leur succession ininterrompue la vie modèle de JésusChrist, de pratiquer les vertus que le divin Maître est venu apporter aux hommes, et de les pratiquer avec une perfection qui tienne du miracle. Ainsi la sainteté dans l'Église est un miracle de vertu qui dure depuis dix-huit siècles et qui durera jusqu'à la fin des temps, et qui à chaque instant de sa durée se trouve formé par les quatre grandes vertus chrétiennes élevées à la puissance du prodige, mêlées et confondues l'une dans l'autre, comme les fils dans un tissu, comme les fleuves dans l'Océan. La sainteté dans l'Église est un mélange magnifique de prodiges d'humilité, de prodiges de chasteté, de prodiges de charité, de prodiges de piété. IV. Mais de même que la vertu en Jésus-Christ n'était pas seulement une preuve de sa divinité, qu'elle était de plus une exhortation bienfaisante, un exemple puissant qui excitait l'imitation, ainsi la sainteté, avec l'auréole de ses miracles et l'éclat éblouissant de ses vertus, n'est pas seulement une preuve de la divinité de l'Église, elle est encore dans le monde un bienfait permanent dont chaque fidèle peut recevoir sa part. Et d'abord, bienfait du prodige extérieur; car nous devons faire cette remarque importante que jamais les saints n'ont opéré de miracles inutiles. La puissance que Dieu confiait à leurs mains bénies était la plus douce espérance des malheureux. Comme leur divin Maître, ils passaient en faisant le bien. Ceux qui souffraient et qui ne trouvaient sur la terre aucun remède à leurs maux venaient supplier les saints de toucher leurs blessures. Et maintenant qui va visiter leurs reliques, qui entreprend des pèlerinages aux chapelles qui leur sont consacrées? Ce sont des malades étiolés qui demandent les dons de la santé; ce sont de jeunes épouses que l'inexorable mort a déjà marquées de son signe; ce sont des mères éplorées dont les enfants sont exposés aux dangers de la guerre ou au courroux des flots orageux. Lorsqu'un fléau dévastateur désole un pays, le peuple épouvanté se lève, il va prendre dans l'église les châsses des saints patrons, il les porte sur ses épaules dans les rues des cités et dans les chemins qui coupent les campagnes, et il chante: Omnes sancti et sanctæ Dei, intercedite pro nobis; Saints et saintes de Dieu, intercédez tous pour nous, secourez-nous, ô vous qui avez été les protecteurs de nos aïeux; vous avez tant aimé les malheureux lorsque vous étiez sur la terre, ne les abandonnez pas maintenant que vos vertus reçoivent au ciel leur récompense. La justice de Dieu nous châtie; les nuages passent sur nos têtes sans accorder un peu de pluie à nos champs altérés; nos épis ne portent point de grain; la grêle ruine nos vignes; la mort a dépeuplé nos familles. Saints et saintes de Dieu, intercédez tous pour nous; omnes sancti et sanctæ Dei, intercedite pro nobis. Le bienfait du prodige extérieur est trop sensible dans la sainteté pour qu'on puisse le méconnaître et ne pas y recourir. Le bienfait du prodige intérieur né porte pas des fruits moins précieux. La perfection surhumaine des saints sert à conserver dans le monde l'idée de la vertu, et non-seulement l'idée, mais encore l'amour, la passion de la vertu. J'ai dit passion, et je n'ai pas employé un mot exagéré. Nous avons en nous des passions malheureuses que nous devons combattre, et notre lutte contre elles est l'œuvre de toute la vie. Nous avons aussi des passions heureuses, dont nous devons diriger l'élan généreux. Une seule chose produit en nous nos passions heureuses, l'admiration. Et par quoi notre admiration est-elle excitée? Par ce qui est beau. Nous sommes sensibles à trois sortes de beauté : à la beauté physique, à la beauté intellectuelle et à la beauté morale. Toutes les trois n'ont pas la même valeur et la même puissance. A cause de l'union de notre âme avec notre corps, la beauté physique a dans ses radieux attraits assez de force pour subjuguer ceux qui ne sont pas élevés plus haut qu'elle par une plus sublime admiration, mais elle est éphémère comme tout ce qui ne vient que de ce monde. Un souffle passe sur des traits admirés, et le regard qui se complaisait en eux s'en détourne soudain avec dégoût. De plus, comme depuis le péché originel l'harmonie entre l'âme et le corps est interrompue, plus la beauté physique impressionne vivement une sensibilité délicate, plus est elle dangereuse pour l'âme qu'elle fascine et qu'elle enchaîne à un peu de matière. Elle est pareille aux fruits menteurs de ces arbres qui croissent sur les ruines des villes maudites ils séduisent par leurs vives couleurs et leur odeur aromatique, mais le voyageur qui les porte à sa bouche expire consumé par leur venin. L'éternité dira combien de crimes et de malheurs ont désolé le monde à cause de cet éclat fugitif tombé pour un jour sur des fronts dont les vers devaient se disputer les restes dans la pourriture du tombeau. La beauté intellectuelle, c'est la vérité. Par elle la splendeur de Dieu même arrive pure et sans tache jusqu'à nous, comme un rayon ne perd rien de sa clarté en passant à travers une onde dont aucun limon n'a terni la transparence. Mais la beauté intellectuelle ne peut être admirée que par le petit nombre. Qui peut faire de la recherche de la vérité l'occupation de sa vie? Les savants, les philosophes, les théologiens peuvent seuls charmer leur esprit par la contemplation du vrai. La beauté morale est à la portée de tous; l'admiration qu'elle excite est universelle. C'est qu'elle n'est autre chose que la vertu, que la pratique du bien arrivée à une certaine perfection. Or, tous, par l'instinct même de notre nature, nous méprisons le mal et nous admirons le bien. Nous méprisons la faiblesse et la lâcheté, nous admirons la force et le courage. Les saints sont dans le monde le type le plus parfait de la beauté morale; ils doivent plus que personne exciter la passion de la vertu : c'est en effet ce qui a b lieu chaque jour. Il s'est rencontré quelquefois des hommes de génie qui ont eu des disciples (encore faudrait-il s'entendre sur ce mot, mais soit); il y a eu des platoniciens, c'est-à-dire des propagateurs des idées de Platon; il y a eu des cartésiens, c'est-à-dire des propagateurs des idées de Descartes; mais quel est l'homme illustre qui a laissé à la plus voisine postérité des imitateurs de ses vertus? Qui s'est proposé Socrate ou Caton pour modèle, je ne dis pas pendant sa vie entière, mais seulement pendant une semaine? Il n'y a que les saints de l'Église catholique qui ont excité autour d'eux et longtemps après eux le désir de leur être semblable, l'amour des vertus qu'ils ont pratiquées. Saint Benoît, saint François d'Assise, saint Dominique sont morts depuis plusieurs siècles, mais leurs vertus ont laissé dans l'humanité une trace ineffaçable. Il y a encore aujourd'hui des religieux qui portent leurs noms, qui vivent comme ils vivaient, qui sont vêtus comme ils étaient vêtus, qui travaillent comme ils travaillaient, qui prient comme ils priaient. Dira-t-on que la vertu des saints est trop extraordinaire, qu'il ne nous est pas possible d'en atteindre la perfection, à moins que Dieu n'opère en nous comme il a opéré en eux, et qu'on aimerait mieux une vertu plus à notre portée? Mais, si les saints n'avaient qu'une vertu ordinaire, ils n'exciteraient qu'une faible admiration et ils ne rempliraient pas les desseins de Dieu. |