quer; et vous souffrez que je la mette ici à la place du mérite. Vous avez eu égard, en me choisissant, à quelques suffrages publics, que mon ministère m'avoit attirés; et vous n'avez pas voulu faire attention, que cette sorte de réputation, nous la devons moins à l'éloquence de nos discours, qu'à la piété de ceux qui nous écoutent. J'augure trop favorablement des règnes futurs de la monarchie, pour soupçonner même qu'ils se refroidissent jamais sur l'utilité de votre établissement ce tribunal élevé pour perpétuer parmi nous le goût et la politesse, est un secours qui avoit manqué aux siècles les plus polis de Rome et d'Athènes; aussi ne se sauvèrent-ils pas long-temps de la fausse éloquence et du mauvais goût, et on les vit bientôt retomber presque dans la même barbarie d'où tant d'ouvrages fameux les avoient tirés. Mais le cardinal de Richelieu, à qui il étoit donné de penser au-dessus des autres hommes 9 sut ménager à son siècle un secours si nécessaire: il comprit que l'inconstance de la nation avoit besoin d'un frein; et que le goût n'auroit pas chez nous une destinée plus invariable que les usages, s'il n'établissoit des juges pour le fixer. Repassez sur les règnes qui précédèrent la naissance de l'académie : la naïveté du langage suppléoit, je l'avoue dans un petit nombre d'auteurs, à la pureté du style, au choix et à l'arrangement des matières; et toutes les beautés dont notre langue s'est depuis enrichie, n'ont pu encore effacer les graces de leur ancienne simpli cité. Mais en général, quel faux goût d'éloquence ! les astres en fournissoient toujours les traits les plus hardis et les plus lumineux; et l'orateur croyoit ramper, si du premier pas, il ne se perdoit dans les nues ; une érudition entassée sans choix, décidoit de la beauté et du mérite des éloges; et pour louer son héros avec succès, il falloit presque avoir trouvé le secret de ne point parler de lui. La chaire sembloit disputer, ou de bouffonnerie avec le théâtre, ou de sécheresse avec l'école; et le prédicateur croyoit avoir rempli le ministère le plus sérieux de la religion, quand il avoit déshonoré la majesté de la parole sainte, en y mêlant, ou des termes barbares qu'on n'entendoit pas, ou des plaisanteries qu'on n'auroit pas dû entendre. Le barreau n'étoit presque plus qu'un étalage de citations étrangères à la cause; et les plaidoyers finis, les juges étoient bien plus instruits et plus en état de prononcer sur le mérite des orateurs, que sur le droit des parties. Le goût manquoit partout : la poésie elle-même, malgré ses Marot, et ses Regnier, marchoit encore sans règles et au hasard: les gráces de ces deux auteurs appartiennent à la nature, qui est de tous les siècles, plutôt qu'au leur; et le chaos, où Ronsard, qui ne put imiter l'un, ni devenir le modèle de l'autre, la replongea, montre que leurs ouvrages ne furent que comme d'heureux intervalles, qui échappèrent à un siècle malade, et généralement gâté. Je ne parle pas du grand Malherbe: il avoit vécu avec vos premiers fondateurs; il vous appartenoit d'avance; c'étoit l'aurore qui annonçoit le jour. Ce jour, cet heureux jour s'éleva enfin : l'académie parut; le chaos se débrouilla; la nature étala toutes ses beautés, et tout prit une nouvelle forme. La France ne vit plus rien qu'elle dût envier aux meilleurs siècles de l'antiquité : le théâtre, la satire, la poésie lyrique, la fable, l'histoire l'éloquence, la philosophie, le style épistolaire, les traités de piété jusque-là informes, les traductions nobles et hardies eurent parmi vous leurs héros: dans tous les genres, on vit sortir de votre sein des hommes uniques, dont Rome et la Grèce se seroient fait honneur. La chaire elle-même rougit de ce comique indécent, ou de ces ornemens bizarres et pom→ peux, dont elle s'étoit jusque-là parée; et substi→ tua l'instruction à une pompe vide et déplacée, la raison aux fausses lueurs, et l'Evangile à l'imagination. Partout le vrai prit la place du faux. Notre langue devenue plus aimable, à mesure qu'elle devenoit plus pure, sembla nous réconcilier avec toute l'Europe, dans le temps même que nos victoires l'armoient contre nous : un François ne se trouvoit étranger nulle part; son langage étoit le langage de toutes les cours; et nos ennemis, ne pouvant vaincre comme nous vouloient du moins parler comme nous. La politesse du langage nous amena celle des mœurs le goût, qui régnoit dans les ouvrages d'esprit, entra dans les bienséances de la vie civile; et nos manières, comme nos ouvrages, servirent de modèle aux étrangers. Le goût est l'arbitre et la règle des bienséances et des mœurs, comme de l'éloquence: c'est un dépôt public qui vous est confié, à la garde duquel on ne peut trop veiller: dès que le faux, le mauvais et l'indécent sont applaudis dans les ouvrages d'esprit, ils le sont bientôt dans les moeurs publiques: tout change et se corrompt avec le goût: les bienséances de l'éloquence et celles des mœurs se donnent, pour ainsi dire, la main. Rome elle-même vit bientôt ses moeurs reprendre leur première barbarie, et se corrompre, sous les empereurs, où la pureté du langage et le goût du bon siècle commença à s'altérer; et la France auroit sans doute la même destinée, si l'académie, dépositaire des bienséances et de la pureté du goût, ne nous répondoit aussi de celle des mœurs pour nos neveux. Votre gloire est donc devenue la gloire et l'intérêt public de la nation : le destin de la France paroît attaché au vôtre. Ses prospérités ont pu éprouver des revers, et en éprouveront peut-être encore: encore le sort de la guerre pourra changer encore pour elle; mais le sort des lettres ne changera plus les âges à venir pourront la voir plus ou moins victorieuse; mais tant que votre tribunal sera élevé, ils la verront toujours également polie. : Ce sera à vous, et à ceux qui vous succéderont, à publier ses victoires; ou à louer ses ressources, et sa constance dans les adversités. C'est par-là, qu'en immortalisant votre reconnoissance vous avez immortalisé le règne de Louis-le-Grand, ce prince magnanime, qui vous reçut des mains d'un chef célèbre de la justice; et qui au comble de sa gloire, crut y ajoutér un nouvel éclat, en succédant dans la protection de la compagnie, à un de ses sujets. Ses louanges, qui firent la plus douce et la plus brillante de vos occupations, feront aussi un' des plus beaux monumens de l'histoire des François et de celle de l'académie: elles n'ont rien à craindre du temps; sa gloire semble croître et se rapprocher de nous à mesure que le jour fatal de sa perte s'en éloigne; et la mort, qui efface d'ordinaire tous les éloges des princes, en mettant aux siens le sceau de la vérité, y a mis celui de l'immortalité. C'est dans votre école que se formèrent ces hommes célèbres (1), qu'il choisit pour présider à l'éducation des princes ses enfans: il vous con (1) M. Bossuet, évêque de Meaux. M. de Fénélon, archevêque de Cambray. Tome IX. CONFER. II. 36. |