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REMARQUES

SUR

DEUX ÉPITRES D'HELVÉTIUS'.

PREMIÈRE ÉPITRE.

SUR L'ORGUEIL ET LA PARESSE D'ESPRIT.

La première leçon donnait à cette épître un titre trop développé. Helvétius y annonçait qu'il se proposait de prouver que tout est rapport; que les philosophes se sont perdus dans le vague des idées absolues; qu'ils eussent mieux fait de travailler au bien << de la société; que Locke nous a ouvert la route de « la vérité, qui est celle du bonheur. >>

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Voici la note que Voltaire adressait à ce sujet à son jeune élève :

« Ce titre est un peu long et ne paraît pas extrê«<mement clair. Le mot d'idées absolues ne donne <«< pas une idée bien nette. D'ailleurs, en général, la <«< chose n'est pas vraie. Il y a un temps absolu, un

Ces remarques ont été publiées pour la première fois en l'an vIII (1800), par François de Neufchâteau, dans le tome second de son Conservateur. Les préambules et explications sont de François de Neufchâteau. Ces Remarques sont postérieures au 31 mai 1740, puisque, dans une note de la page 586, il est question du roi de Prusse, Frédéric II. N'ayant pas découvert lear date précise, je les ai laissées à la suite des Conseils. B.

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« espace absolu, etc. Locke les considère comme tels, «<et vous êtes ici partisan de Locke. Locke n'est point regardé comme un philosophe moral, qui ait aban<< donné l'étude des choses abstraites pour envisager <<< seulement la vertu. La route de la vérité n'est pas toujours celle du bonheur. On peut être très mal« heureux, et savoir mesurer des courbes; on peut <«< être très heureux, et ignorant. >>

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Helvétius, en conséquence de cet avis judicieux, a rendu son titre plus simple. Il avait mis d'abord « que c'est par les effets qu'on doit remonter aux cau<«<ses, en physique, métaphysique, et morale. » Mais, il a bien vu que ceci était encore trop long, et il donne enfin à l'épître ce dernier titre clair et simple, Sur l'orgueil et la paresse de l'esprit.

Ire LEÇON.

Les six premiers vers paraissaient à Voltaire un peu embrouillés; il dit à cette occasion: «Mettez les six premiers vers en prose, et demandez à quelqu'un s'il << entendra cette prose: la poésie demande la même «< clarté au moins. >>

De la droite raison les rapports sont les guides a.
Ils ont sondé les mers, ils ont percé les cieux.

a Diriez-vous, dans un discours: Les rapports sont les guides de la raison ? Vous diriez Ce n'est que par comparaison que l'esprit peut juger; c'est en examinant les rapports des choses que l'on parvient à les connaître. Mais les rapports en général, et les rapports qui sont les guides, font un sens con

fus. Ce qu'on examine peut-il être un guide?

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Les plus vastes esprits, sans leur secours heureux,
Sont, entre les écueils, des vaisseaux sans boussoles.
De là ces dogmes vains si savamment frivoles,

De ces célèbres fous ingénieux romansa.

Mon œil, s'écriait l'un, perce au-delà des temps 1.
Écoutez-moi; je vais, sagement téméraire,
De la création dévoiler le mystère.

Helvétius disait ensuite, en parlant du système inventé par les mages :

Un Dieu, tel autrefois qu'une araignée immense,
Dévida l'univers de sa propre substance,

Alluma les soleils, fila l'air et les cieux,

Prit sa place au milieu de ces orbes de feux, etc.c.

Les mages, dit Burnet, sont des visionnaires
Dont le faible Persan adopte les chimères d.

Ainsi sous de grands mots la superbe sagesse,

a Ceci me paraît bien écrit.

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Quoi! tout d'un coup passer de cette exposition, qu'il faut examiner les rapports, aux systèmes sur la formation de l'univers! Il faudrait vingt liaisons pour amener cela; c'est un saut épouvantable! voilà le principe de continuité bien violé.

N'est il pas tout naturel de commencer votre ouvrage par dire en beaux vers qu'il y a des choses qui ne sont pas à la portée de l'homme? Ce tour vous menait tout droit à ces différents systèmes sur la création, sans parler des rapports, qui n'ont aucun rapport à ces belles rêveries des philosophes.

© Les Indiens ont inventé la comparaison de l'araignée; mais, outre qu'une araignée immense fait en vers un fort vilain tableau, comment estce qu'une araiguée qui dévide peut allumer un soleil? Quand on s'asservit à une métaphore, il faut la suivre. Jamais araignée n'alluma rien : elle file et tapisse; elle ne dévide pas même.

d On croit que des mages vous allez passer aux Égyptiens, aux Grecs, etc.; vous sautez à Burnet : le saut est périlleux.

