Obrazy na stronie
PDF
ePub

Qui des faibles mortels déplorant les naufrages,
Penfois toujours du bord contempler les orages;
Affervi maintenant fous la commune Loi,
Par quel trouble me vois-je emporté loin de moi?
Un moment a vaincu mon audace imprudente;
Cette ame fi fuperbe est enfin dépendante.
Depuis près de fix mois honteux, defefpéré,
Portant par tout le trait dont je fuis déchiré,
Contre vous, contre moi, vainement je m'é-
prouve,

Préfente je vous fuis, abfente je vous trouve.
Dans le fond des forêts votre image me fuit.
La lumiere du jour, les ombres de la nuit,
Tout retrace à mes yeux les charmes que j'é

vite;

Tout vous livre à l'envi le rebelle Hippolite. Moi-même pour tout fruit de mes foins fuperflus, Maintenant je me cherche, & ne me trouve plus. Mon arc, mes javelots, mon char, tout m'im

portune,

Je ne me fouviens plus des leçons de Neptune. Mes feuls gémiffemens font retentir les boiss

Er mes courfiers oififs ont oublié ma voix.

Voici comment Hippolite s'exprime dans Pradon.

Affez & trop long-temps, d'une bouche profane, Je méprifai l'amour, & j'adorai Diane ; Solitaire, farouche, on me voyoit toujours Chaffer dans nos forêts les lions & les ours.

Mais un foin plus preffant m'occupe & m'embarraffe ;

Depuis que je vous vois j'abandonne la chaffe, Elle fit autrefois mes plaifirs les plus doux,

Et quand j'y vais, ce n'eft que pour penser à

Vous

On ne fçauroit lire ces deux Piéces de comparaison, fans admirer l'une, & fans rire de l'autre. C'eft pourtant dans toutes les deux le même fond de fentimens & de pensées; car quand il s'agit de faire parler les paffions, tous les hommes ont prefque les mêmes idées : Mais la façon de les exprimer diftingue l'homme d'efprit d'avec celui qui n'en a point; l'homme de génie d'avec celui qui n'a que de l'efprit ; & le Poëte d'avec celui qui veut l'être.

Pour parvenir à écrire comme Mr. Racine, il faudroit avoir fon génie, & polir autant que lui fes ouvrages. Quelle défiance ne dois-je donc point avoir, moi qui né avec des talens

fi faibles, & accablé par des maladies conti- · nuelles, n'ai ni le don de bien imaginer, ni la liberté de corriger par un travail affidu les défauts de mes ouvrages? Je fens avec déplaifir toutes les fautes qui font dans la contexture de cette Piéce, auffi-bien que dans la diction. J'en aurois corrigé quelques-unes, fi j'avois pu retarder cette Edition; mais j'en aurois encore laiffé beaucoup. Dans tous les Arts il y a un terme par dela lequel on ne peut plus avancer. On eft refferré dans les bornes de fon talent; on voit la perfection au delà de foi, & on fait des efforts impuiffans pour y atteindre.

Je ne ferai point une critique détaillée de cette Piéce : les Lecteurs la feront affez fans moi. Mais je crois qu'il est néceffaire que je parle ici d'une critique générale qu'on a faite fur le choix du fujet de Mariamne. Comme le génie des Français eft de faifir vivement le côté ridicule des chofes les plus férieuses, on difoit que le fujet de Mariamne n'étoit autre chofe qu'un vieux mari amoureux 5 brutal, à qui fa femme refufe avec aigreur le devoir conjugal; & on ajoûtoit, qu'une querelle de ménage ne pouvoit jamais faire une Tragédie. Je fupplie qu'on faffe avec moi quelques réflexions fur ce préjugé.

Les Piéces tragiques font fondées ou fur les intérêts de toute une Nation, ou fur les intérêts particuliers de quelques Princes. De ce prémier genre font l'Iphigénie en Aulide, où la Grece affemblée demande le fang du fils d'Agamemnon: les Horaces, où trois combattans ont entre les mains le fort de Rome : l'Edipe, où le falut des Thébains dépend de la découverte du meurtre de Laïus. Du fecond genre font Britannicus, Phédre, Mithridate, &c.

Dans ces trois dernieres tout l'intérêt eft renfermé dans la famille du Héros de la Piéce : Tout roule fur des paffions que les Bourgeois reffentent comme les Princes. Et l'intrigue de ces ouvrages eft auffi propre à la Comédie qu'à la Tragédie. Otez les noms, Mithridate n'eft qu'un vieillard amoureux d'une jeune fille : fes deux fils en font amoureux auffi, il fe fert d'une rufe affez basse pour découvrir celui des deux qui eft aimé.

Phedre eft une belle-mere, qui enhardie par une intriguante, fait des propofitions à fon beaufils, lequel eft occupé ailleurs.

Neron eft un jeune homme impétueux qui devient amoureux tout d'un coup qui dans le moment veut se séparer d'avec sa femme, & Se cache derriere une tapiserie pour écouter les difcours de fa Maitreffe. Voilà des fujets que Moliere a pû traiter comme Racine. Auffi l'intrigue de l'Avare eft-elle précisément la même que celle de Mithridate. Harpagon & le Roi de Pont font deux Vieillards amoureux; l'un & l'autre ont leur fils pour rival; l'un & l'autre fe fervent du même artifice pour découvrir l'intelligence qui eft entre leur fils & leur Maîtreffe & les deux Piéces finiffent par le mariage du jeune-homme.

Moliere & Racine ont également réuffi, en traitant ces deux intrigues: L'un a amufé, a réjoui, a fait rire les honnêtes gens; l'autre a attendri, a effrayé, a fait verfer des larmes. Moliere a joué l'amour ridicule d'un vieil Avare: Racine a repréfenté les faibleffes d'un grand Roi, & les a renduës refpectables.

Que l'on donne une Noce à peindre à Vateau & à le Brun. L'un repréfentera fous une treille des Payfans pleins d'une joie naïve, groffiere

& effrénée, autour d'une table ruftique, où Pyvreffe, l'emportement, la débauche, le rire immodéré regneront. L'autre peindra les Noces de Pelée & de Thétis, les Feftins des Dieux, leur joie majeftueufe. Et tous deux feront arrivés à la perfection de leur Art par des chemins différens.

On peut appliquer tous ces exemples à Mariamne. La mauvaile humeur d'une femme, l'amour d'un vieux mari, les tracasseries d'une belle-fœur, font de petits objets comiques par eux-mêmes. Mais un Roi à qui la Terre a donné le nom de Grand, éperdûment amoureux de la plus belle femme de l'Univers; la paffion furieufe de ce Roi fi fameux par fes vertus & par fes crimes, fes cruautés paffées, les remords préfens: ce paffage fi continuel & fi rapide de l'amour à la haine, & de la haine à l'amour : l'ambition de fa fœur, les intrigues de fes Miniftres, la fituation cruelle d'une Princeffe dont la vertu & la beauté font célébres encore dans le monde; qui avoit vu fon pere & fon frere livrés à la mort par fon mari, & qui pour comble de douleur le voyoit aimée du meurtrier de fa famille ; quel champ ! quelle carriere pour un autre génie que le mien! Peut-on dire, qu'un tel fujet foit indigne de la Tragédie? C'eft là fur tout que felon ce qu'on peut-être, les chofes changent de noms

« PoprzedniaDalej »