même qu'il a pris la nature humaine, la grace est devenue en quelque manière naturelle à cet homme, et elle le met dans l'impossibilité de commettre aucun péché. » (CONCLUSION. Dès-lors que la nature humaine a été unie à la personne divine dans le Christ dès le premier instant de sa conception, et que son ame a été remplie de la grace habituelle, la grace de l'union ou la grace habituelle ne lui a pas été naturelle, en ce sens qu'elle découlât des principes constitutifs de la nature humaine; mais on dit que ces deux graces lui ont été naturelles, parce qu'elles tirent leur origine de la nature divine, et qu'elles ont été en lui dès sa naissance.) D'après le Philosophe, Metaphys., V, on entend par nature la naissance ou bien l'essence de l'être. Le mot naturel est donc susceptible de deux sens on dénomme ainsi ce qui découle uniquement des principes essentiels de l'être; par exemple, il est naturel au feu de s'élever. On attribue à l'homme comme lui étant naturel ce qu'il possède dès sa naissance, d'après cette parole de l'Apôtre, Ephes., II, 3 : « Nous étions par nature enfants de colère; » et cette autre du Sage, Sap., XII, 10: « Leur race est méchante, et la malice leur est naturelle. » On ne peut donc pas dire que la grace de l'union ou la grace habituelle que le Christ possède, lui est naturelle, comme si elle eût été produite en elle par les principes constitutifs de la nature humaine; et néanmoins on peut l'appeler naturelle, en tant qu'elle a pour cause la nature divine du Christ, de qui sa nature humaine l'a reçue. On dit encore que l'une et l'autre grace sont naturelles au Christ, parce qu'il les a possédées dès sa naissance, puisque la nature humaine a été unie à la nature divine, et que son ame a été remplie du don de la grace au premier instant de sa conception. Je réponds aux arguments: 1° Quoique l'union ne se soit pas faite en nation, sous ce rapport, c'est la personne du Verbe, comme il est dit dans la majeure de cet argument. Il importe de le bien saisir, pour bien comprendre aussi la réponse. Enchirid. (cap. 40): « Humanæ naturæ susceptione fit quodammodo ipsa gratia illi homini naturalis, qua nullum possit admittere peccatum. » (CONCLUSIO.Cùm humana in Christo natura à principio conceptionis fuerit divinæ personæ unita, animaque ejus habituali gratiâ repleta, non fuit in ipso vel unionis vel habitualis gratia naturalis, quasi ex humanæ naturæ principiis exorta; sed utraque gratia sic in illo naturalis fuisse dicitur, quòd à natura divina et ab illius nativitate in eo fuerit.) Respondeo dicendum, quòd secundùm Philosophum in V. Metaphys. (text. 3), natura uno modo dicitur ipsa nativitas, alio modo essentia rei. Unde naturale potest aliquid dici dupliciter uno modo, quod est tantùm ex et | principiis essentialibus rei, sicut igni naturale est sursum ferri; alio modo dicitur esse homini naturale, quod ab ipsa nativitate habet, secundùm illud Ephes., II: «Eramus naturâ filii iræ;>> et Sap., XII: « Nequam est natio eorum, naturalis malitia ipsorum.» Gratia igitur Christi, sive unionis sive habitualis, non potest dici naturalis, quasi causata ex principiis humanæ naturæ in Christo; quamvis possit dici naturalis, quasi proveniens in naturam humanam Christi, causante divinâ naturâ ipsius. Dicitur autem naturalis utraque gratia in Christo, in quantum eam à nativitate habuit, quia ab initio conceptionis fuit natura humana divinæ personæ unita, et anima ejus fuit munere gratiæ repleta. Ad primum ergo dicendum, quòd licèt unio non sit facta in natura, est tamen causata ex une nature, elle a cependant pour cause la puissance de la nature divine, qui est vraiment la nature du Christ; de plus, le Christ a joui de cette dès union le premier instant de sa naissance. 2o Ce n'est pas sous le même rapport qu'on dit que l'union est une grace et qu'elle est naturelle; mais on l'appelle une grace, parce qu'elle n'est la conséquence d'aucun mérite, et on la dit naturelle, parce que la puissance de la nature divine l'a réalisée dans l'humanité du Christ dès sa naissance (1). 