Obrazy na stronie
PDF
ePub

mais il espérait que si un homme plus savant, plus favorisé, ayant plus de loisir, améliorait son édition autant qu'il avait amélioré lui-même les éditions antérieures, on aurait enfin un Sénèque qui pourrait être lu sans ennui. Il avait ajouté des notes peu nombreuses et courtes, afin d'empêcher les altérations à l'avenir. Pétrarque avait écrit la vie du philosophe d'après Suétone, Tacite et saint Jérôme. Érasme en donnait un extrait, mais sans nommer l'auteur. A ses yeux, Sénèque n'était pas un chrétien semblable à Nicodème, comme certains le prétendaient vainement; les lettres sur lesquelles s'appuyait cette opinion étaient apocryphes, et il était aisé d'y découvrir l'œuvre d'un écolier. Si Sénèque avait été chrétien, n'aurait-il pas laissé voir sa croyance au moins dans les derniers écrits de sa vieillesse? Néron n'en aurait-il rien su, et en quête de crimes imaginaires, ne l'aurait-il pas accusé de christianisme? Mais ce qui levait tous les doutes, c'est que dans ses derniers écrits Sénèque parlait quelquefois des dieux et des déesses et doutait même de l'immortalité de l'âme. On pourrait admettre qu'il eût dissimulé sa foi par crainte de la mort; mais non que dans des livres publiés il se fût mis en contradiction avec les dogmes chrétiens.

Au reste, il valait mieux lire les livres de Sénèque comme ceux d'un païen; « car, disait Érasme, si vous voyez en lui un païen, vous trouverez qu'il a écrit en chrétien; si vous voyez en lui un chrétien, vous trouverez qu'il a écrit en païen. En effet, il y a dans les livres des païens des choses qui peuvent mieux nous exciter à la vertu, par cela même qu'elles nous viennent des païens. Certaines de leurs paroles, certaines de leurs actions, condamnables devant la sagesse chrétienne, ont cependant un singulier caractère de vertu, comme cette parole de Socrate, « je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien» parole extravagante en ellemême, mais bien capable de nous faire rougir de notre arrogance; comme aussi l'action de Lucrèce, détestable en ellemême, mais bien propre à nous inspirer l'amour de la

chasteté. De même, si on lit Sénèque comme un païen, le bien fera plus d'impression et le mal aura moins de danger. Il a de fausses notions sur Dieu. Son système est celui du panthéisme en opposition formelle avec les dogmes chrétiens. Il est plus près de la morale que de la théologie du christianisme. Combien donc la lecture de Sénèque serait dangereuse, si on lisait ses livres comme venant d'un chrétien ! »

Quant aux qualités de l'écrivain, Érasme acceptait le jugement de Quintilien. Aux yeux de ce critique, un de ses plus grands mérites, c'était d'élever l'âme du lecteur, de l'enflammer d'un merveilleux amour pour ce qui est honnête. Toutefois il fallait reconnaître ses défauts. Il fut un censeur peu équitable du génie d'autrui. On voit par là qu'Érasme regardait Sénèque le rhéteur et Sénèque le philosophe, comme un seul et même personnage; car c'est dans les Déclamations qu'on trouve ces jugements passionnés qui n'épargnaient ni Virgile, ni Cicéron. La satire des vices et des mœurs n'était pas elle-même irréprochable. Il tombait souvent dans l'exagération, la recherche, la bouffonnerie. Il allait jusqu'à peindre certains raffinements de luxure dont la description n'était pas sans danger pour les mœurs. Il voulait tout dire par sentences; il visait sans cesse aux traits brillants et aux pensées fines. Il déployait un pathétique affecté et à tout propos. Dans les grands sujets, il n'était dépourvu ni de grandeur, ni de pompe tragique; son éloquence était éminemment théâtrale. Il manquait d'ordre dans la composition. L'unité, si importante dans toute œuvre littéraire, tant recommandée par Aristote, lui faisait défaut. En écrivant, il suivait plutôt l'élan de son esprit que le jugement de sa raison. Il s'avançait avec impétuosité et par saillies. Sa construction était mauvaise. Il n'employait guère les conjonctions qui sont comme les nerfs du discours. Il affectait de parler autrement que les autres. Il réprouvait les questions subtiles, et il donnait souvent lui-même dans cet abus. Pour ce qui regarde les Tra

gédies, quelques-uns les attribuaient à son fils, d'autres à son frère. Érasme croyait qu'elles n'étaient pas l'ouvrage d'un seul homme.

J'ai voulu donner une idée de cette préface regardée comme très judicieuse par Joseph Scaliger lui-même. Elle mérite d'être méditée par tous ceux qui veulent lire Sénèque avec profit. Je ne m'arrêterai pas sur le Quinte-Curce, corrigé et enrichi de quelques notes, qui fut imprimé à Strasbourg chez Mathias Schurer en 1517. L'année suivante, Érasme donna Suétone et les autres historiens des Césars. Par un hasard heureux, Suétone n'avait pas été trop altéré. Érasme, avec le concours d'autres hommes instruits, croyait l'avoir rétabli à peu près dans son intégrité, grâce à un manuscrit très ancien que Montjoy, gouverneur de Tournai, avait trouvé dans la bibliothèque du couvent de Saint-Martin. En 1525, il publia Pline l'Ancien, pour lequel il ressentait la plus grande admiration. « Ce n'est pas un ouvrage, disait-il; c'est un trésor, l'encyclopédie universelle de tout ce qui mérite d'être su... Pline fait connaître l'univers... Un tel auteur a rendu illustres tous ceux qui ont travaillé sur son œuvre. Ce monument divin était perdu pour les modernes, si de très grands esprits n'avaient rivalisé d'efforts pour le tirer de ses ruines. Ici la première gloire appartient sans contestation à Hermolaus Barbarus qui a fait plus de restitutions que tous les autres. G. Budé a aussi donné à cette œuvre un concours assez actif avec la science consommée et l'exactitude qui lui sont propres. Après lui, Nicolas Béraud, joignant à la culture des lettres la profonde connaissance des mathématiques et la rectitude du jugement, s'y est appliqué avec un zèle consciencieux. >>

