Obrazy na stronie
PDF
ePub

salut, répète-t-il ailleurs, c'est Dieu, la cause instrumentale, c'est la passion du Christ (1). » Il va sans dire que l'efficacité principale de Dieu est physique; donc l'activité instrumentale est du même ordre. C'est d'ailleurs l'explication que donne saint Thomas lui-même : « La chair dans laquelle le Christ a souffert la passion est l'instrument de la divinité, et opère la rémission de nos péchés par voie de causalité efficiente (2). »

« C'est la vertu divine seule qui opère les vrais miracles, car Dieu seul peut changer l'ordre de la nature. Aussi bien, dit saint Léon, il y a dans le Christ deux natures: l'une divine, qui se manifeste par les miracles, l'autre humaine, qui succombe aux injures. Et cependant l'une agit avec communication de l'autre, en tant que la nature humaine est l'instrument de l'action divine, et que l'action humaine tire sa vertu de la nature divine (3).

Appliquées à la causalité morale, ces paroles seraient inintelligibles. Dans l'ordre moral le Christ-Homme est cause principale des effets surnaturels, et on ne peut pas dire que son action tire toute sa vertu de la nature divine. La communication des deux natures est certainement physique, leur opération à toutes deux doit l'être aussi : donc la nature humaine est l'instrument physique de la divinité.

D'ailleurs, toute la suite de ce travail contribuera à mettre en lumière la pensée de saint Thomas.

III

LES RAISONS THÉOLOGIQUES

L'Humanité sainte est plus que le manteau extérieur du Verbe, plus que son signe sensible, plus que son écho, plus même que sa voix; elle est son organe vivant, sa coopératrice inséparable dans toute l'économie de la Rédemption. Ne faut-il pas dès lors, que l'activité du Verbe soit transmise à cet instrument? Si cette

(1) III P., q. 48. a. 6. (2) III P., q. 49, a. 1. (3) III P., q. 43, a. 2.

nature bénie est vraiment l'associée de la Divinité, elle doit avoir sa part dans l'œuvre surnaturelle; ce que fait la personne divine pour notre salut passera par l'Humanité. Celle-ci, sans doute, ne marche pas l'égale du Verbe, elle n'a pas comme lui une causalité principale pour opérer les miracles; du moins convient-il qu'elle ne soit pas exclue de ces œuvres de puissance et d'amour, mais qu'elle en soit le véhicule et l'instrument.

Il semble que le Verbe doit bien cela à son épouse. Il ne suffit pas à un Dieu d'apporter une simple dot à sa fiancée, de la parer,

de l'embellir ces noces ineffables exigent qu'il y ait donation entière et que Dieu communique tout ce que la créature peut recevoir. Le pouvoir infini, la causalité principale ne se transmettent pas; l'associée, la bien-aimée aura, au moins, cette activité instrumentale qui est possible, qui est si noble et qui semble la couronne nécessaire de l'épouse du Verbe.

C'est un principe admis déjà pour la sainte Vierge que toute prérogative qui est réclamée par de hautes convenances a été sûrement accordée à la Mère de Dieu (1). Cette règle est plus évidente encore dans le cas présent. Toute perfection qui est possible, qui ne nuit pas au but de la Rédemption, que les convenances demandent, a été départie à l'Humanité de Notre-Seigneur. Un théologien ne refusera pas de souscrire à cet axiome: Ce qui convient à la gloire de son Christ, le Tout-Puissant l'a fait. Le privilège dont nous parlons, loin de contrarier la fin de l'Incarnation, sert à la procurer. Le salut du genre humain sera plus facilement obtenu si l'Humanité rédemptrice est l'instrument physique chargé de porter aux âmes la vertu qui guérit et qui sanctifie. D'autre part, nous avons vu que de sublimes convenances réclament une telle perfection pour cette nature humaine, organe vivant du Verbe, en même temps que son épouse ineffablement aimée.