3o La grace de l'union n'est pas naturelle au Christ par rapport à la nature humaine, comme si elle eût été produite par les principes constitutifs de cette nature. Par conséquent, elle ne convient pas nécessairement à tous les hommes. Cependant, elle lui est naturelle par rapport à la nature humaine, à raison d'une propriété de sa naissance, qui consiste en ce qu'il a été conçu du Saint-Esprit, en sorte que le même a été Fils naturel de Dieu et de l'homme. Mais relativement à la nature divine, l'union est naturelle au Christ, parce que la nature divine est le principe actif de cette grâce. Et il convient à la Trinité tout entière d'être le principe actif de cette grace. (1) Le Christ étant le Verbe fait chair devoit nécessairement être plein de grace, comme le dit de lui le plus sublime des évangélistes. C'est ce qu'exprime ce nom même de Christ, qui lui a été donné par excellence, puisqu'il signifie l'onction dont la nature humaine a été comme inondée par son union personnelle avec la divinité. Cette plénitude de grace, qui comprend la source elle-même, ne sauroit être reconnue en Jésus-Christ, sans qu'on soit obligé de dire qu'elle lui est naturelle. Mais comme c'est là une alliance de mots qui sembleroit heurter des notions antérieurement établies, saint Thomas en a fait l'objet d'une démonstration spéciale. virtute divinæ naturæ, quæ est verè natura | naturam, quasi ex principiis humanæ naturæ Christi; et etiam convenit Christo à principio causata: et ideo non oportet quòd conveniat suæ nativitatis. omnibus hominibus. Est tamen naturalis ei seAd secundum dicendum, quòd non secundùm cundùm humanam naturam propter proprietaidem dicitur gratia et naturalis; sed gratia | quidem dicitur, in quantum non est ex merito, naturalis autem dicitur, in quantum est ex virtute divinæ naturæ in humanitate Christi ab ejus nativitate. Ad tertium dicendum, quòd gratia unionis non est naturalis Christo secundùm humanam tem nativitatis ipsius, prout sic conceptus est ex Spiritu sancto, ut esset idem naturalis Filius Dei et hominis. Secundùm verò divinam naturam est ei naturalis, in quantum divina natura est principium activum hujus gratiæ. Et hoc convenit toti Trinitati, scilicet hujus gratiæ esse activum principium. QUESTION III. Du mode de l'union, considéré dans la personne qui a pris une autre nature. Maintenant nous avons à considérer l'union, en ce qui concerne la personne qui a pris une autre nature. On pose huit questions à ce sujet : 1° Convient-il à une personne divine de prendre une autre nature? 2° Cela convient-il à la nature divine? 30 Abstraction faite de la personnalité, la nature divine peut-elle en prendre une autre? 40 Une personne divine peut-elle prendre seule une autre nature? 5o Chaque personne pouvoit-elle prendre une autre nature? 6° Chaque personne pourroit-elle prendre numériquenient la même nature? 7° Une seule personne pourroit-elle prendre deux natures numériquement distinctes? 8° Convenoit-il que la personne du Fils de Dieu, plutôt qu'une autre personne divine, prit la nature humaine? ARTICLE I. Convient-il à une personne divine de prendre une nature créée ? Il paroît qu'il ne convient pas à une personne divine de prendre une nature créée. 1o La personne divine exprime une chose absolument parfaite. Or le parfait, c'est ce qui ne souffre aucune addition. Puis donc que l'assomption consiste à tirer à soi quelque chose, en sorte que la chose prise s'ajoute à celle qui la prend, il semble qu'il ne convient pas à une personne divine de prendre une nature créée. 2o L'être auquel un autre est uni par assomption se communique en quelque manière à celui-ci; ainsi, la dignité se communique à celui qui QUESTIO III. De modo unionis ex parte personæ assumentis, in octo articulos divisa. Deinde considerandum est de unione ex parte personæ assumentis. Et circa hoc quæruntur octo: 1° Utrùm assumere conveniat personæ divinæ. 2° Utrùm assumere conveniat naturæ divinæ. 