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ŒUVRE D'ÉRASME

Érasme a indiqué lui-même dans une lettre la nature et le but de son œuvre. « Voici en résumé, dit-il (1), ce que j'ai toujours fait par mes livres. J'élève courageusement la voix contre les guerres que nous voyons, depuis tant d'années déjà, ébranler la chrétienté presque tout entière. La théologie s'était trop laissée aller aux arguties sophistiques; je me suis efforcé de la rappeler aux sources et à l'antique simplicité. Nous nous sommes appliqué à rendre leur premier éclat aux auteurs sacrés où sont puisées d'une manière plus vive les choses que certains lisent par extraits, ou, pour mieux dire, par lambeaux. J'ai appris aux lettres, auparavant presque païennes, à parler du Christ, sonare Christum.

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J'ai aidé, selon mes forces, les langues recommençant à

fleurir. J'ai censuré les jugements des hommes la plupart

(1) Lettre au franciscain Jean Gache, t. III, p. 1727.

du temps bizarres. J'ai réveillé le monde qui s'endormait dans des cérémonies presque judaïques, et je l'ai appelé à un christianisme plus pur, sans pourtant jamais condamner les cérémonies de l'Église, mais en montrant ce qui est préférable. » Cette œuvre qu'Érasme résume un peu confusément, mais avec assez d'exactitude, nous allons l'étudier successivement dans ses diverses parties, pour mieux l'embrasser tout entière.

CHAPITRE PREMIER

Erasme réformateur de l'éducation.

A l'enseignement scolastique et barbare, il substitue l'enseignement littéraire et classique.

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Vers la fin du xve siècle, l'éducation était encore barbare dans l'occident et le nord de l'Europe. Elle l'était par le régime dur et souvent malsain auquel on soumettait l'enfance. Elle l'était aussi par les méthodes arides et rebutantes d'enseignement qui étouffaient le naturel. On connaît le tableau qu'Érasme a tracé de la vie rude que l'on menait à Paris au collége de Montaigu (1). Plus tard, Rabelais n'en parlait pas mieux. On lit dans Gargantua (2) : « Ce que voyant Grandgousier, son père, pensoyt que feussent poulx, et luy dist: Dea, mon bon filz, nous as-tu appourté iusques icy des esparuiers de Montagu? le nentendoys que la tu feisses résidence. Adoncques Ponocrates respondist: Seigneur, ne pensez que ie laye miz on colliege de pouillerye quon nomme Montagu mieulx leusse voulu mettre entre les guenaulx de sainct Innocent (3), pour lenorme cruaulté et villennye que iy ay congneu. Car trop mieulx sont traictez les forcez entre les Maures et Tartares, les meurtriers en la prison criminelle,

(1) V. 1er vol., p. 22 et suiv.

(2) Livre I, ch. XXXVII, cité par M. Nisard.

(3) Gueux qui se tenaient au cimetière des Innocents.

voyre certes les chiens en vostre maison, que ne sont ces malauctruz on dict colliege. Et si iestoys roy de Paris, le dyable memporte, si ie ne mettoys le feu dedans et feroys brusler et principal et régens, qui endurent ceste inhumainité devant leurs yeulx estre exercee. »

Nous voulons croire que le régime était plus doux ailleurs, et que Montaigu, en fait d'austérité, laissait bien loin derrière lui les autres colléges; mais ce qui est hors de contestation, c'est que l'enfance était assujettie à une vie dure, à des corrections sauvages. « A peine âgés de quatre ans, dit Érasme (1), les enfants sont envoyés dans une école où préside un maître inconnu, grossier, de mœurs peu sobres, quelquefois même d'un cerveau dérangé, souvent lunatique, épileptique, ou même atteint d'une maladie encore plus hideuse. Croyant avoir trouvé une sorte de royauté, ces hommes se livrent à une violence inconcevable, parce qu'ils ont l'empire, non sur des bêtes sauvages, comme dit le poète comique, mais sur un àge qu'il faudrait caresser en toute douceur. On dirait non une école, mais un lieu de torture. On n'y entend que le bruit des férules, des verges, des lamentations, des sanglots et de terribles menaces. Que résulte-t-il de là? Les enfants apprennent à détester l'instruction. Quand une fois cette haine a pris possession de leurs jeunes âmes, même devenus grands, ils ont les études en horreur. »

Quelques-uns, plus sottement encore, envoyaient leurs fils chez une femme adonnée au vin, pour apprendre à lire et à écrire. « Outre que l'empire d'une femme sur un garçon est contre nature, dit Érasme, ce sexe est impitoyable dans sa colère. Il s'enflamme aisément et ne s'apaise qu'après avoir assouvi sa vengeance. »

Parmi les maîtres d'école qui rouaient de coups leurs élèves, les Français tenaient le premier rang après les Écossais. Quand on leur en faisait l'observation, ils répondaient

(1) T. I, p. 504. De pueris statim ac liberaliter instituendis.

d'ordinaire que cette nation, comme la nation phrygienne, ne pouvait être redressée que par les coups. «Est-ce vrai, dit Érasme? Que d'autres en décident. » Ceci fait penser à un mot célébre d'un espagnol (1) qui déclarait le peuple français un peuple ingouvernable. Érasme ajoutait : « J'avoue qu'il y a de la différence dans le caractère des nations, mais il y en a bien plus dans le caractère des individus. Certains se laisseraient tuer plutôt que corriger par les coups de verge; mais, par la bienveillance et de doux avis on pourrait en faire ce qu'on voudrait. J'avoue qu'étant enfant j'étais de ce caractère (2)... Que d'heureux naturels sont tous les jours ruinés par ces bourreaux ignorants, mais gonflés de leur prétendu savoir, moroses, ivrognes, féroces, battant par plaisir et se repaissant avec délices de la souffrance d'autrui! Les plus cruels sont ceux qui n'ont rien à enseigner à leurs écoliers. » Érasme connaissait particulièrement un théologien de très grande réputation, qui ne trouvait jamais les maîtres assez sévères pour leurs élèves. Après le repas, il en faisait toujours battre de verges un ou deux pour dompter, disait-il, la fierté du caractère. Il n'épargnait pas même les innocents. Érasme vit un jour un enfant de dix ans environ, jeté à terre et frappé ainsi par un maître impitoyable, sur un signe du théologien. Celui-ci avait beau dire: c'est assez, c'est assez, le bourreau, sourd dans son ardeur, poursuivit son œuvre jusqu'à ce que l'enfant fût presque évanoui. Le théologien, se tournant alors vers la compagnie, se contenta de dire : « Il n'a rien fait de mal, mais il fallait l'humilier! » C'est ainsi que souvent on compromettait la santé des enfants, qu'on les rendait borgnes, qu'on les estropiait, que l'on causait même leur mort.

Les verges ne suffisaient pas à la cruauté de certains maîtres. Ils frappaient avec le manche ou le poing, avec tout ce

(1) Donoso Cortez.

(2) V. fer vol., p. 7.

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