Il nous semble que c'est amoindrir Notre-Seigneur que de le considérer seulement comme une occasion ou un auxiliaire moral des opérations surnaturelles. Les Saints aussi peuvent être l'occasion et la cause morale des miracles par leurs prières. Si l'Humanité de Jésus ne fait que cela, même à un degré supérieur, elle n'est plus la privilégiée. Libre à d'autres de combattre cette cau(1) Nous l'expliquons dans La Mère de Grâce : La plénitude d'universalité.

salité physique, pour nous, nous la trouvons dans ce juste et fécond axiome : « Dieu devait à son Verbe fait chair tous les privilèges et toutes les gloires que peut porter une nature humaine (1). »

On nous dit que notre thèse se heurte à des difficultés insolubles. Pour montrer que ces objections ne sont pas si redoutables, il suffit d'établir que les deux conditions de la causalité instrumentale sont réalisées dans l'Incarnation : 1° la nature humaine en Notre-Seigneur a reçu de la personne divine une vertu efficace pour concourir aux œuvres surnaturelles; 2° l'Humanité exerçait une action préalable à celle du Verbe, agent principal.

Nous observerons tout d'abord que l'Humanité de Notre-Seigneur ne possédait pas une qualité propre et permanente pour faire des miracles. Une telle vertu, dit saint Thomas, est chimérique et contradictoire (2). Porter en soi d'une manière habituelle la puissance de produire la grâce ou d'opérer des miracles ne convient qu'à la cause infinie. Jésus-Homme serait donc l'auteur principal de ces effets, ce que nous avons déjà déclaré impossible. C'est dans ce sens que doit s'interpréter, semble-t-il, un texte, souvent mal compris, de saint Thomas « L'âme du Christ n'avait aucune vertu pour changer le cours de la nature ou faire des miracles, sinon par manière d'intercession (3). » Voilà bien ce que nous avons déclaré nous-même plus haut : l'Humanité du Sauveur est cause principale de la grâce et des miracles dans l'ordre de la causalité morale, non dans celui de la causalité physique.

Mais cette qualité habituelle n'est point nécessaire à l'activité instrumentale; il suffit d'une motion transitoire et efficace. Si nous pouvons, causes infirmes, transmettre à nos instruments débiles une influence qui les rend coopérateurs de nos œuvres, le Verbe

(1) P. MONSABRÉ. Carême de 1879, 41o Conférence.

(2) II II, q. 178, a. 1, ad 1.

(3) « Nullam fuisse virtutem in Christi anima ad immutandam legem vel cursum naturæ, sive ad patranda miracula, nisi per modum orationis aut intercessionis. » III Dist. 16, q. 1, a. 3. Cajétan pense que saint Thomas s'est rétracté dans la Somme. Les divers passages du Docteur Angélique peuvent pourtant se concilier : dans le Commentaire sur les Sentences il en a vue une vertu propre et permanente, dans la Somme il parle d'une vertu transitoire et instrumentale.

serait-il incapable de communiquer à l'Humanité, son épouse, des énergies pour lui permettre de concourir physiquement à l'exécution du plan surnaturel? Ici, la cause et l'instrument s'embrassent dans une étreinte si profonde qu'il en résulte une seule personne. Comme il semble convenable que l'instrument conjoint reçoive la touche du Verbe sanctificateur!

Cette vertu doit être spirituelle comme les effets qu'elle produit, et il n'y a aucune impossibilité à ce qu'une motion spirituelle passe par la chair sacrée du Sauveur.