3° Utrùm natura possit assumere abstractâ personalitate. 4o Utrùm una persona possit assumere sine alia. 50 Utrùm quælibet persona possit assumere. 6o Utrùm plures personæ possint assumere unam numero naturam. 70 Utrùm una persona possit assumere duas numero naturas. 8° Utrùm magis fuerit conveniens de persona Filii Dei, quòd assumpserit humanam naturam, quàm de alia persona divina. (1) Idem III, dist. 5, qu. 2, art. 1. ARTICULUS I. Utrùm persona divinæ conveniat assumere naturam creatum. Ad primum sic proceditur (1). Videtur quòd personæ divinæ non conveniat assumere naturam creatam. Persona enim divina significat aliquid maximè perfectum. Perfectum autem est, cui non potest fieri additio. Cùm igitur assumere sit quasi ad se sumere, ita quòd assumptum addatur assumenti, videtur quòd personæ divinæ non conveniat assumere naturam creatam. 2. Præterea, illud ad quod aliquid assumitur, communicatur quodammodo ei quod in ipsum assumitur; sicut dignitas communicatur ei qui 385 est élevé à cette dignité. Or, nous avons vu p. I, q. XXIX, a. 1, que la personne est essentiellement incommunicable. Donc il ne convient pas à une personne divine de prendre ou de tirer à soi une nature créée. 3o C'est la nature qui constitue la personne. Or il répugne que la chose constituée prenne son principe constitutif; car l'effet n'a pas d'action sur sa cause. Donc il ne convient pas qu'une personne prenne une nature. Mais saint Augustin dit, au contraire, De fide ad Petr., c. 2 (1): « Dieu, c'est-à-dire le Fils unique, a pris dans sa personne la forme ou la nature du serviteur. » Or Dieu le Fils unique est une personne. Donc il convient à une personne de prendre une nature; et en cela consiste l'assomption. (CONCLUSION. Puisque l'assomption consiste à tirer à soi quelque chose, et que cette action dénote le principe et le terme de l'acte, qui sont tous deux dans la personne, il s'ensuit qu'il convient très-proprement à une personne divine de prendre une nature créée.) Le mot assomption renferme deux choses, savoir le principe et le terme de l'acte; car l'assomption signifie l'action de tirer à soi quelque chose. Or la personne est à la fois le principe et le terme de cette action : Le principe, parce qu'il appartient en propre à la personne d'agir, et que c'est par une action divine que la chair a été prise de cette manière. La personne en est pareillement le terme, puisque nous avons vu plus haut q. XI, a. 1 et 2, que l'union s'est faite en une personne, et non en une nature. Evidemment donc il convient très-proprement à une personne divine de prendre une nature créée (2). (1) Cet ouvrage a été faussement attribué à saint Augustin; il est de saint Fulgence; c'est ce dont les témoignages extrinsèques et les preuves intrinsèques ne permettent pas de douter. (2) Non-seulement une personne divine a le pouvoir de prendre ou de terminer, comme parle l'école, une nature autre que la sienne, mais encore elle seule a ce pouvoir; il répugne de l'admettre dans une personne créée. En voici la raison : Une personnalité créée est une in dignitatem assumitur. Sed de ratione personæ est quòd sit incommunicabilis, ut in I. part. dictum est (1). Ergo personæ divinæ non convenit assumere, quod est ad se sumere. 3. Præterea, persona constituitur per naturam. Sed inconveniens est quòd constitutum assumat constituens, quia effectus non agit in suam causam. Ergo personæ non convenit assumere naturam. Sed contra est, quod Augustinus dicit, De fide, ad Petrum (cap. 2): « Formam (id est naturam) servi in suam accepit Deus ille (scilicet unigenitus) personam. » Sed Deus unigeniius est persona. Ergo persona competit accipere naturam, quod est assumere. (CONCLUSIO.