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fon exemple & le plaifir que me font fes ouvrages à proportion qu'il a plus ou moins obér à cette regle.

M. de la Morte ne s'eft pas contenté de vouloir ôter du Théatre fes principales regles, il veut encore lui ôter la Poëfie, & nous donner des Tragédies en profe.

Cet Auteur ingénieux & fécond, qui n'a fait que des vers en fa vie, ou des ouvrages de profe à l'occafion de ses vers, écrit contre fon Art même, & le traite avec le même mépris qu'il a traité Homere, que pourtant il a traduit. Jamais Virgile, ni le Tasse, ni M. Despréaux, ni M. Racine, ni M. Pope, ne fe font avifés d'écrire contre l'harmonie des vers, ni M. de Lully contre la Mufique, ni M. Newton contre les Mathématiques. On a vu des hommes qui ont eu quelquefois la faibleffe de fe croire fupérieurs à leur Profeffion, ce qui eft le für moyen d'être au deffous: mais on n'en avoit point encore vu qui vouluffent l'avilir. Il n'y a que trop de perfonnes qui méprifent la Poëfie faute de la connaître. Paris eft plein de gens de bon fens, nés avec des organes infenfibles à toute harmonie, pour qui de la Mufique n'eft que du bruit, & à qui la Poëfie ne paraît qu'une folie ingénieufe. Si ces perfonnes apprennent qu'un homme de mérite, qui a fair cinq ou fix volumes de vers, eft de leur avis, ne fe croiront-ils pas en droit de regarder tous les autres Poëtes comme des foux, & celui-là comme le feul à qui la raifon eft revenuë. I eft donc néceffaire de lui répondre, pour l'honneur de l'Art, & j'ole dire pour l'honneur d'un pays, qui doit une partie de fa gloire, chez les étrangers, à la perfection de cet Art même. M. de la Motte avance que la rime eft u fage barbare inventé depuis peur

ont

Cependant tous les peuples de la terre, excepté les anciens Romains & les Grecs, rimé & riment encore. Le retour des mêmes fons eft fi naturel à l'homme, qu'on a trouvé la rime établie chez les Sauvages, comme elle l'eft à Rome, à Paris, à Londres & à Madrid. Il y a dans Montagne une Chanson en rimes Amériquaines traduite en Français ; on trouve dans un des Spectateurs de M. Adiffon une traduction d'une Ode Laponne rimée, qui eft pleine de fentiment.

Les Grecs, quibus dedit ore rotundo Mufa loqui, nés fous un Ciel plus heureux, & favorifés par la nature d'organes plus délicats que les autres nations, formerent une langue dont toutes les fyllabes pouvoient par leur longueur ou leur briéveté exprimer les fentimens lents, ou impétueux de l'ame. De cette variété de fyllabes & d'intonations, résultoit dans leurs vers, & même auffi dans leur profe, une harmonie que les anciens Italiens fentirent, qu'ils imiterent, & qu'aucune nation n'a pu faifir après eux. Mais foit rime, foit fyllabes cadencées, la Poëfie, contre laquelle Mr. de la Motte fe révolte, a été & fera toujours cultivée par tous les Peuples.

Avant Hérodote, l'Hiftoire même ne s'écrivoit qu'en vers chez les Grecs qui avoient pris cette coûtume des anciens Egyptiens, le Peuple le plus fage de la terre, & le mieux policé, & le plus fçavant. Cette coûtume étoit trèsraifonnable; car le but de l'Hiftoire étoit de conferver à la poftérité la mémoire du petit nombre de Grands-Hommes, qui lui devoient fervir d'exemple. On ne s'étoit point encore avifé de donner l'Hiftoire d'un Couvent ou d'une petite Ville en plufieurs Volumes in folio.

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On n'écrivoit que ce qui en étoit digne, que ce que les hommes devoient retenir par cœur. Voilà pourquoi on fe fervoit de l'harmonie des vers pour aider la mémoire. C'eft pour cette raifon que les prémiers Philofophes, les Légiflateurs, les Fondateurs des Religions, & les Hiftoriens, étoient tous Poëtes.