Quoi donc une activité spirituelle peut-elle être reçue dans un sujet matériel? Oui et non. - Non, s'il s'agit d'une qualité permanente qui devrait s'enraciner et persévérer dans un corps. Car l'accident complet est fait pour le sujet qui le porte, il doit s'ajuster, se mesurer à lui, et dans ce cas se vérifie l'axiome: Quidquid recipitur ad modum recipientis recipitur. Lorsque le support est matériel, la qualité qui repose sur lui le sera au même degré. — Oui, s'il est question d'une activité purement transitoire. Une motion de ce genre est faite pour passer; elle tend uniquement vers son terme, et nous l'appelons intentionnelle parce qu'elle reporte notre intention vers le but qui est toute sa raison d'être. C'est donc à ce terme qu'elle doit se proportionner et s'adapter, et non point au sujet qu'elle traverse. Puisqu'elle n'est point faite pour celui-ci, elle n'a pas à se mesurer à lui; ici donc ne se vérifiera plus l'axiome: Tout ce qui est reçu l'est à la manière du sujet.

Bien loin de concevoir la moindre répugnance à ce qu'une motion spirituelle touche les êtres corporels, nous trouvons que cela est naturel et nécessaire, afin que le monde sensible soit uni et subordonné au monde intellectuel, qui doit le régir et le mouvoir. Comment Dieu et l'ange agiront-ils sur nous si une vertu spirituelle ne peut actionner un corps?

[ocr errors]

Mais, réplique-t-on, cette influence passagère, incomplète, est-elle assez forte pour atteindre des effets aussi excellents que les œuvres surnaturelles ? Si elle est imparfaite, c'est dans sa nature, qui passe, non dans son efficacité, qui lui vient de Dieu. L'éclair, l'étincelle ont une existence bien courte, et leur causalité est cependant merveilleuse. De même, cette motion, bien que transitoire, est d'une activité irrésistible: elle n'est qu'un éclair, mais

elle porte Dieu; le Tout-Puissant passe avec elle, et, quand elle a touché un être, cet être a senti Dieu. Elle peut atteindre les effets les plus nobles, parce que son efficacité n'est pas à elle, c'est le pouvoir même de la cause principale dont la vertu est infinie.

Bien que cette force instrumentale soit passagère, le Verbe la prête toujours à l'Humanité, son instrument inséparable. Le Christ peut en user à son gré; aussi quelle facilité dans ses miracles! << Il fallait aux prophètes de l'ancienne loi de longues veillées auprès des morts qu'ils voulaient ressusciter; le saint se recueille et s'abîme dans la prière, pour obtenir, en faveur de quelque misérable, l'intervention de la puissance divine. On reconnaît à leur attitude des serviteurs humiliés. Un mot, un geste, un regard, un attouchement du Sauveur suffisent pour opérer les plus grands prodiges. On sent qu'il est le maître (1). »

Examinons la seconde condition. Pour les instruments du Créateur (nous l'avons expliqué dans notre premier chapitre), il n'est pas nécessaire que leur vertu naturelle soit proportionnée à l'effet divin, il leur suffit d'exercer une action préliminaire que Dieu puisse élever : oui, action propre, naturelle, préalable, car, s'ils ne font rien, ils sont de simples occasions, non des coopérateurs physiques; mais nul besoin que cet apport soit entièrement proportionné, puisque Dieu, qui n'est pas une cause indigente, peut se servir même de ce qui est infirme pour ses plus grandes merveilles. Nous avons déjà remarqué dans chacun des miracles évangéliques ce concours de la sainte Humanité: Jésus touche les malades, accomplit sur eux des rites, des onctions symboliques, comme pour la guérison des aveugles. Ses paroles peuvent contribuer à donner la santé aux infirmes. Ses ordres signifiés aux vents et à mer apaisent la tempête. Ses menaces proférées avec tant d'autorité sur le démon: Tais-toi, sors de cet homme! concourent à délivrer le possédé; son commandement efficace: Lazare, lève-toi du tombeau! n'est-il pas l'expression sensible et humaine qui porte la vertu divine et sert à la résurrection?

Ainsi des autres miracles: paroles, regards, attouchements de sa chair sacrée, ou même seulement actes de l'intelligence et de la volonté, nous trouvons toujours une action préalable de l'Hu

(1) P. MONSABRÉ. Carême de 1879, 38° Conférence.

« PoprzedniaDalej »