-Cùm assumere sit ad se ali quid sumere, in quo et principium actůs et terminus (quæ personæ conveniunt) denotantur, consequens est personæ divinæ propriissimè convenire assumere.) Respondeo dicendum, quòd in verbo assumptionis duo importantur, videlicet principium actus et terminus; dicitur enim assumere quasi ad se aliquid sumere. Hujus autem sumptionis persona est principium et terminus : principium quidem, quia personæ propriè competit agere; hujusmodi autem sumptio carnis per actionem divinam facta est. Similiter etiam persona est hujus sumptionis terminus, quia, sicut suprà dictum est, unio facta est in persona, non in natura. Et sic patet quòd propriissimė competit persona assumere naturam. (1) Cùm ex professo de definitione personæ, qu. 29, art. 1. 25 Je réponds aux arguments: 1o La personne divine étant infinie, rien ne peut lui être ajouté. Aussi saint Cyrille dit, Epist. I, syn. Ephes. ad Nestor. : « Nous n'entendons pas que ce mode d'union consiste dans une apposition. » De même, l'union de l'homme avec Dieu, qui se fait par la. grace de l'adoption, n'ajoute rien à Dieu, mais ce qui vient de Dieu s'applique à l'homme. D'où il suit que ce n'est pas Dieu, mais l'homme qui est perfectionné. 2o On dit que la personne est incommunicable en ce sens qu'elle ne peut pas affecter ou informer plusieurs suppôts. Rien n'empêche cependant d'attribuer plusieurs choses à une personne. Il n'est donc pas contraire à l'essence de la personne de se communiquer de telle sorte qu'elle subsiste dans plusieurs natures; car plusieurs choses peuvent se réunir accidentellement même dans une personne créée; par exemple, on trouve dans la personne d'un même homme la quantité et la qualité. Mais ce qui est propre à la personne divine, à raison de son infinité, c'est que des natures diverses se réunissent en elle, non accidentellement, mais quant à la subsistance. 3o Nous avons dit, q. II, a. 1, que la nature humaine ne constitue pas la personne divine d'une manière absolue, mais elle la constitue seulement en tant que cette personne tire une dénomination de cette nature. En effet, ce n'est pas en vertu de la nature humaine que le Fils de Dien existe absolument, puisqu'il a existé de toute éternité, mais il lui doit seulement d'être homme; et c'est à raison de la nature divine qu'est personnalité finie. Or une personnalité finie trouve ses bornes et son espèce dans la nature même dont elle est le complément et le terme. C'est là ce qui la caractérise et la distingue. Elle ne sauroit donc prendre une autre nature ou la terminer, sans prendre en même temps une espèce différente, sans cesser d'être ce qu'elle étoit. Seule une personnalité divine, par la raison qu'elle possède une vertu infinie, peut prendre ou informer une autre nature, sans en être ni altérée ni modifiée dans sa propre essence. Ad primum ergo dicendum, quòd cùm per- | subsistat in pluribus naturis; quia etiam in persona divina sit infinita, non potest ei fieri ad- sonam creatam possunt plures naturæ concurrere ditio. Unde Cyrillus dicit in Epist. synodali accidentaliter: sicut in persona unius hominis Ephesini Concilii (1): « Non secundùm ap-invenitur quantitas et qualitas. Hoc autem est positionem conjunctionis intelligimus modum. » | proprium divinæ personæ, propter ejus infiniSicut etiam in unione hominis ad Deum, quæ tatem, ut fiat in ea concursus naturarum non est per gratiam adoptionis, non additur ali- quidem accidentaliter, sed secundùm subsistenquid Deo, sed illud quod divinum est apponi- tiam. tur homini. Unde non Deus, sed homo perficitur. Ad secundum dicendum, quòd persona dicitur incommunicabilis, in quantum non potest de pluribus suppositis prædicari; nihil tamen prohibet plura de persona prædicari. Unde non est contra rationem persona sic communicari, ut Ad tertium dicendum, quòd sicut suprà dictum est, natura humana non constituit personam divinam simpliciter, sed constituit eam secundùm quòd denominatur à tali natura. Non enim ex natura humana habet Filius Dei quòd sit simpliciter, cùm fuerit ab æterno, sed solùm quòd sit homo. Sed secundùm naturam divinam (1) Vel potiùs (ut inscribitur) in Epistola quam cum Synodo Alexandria congregata, ex provincia Egypti ad Nestorium scripsit, ac De excommunicatione inscripsit; sed refertur in Concilio Ephesino, part. I et eatenis, ut Ephesina hic notatur. |