Il femble que la Poëfie dût manquer communément, dans de pareils fujets, ou de précifion ou d'harmonie : mais depuis que Virgile a réuni ces deux grands mérites qui paraiffent fi incompatibles, depuis que MM. Defpréaux & Racine ont écrit comme Virgile, un homme qui les a lus tous trois, & qui fçait que tous trois font traduits dans prefque toutes les langues de l'Europe, peut-il avilir à ce point un talent qui lui a fait tant d'honneur à lui-même ? Je placerai nos Defpréaux & nos Racines à côté de Virgile, pour le mérite de la verfification; parce que fi l'Auteur de l'Enéïde étoit né à Paris, il auroit rimé comme eux, & fi ces deux François avoient été du temps d'Auguf te, ils auroient fait le même usage que Virgile de la mesure des vers Latins. Quand donc Mr. de la Motte appelle la verfification un travail méchanique 5 ridicule, c'eft charger de ce ridicule, non-feulement tous nos grands Poëtes, mais tous ceux de l'Antiquité. Virgile & Horace fe font affervis à un travail auffi méchanique que nos Auteurs. Un arrangement heureux; de fpondées & de dactyles, étoit bien auffi pénible que nos rimes & nos hemiftiches. Il faut que ce travail fût bien laborieux, puifque l'Eneïde après onze années, n'étoit pas encore dans fa perfection.

Mr. de la Motte prétend, qu'au moins une fcéne de Tragédie mite en profe ne perd rien

de fa grace ni de fa force. Pour le prouver il tourne en profe la prémiere fcéne de Mithridate, & perfonne ne peut la lire.

Mais, dit-il, nos voifins ne riment point dans leurs Tragédies. Cela eft vrai; mais ces Piéces font en vers, parce qu'il faut de l'harmonie à tous les Peuples de la terre. Il ne s'agit donc plus que de fçavoir, fi nos vers doivent être rimés ou non. MM. Corneille & Racine ont employé la rime; craignons que fi nous voulons ouvrir une autre carriere, ce ne foit plutôt par l'impuiffance de marcher dans celle de ces grands Hommes, que par le defir de la nouveauté. Les Italiens & les Anglais peuvent se paffer de rime, parce que leur langue a des inverfions, & leur Poëfie mille libertés qui nous manquent. Chaque langue a fon génie déterminé par la nature de la conftruction de ses phrafes, par la fréquence de fes voyelles ou de fes confonnes, fes inverfions, fes verbes auxiliaires, &c. Le génie de notre langue eft la clarté & l'élégance; nous ne permettons nulle licence à notre Poëfie, qui doit marcher comme notre profe dans l'ordre précis de nos idées. Nous avons donc un besoin effentiel du retour des mêmes fons, pour que notre Poëfie ne foit pas confondue avec la profe. Tout le monde connaît ces vers:

Où me cacher? Fuyons dans la nuit infernale. Mais que dis-je? Mon Pere y tient l'Urne fatale; Le fort, dit-on, l'a mise en fes féveres mains; Minos juge aux Enfers tous les pâles humains. Mettez à la place:

Où me cacher? Fuyons dans la nuit infernale. Mais que dis-je? Moh Pere y tient l'Urne funefte;

Le fort, dit-on, l'a mise en fes féveres mains; Minos juge aux Enfers tous les pâles mortels.

Quelque Poëtique que foit ce morceau, ferat-il le même plaifir, dépouillé de l'agrément de la rime? Les Anglais & les Italiens diroient également, comme les Grecs & les Romains, les pâles humains, Minos aux Enfers juge, & enjamberoient avec grace fur l'autre vers. La maniere même de réciter des vers en Italien & en Anglais fait fentir des fyllabes longues & breves, qui foûtiennent encore l'harmonie fans befoin de rimes. Nous qui n'avons aucun de ces avantages, pourquoi voudrions-nous abandonner ceux que la nature de notre langue nous laiffe?

M. de la Motte compare nos Poëtes, c'est-àdire, nos Corneilles, nos Racines, nos Defpréaux, à des faifeurs d'Acroftiches, & à un Charlatan, qui fait paffer des grains de millet par le trou d'une éguille; & ajoûte, que toutes ces puérilités n'ont d'autre mérite que celui de la difficulté furmontée.

J'avouë que les mauvais vers font à peu près dans ce cas. Ils ne different de la mauvaise profe que par la rime, & la rime feule ne fait ni le mérite du Poëte, ni le plaifir du lecteur. Ce ne font point feulement des dactyles & des fpondées qui plaisent dans Virgile & dans Homere. Ce qui enchante toute la terre, c'eft l'harmonie charmante qui naît de cette mefure difficile. Quiconque fe borne à vaincre une diffi

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