Le reste du système ridicule de Burnet me paraît bien exprimé.

A ses propres regards dérobant sa faiblesse,
Étayant son orgueil de dogmes imposteurs,
Disputa si long-temps pour le choix des erreurs a.
Ainsi l'orgueil s'égare en de vagues pensées :
Ainsi notre univers, par ses mains insensées
Tant de fois tour-à-tour détruit, rédifié,

N'est encore qu'un temple à l'erreur dédié b.
Heureux si l'homme encor, moins souple à l'imposture,
Maître de s'égarer au champ de la nature,
Par-delà ses confins n'eût puisé ses erreurs !

Un autre peint de Dieu les attributs, l'essence,
Remet tout au destin, dit son pouvoir, son nom,
Croit donner une idée, et ne forme qu'un son

nd.

Sans les rapports, enfin, la raison qui s'égare
Prend souvent pour idée un son vain et bizarre £;
Et ce ne fut jamais que dans l'obscurité

Que l'Erreur s'écria: Je suis la Vérité.

Pourquoi donc le malheur

a Très beau, et l'imitation de Corneille en cet endroit est un coup de maitre.

Me parait excellent.

Ce puisé ne me paraît pas propre ; j'aimerais mieux cherché. Ce qui précède est beau.

d Ce dernier vers est très beau ; mais prenez garde qu'il appartient à tous les rêveurs dont il est question. Il faut, pour qu'une idée soit parfaitement belle, qu'elle soit tellement à sa place qu'elle ne puisse pas être ailleurs.

* Il semble par ces rapports enfin que vous ayez parlé une heure des rapports; mais vous n'en avez pas dit un seul mot. Je vois bien qu'en fesant votre épître, vous pensiez que tous ces philosophes prétendus n'avaient point examiné les rapports et la chaine des choses de ce monde, qu'ils n'avaient point raisonné par analyse, que ce défaut était la source de leurs erreurs. Mais comment le lecteur devinera-t-il que ce soit là votre pensée ?

f Ce son vain et bizarre n'a nulle analogie à l'obscurité, et cela forme des métaphores incohérentes. C'est le défaut de la plupart des poëtes anglais. Jamais les Romains n'y ont tombé. Jamais ni Boileau ni Racine ne se sont permis ces amas d'idées incompatibles.

Est-il chez les humains le seul législateura?
Pourquoi créer le nom de vertus absolues b?

Locke étudia l'homme. Il le prend au berceau,
L'observe en ses progrès, le suit jusqu'au tombeau,
Cherche par quel agent nos ames sont guidées;
Si les sens ne sont point les germes des idées.
Le mensonge jamais, sous l'appui d'un grand nom,
Ne put en imposer aux yeux de sa raison.

Malbranched, plein d'esprit et de subtilité,
Partout étincelant de brillantes chimères,
Croit en vain échapper à ses regards sévères.
Dans ses détours obscurs, Locke le joint, le suit;
Il raisonne, il combat; le système est détruit.

Locke vit les effets de l'orgueil impuissant,

Rendit l'homme moins vain, et l'homme en fut plus grand®.

Du chemin des erreurs Locke nous arracha,
Dans le sentier du vrai devant nous il marcha f.
D'un bras il apaisa l'orgueil du platonisme,

De l'autre il rétrécit le champ du pyrrhonisme 8.

a Ce n'est point le malheur qui est le législateur des humains, c'est l'amour-propre. On dit bien que le malheur instruit; mais alors il est précepteur, et non législateur.

b Vertus absolues ne s'entend point du tout. Tout cet endroit manque encore de liaison et de clarté; et, sans ces deux qualités nécessaires, il n'y a jamais de beauté.

C L'endroit de Locke est bien; aussi les idées en sont-elles liées, les mots sont propres, et cela serait beau en prose.

d L'endroit de Malebranche, bien écrit, parcequ'il est sagement écrit. eCe n'est pas grande merveille que l'homme moins vain soit plus grand, cela ne rend pas la belle devise de Locke: Scientiam minuit ut certiorem faceret : « Il diminua la science pour augmenter la certitude. »

f Ce vers est beau.

8 Voilà deux vers admirables et que je retiendrai par cœur toute ma vie Je vous demande même la permission de les citer dans une nouvelle édition des Éléments de Newton, à laquelle j'ajoute un petit traité de ce que pensait

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