, que l'Anglais a traitée naturellement fous les noms véritables. On n'a point trouvé ridicule au Théatre de Londres, qu'un Ambassadeur Espagnol s'appellât Bedmar, & que des Conjurés euffent le nom de Jaffier, de Jacques Pierre, d'Eliot; cela feul en France eût pu faire tomber la pièce.

Mais voyez qu'Otway ne craint point d'a embler tous les Conjurés. Renaud prend Tom. II.

L

fermens, affigne à chacun fon poste, prescrit l'heure du carnage, & jette de temps en temps des regards inquiets & foupçonneux fur Jaffier dont il fe défie. Il leur fait à tous ce difcours pathétique, traduit mot pour mot de l'Abbé de S. Réal.

Jamais repos fi profond ne précéda un trouble fi grand. Notre bonne destinée a aveuglé les plus clairvoyans de tous les hommes, raffuré les plus timides, endormi les plus foupçonneux, confondu les plus fubtils: nous vivons encore,

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mes

chers amis. nous vivons, notre vie fera bien-tôt funefte aux tyrans de ces lieux, &c.

Qu'a fait l'Auteur Français? Il a craint de hazarder tant de perfonnages fur la fcene; il fe contente de faire réciter par Renaud, fous le nom de Rutile, une faible partie de ce même difcours, qu'il vient, dit-il, de tenir aux Conjurés. Ne fentez-vous pas, par ce feul expofé, combien cette fcene Anglaife eft au deffus de la Française, la piéce d'Otway fût-elle d'ailleurs monftrueufe.

Avec quel plaifir n'ai-je point vu à Londres votre Tragédie de Jules-Céfar, qui depuis cent cinquante années fait les délices de votre nation? Je ne prétends pas affûrement approuver les irrégularités barbares dont elle eft remplie. Il eft feulement étonnant qu'il ne s'en trouve pas davantage dans un ouvrage compofé dans un fiécle d'ignorance, par un homme qui même ne fçavoit pas le Latin, & qui n'eut de maître que fon génie; mais au milieu de tant de fautes groffieres, avec quel raviffement je voyois Brutus tenant encore un poignard teint du fang de Célar, affembler le peuple Romain, & lui parler ainfi du haut de la tribune aux harangues.

Romains, Compatriotes, Amis, s'il eft quelqu'un de vous qui ait été attaché à Céfar, qu'il Jcache que Brutus ne l'étoit pas moins: Oui, je Paimois, Romains, fi vous me demandez pourquoi j'ai verfé fon fang, c'est que j'aimois Rome davantage. Voudriez-vous voir César vivant,

mourir fes esclaves, plûtôt que d'acheter votre liberté par la mort ? César étoit mon ami je le pleure; il étoit heureux, j'applaudis à fes triomphes; il étoit vaillant, je l'honore ; mais il étoit ambitieux, je l'ai tué.

Y a-t-il quelqu'un parmi vous affez lâche pour regretter la fervitude? S'il en eft un feul, qu'il p parle, qu'il fe montre; c'est lui que j'ai offense: Y a-t-il quelqu'un aflez infame pour oublier qu'il eft Romain? Qu'il parle, c'est lui seul qui est

mon ennemi.

CHŒUR DES ROMAINS.
Perfonne: non, Brutus, personne.

BRUTU S.

Ainfi donc je n'ai offensé personne. Voici le corps du Dictateur qu'on vous apporte ; les derniers devoirs lui feront rendus par Antoine ; par cet Antoine, qui n'ayant point en de part au châtiment de Céfar, en retirera le même avantage que moi que chacun de vous, le bonheur inef timable d'être libre. Je n'ai plus qu'un mot à vous dire : J'ai tué de cette main mon meilleur ami pour le falut de Rome; je garde ce même poignard pour moi, quand Rome demandera ma

vie.

LE CHŒUR.

Vivez, Brutus, vivez à jamais.

Après cette fcene, Antoine vient émouvoir de pitié ces mêmes Romains, à qui Brutus avoit infpiré fa rigueur & fa barbarie. Antoine par un difcours artificieux ramene infenfiblement ces efprits fuperbes, & quand il les voit radoucis, alors il leur montre le corps de Céfar, & fe fervant des figures les plus pathétiques, il les excite au tumulte & à la vengeance.

Peut-être les Français ne fouffriroient pas que l'on fit paraître fur leurs Théatres un Chœur compofé d'Artifans & de Plebéïens Romains: que le corps fanglant de Céfar y fût exposé aux yeux du peuple, & qu'on excitât ce peuple à la vengeance du haut de la tribune aux harangues; c'eft à la coûtume, qui eft la reine de ce monde, à changer le goût des nations, & à tourner en plaifir les objets de notre averfion.

Les Grecs ont hazardé des Spectacles non moins révoltans pour nous. Hippolite brifé par fa chûte, vient compter fes bleffures & pouffer des cris douloureux. Philoctéte tombe dans fes accès de fouffrance, un fang noir coule de fa playe. @dipe couvert du fang qui dégoute encore des reftes de fes yeux qu'il vient d'arracher, fe plaint des Dieux & des hommes. On entend les cris de Clitemneftre que fon propre fils égorge; & Electre crie fur le Théatre: Frapez, ne l'épargnez pas, elle n'a pas épargné notre pere. Promethée eft attaché fur un rocher avec des cloux qu'on lui enfonce dans l'eftomac & dans les bras. Les Furies répondent à l'ombre fanglante de Clitemnestre par des hurlemens fans aucune articulation. Beaucoup de Tragédies Grecques, en un mot, font remplies de cette terreur portée à l'excès.

Je fçai bien que les tragiques Grecs, d'ailleurs fupérieurs aux Anglais, ont erré en pre

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