« Enfin le dernier de tous, Jean Césarius, habile en tout genre de savoir, a rendu de notables services; mais il reste toujours à faire. La négligence des imprimeurs oblige les savants à recommencer sans cesse la toile de Pénélope. Aucun auteur assurément ne mérite mieux que Pline une restaura

tion complète. Tous les hommes doctes doivent y apporter leur tribut. Ne rien oser ici, lorsque tant d'autres l'ont fait avec bonheur, c'est être superstitieusement scrupuleux; changer une ancienne leçon sur la plus légère conjecture, c'est être téméraire; noter ce que l'on a découvert d'après des indices dignes de foi et fournir aux savants des données pour les progrès ultérieurs, c'est montrer un zèle religieux. » Érasme, à l'aide d'un manuscrit fort ancien, mais d'une écriture très fautive, avait restitué un assez grand nombre d'endroits qui ne pouvaient être corrigés sans un tel secours. et que personne jusque-là n'avait signalés. Pline fut imprimé avec un grand soin par Froben et dédié à l'évêque d'Olmutz.

Il ne négligea pas les Grecs. En 1531, il donna son concours à Simon Grynous qui fit paraître à Bâle, chez Jean Bebelius, une édition grecque d'Aristote. La principale part dans cette œuvre revenait à Grynous; mais il y ajouta une préface qui n'était pas sans valeur. Il rendait justice au grand imprimeur de Venise, Alde, qui le premier avait donné au public Aristote en grec. Mais cette édition avait l'inconvénient d'être chère et, par suite, peu à la portée des hommes studieux qui n'étaient pas favorisés du côté de la fortune. Elle ne se trouvait guère qu'en Italie où elle avait même fini par devenir fort rare. L'édition de Bebelius vint donc fort à propos. Elle était en beaux caractères et d'un prix accessible à toutes les fortunes. De plus, le texte était beaucoup plus pur, grâce aux efforts habiles et consciencieux de Grynous. Il avait consulté d'excellents manuscrits. Pour les ouvrages de dialectique en particulier, il avait eu dans les mains un texte très correct où il ne se trouvait presque aucune page dont on ne retirât quelque profit. Pour la grande Physique, on avait eu recours à Simplicius et, au vir livre, au lieu de la Paraphrase de Themistius, on avait rétabli le texte même d'Aristote d'après l'autorité de ce commentateur. Dans les livres sur les Animaux, des passages assez nombreux avaient été

corrigés avec le secours de la traduction de Théodore Gaza. Les livres de la Métaphysique paraissaient peu altérés ; mais l'auteur ne semblait pas avoir mis la dernière main à cet ouvrage. La Morale à Nicomaque était en bon état et n'avait pas grand besoin d'être corrigée.

Érasme appelait la faveur et la reconnaissance du monde savant sur cette édition de Bebelius qui n'avait reculé ni devant la fatigue ni devant la dépense pour donner au public un auteur si digne d'être lu, ne voulant pas, comme tant d'autres, chercher un gain prompt et assuré par des publications frivoles. Judicieux appréciateur du génie d'Aristote, il le regarde comme le prince et l'organisateur véritable de la philosophie. «Jusque-là elle était, dit-il, éparse, mutilée, fragmentaire; seul Aristote l'ordonna et en fit un corps. Commençant par la poésie et la rhétorique, il passe ensuite à la logique. Puis, après avoir traité avec soin tous les points de la morale, il conduit dans toutes les parties de la nature. Enfin il nous élève aux choses qui dépassent la nature inférieure et jusqu'à la suprême intelligence. Aussi est-ce à bon droit que Cicéron appelle Aristote un fleuve d'or, quoiqu'il eût été encore plus juste de voir en lui une sorte de microcosme renfermant toute sagesse. Sylla racheta presque ses crimes en sauvant ce trésor inestimable; mais il reste encore le regret de tant d'ouvrages perdus. Ce qui doit consoler un peu de cette perte, c'est que les meilleurs sont parvenus jusqu'à nous. »

Érasme en donna la classification en quatre catégories : la première comprenant les livres sur la rhétorique, la poésie, la musique; la seconde renfermant tous ceux qui se rapportent à la logique; la troisième revendiquant ceux qui traitent de la morale et de la politique; la quatrième enfin se composant de ceux qui roulent sur la physique et la métaphysique. Il fait remarquer que nous avons plus d'ouvrages d'Aristote traduits en latin qu'on n'en trouve en grec. Parmi les uns et parmi les autres, il y en a d'une authenticité douteuse, d'abord les petits livres sur la Vie et sur la Mort, sur la Mé

« PoprzedniaDalej »