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lez cacher vos années, et non-seulement les cacher, mais résister à leur cours qui emporte tout, yous soutenir contre leur effort, et tromper leurs mains si subtiles qui ne cessent de vous enlever par mille artifices toujours quelque chose. Est-ce là cette gloire du corps de Jésus? [Il est] une autre santé, un autre beauté, une autre vie. Hé! laissez-vous dépouiller de ce fragile ornement qui ne fait que nourrir votre vanité, vous exposer à la tentation, vous environner de scandales. Quittez l'amour de ce corps trop chéri et trop soigné : car si vous persistez à le tant chérir, ô que la mort yous sera cruelle! O que vainement vous soupirerez, disant avec ce roi des Amalécites: Siccine separat amara mors 1? « Est-ce ainsi que la mort « amère sépare de tout? » Quel coup! quel effort! quelle violence!

Au contraire un homme de bien n'a rien à perdre en ce jour. La mortification lui rend la mort familière. Le détachement du plaisir le désaccoutume du corps. Il a depuis fort longtemps, ou denoué, on rompu les liens les plus délicats qui nous y attachent. Il ne s'afflige donc pas de quitter son corps; il sait qu'il ne le perd pas. Il a appris de l'Apôtre que nous avons un double voyage à faire Scientes quoniam dum sumus in corpore peregrinamur à Domino.... Bonam voluntatem habemus magis peregrinari à corpore, et præsentes esse ad Dominum 2: « Nous savons « que pendant que nous habitons ce corps, nous « sommes éloignés du Seigneur.... Nous aimons << mieux sortir de la maison de ce corps pour aller « habiter avec le Seigneur. » Car tant que nous sommes dans le corps, nous voyageons loin de Dieu; et quand nous sommes avec Dieu, nous voyageons loin du corps. L'un et l'autre n'est qu'un voyage, et non une entière séparation, parce que nous passons dans le corps pour aller à Dieu, et que nous allons à Dieu dans l'espérance de retourner à nos corps. Ainsi lorsque nous vivons dans cette chair, nous ne devons pas nous y attacher comme si nous y devions demeurer toujours et lorsqu'il en faut sortir, nous ne devons pas nous affliger comme si nous n'y devions jamais retourner. Par là étant délivrés des soins inquiets de la vie et des appréhensions de la mort, lorsque notre dernière heure approche, nous nous endormons en paix et en espérance. Car que crains-tu, âme chrétienne, dans les approches de la mort? Crains-tu de perdre ton corps? Mais que ta foi ne chancelle pas; pourvu que tu le soumettes à l'Esprit de Dieu, cet Esprit tout-puissant te le rendra meilleur, saura bien te le conserver pour l'éternité. Peut-être qu'en voyant tomber ta mai

1 I. Reg. xv, 32. 2 II. Cor. v, 6, 8.

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son, tu appréhendes d'être sans retraite mais écoute le divin Apôtre : « Nous savons, dit-il aux Corinthiens, nous ne sommes pas induits à le « croire par des conjectures douteuses; mais nous « le savons très-assurément et avec une entière « certitude, que si cette maison de terre et de « boue dans laquelle nous habitons, est détruite, « nous avons une autre maison qui n'est pas « bâtie de main d'homme, laquelle nous est préparée au ciel. » O conduite miséricordieuse de celui qui pourvoit à tous nos besoins! « II a dessein, dit excellemment saint Jean Chrysos« tôme, de réparer la maison qu'il nous a don« née : pendant qu'il la détruit et qu'il la renverse « pour la rebâtir toute neuve, il est nécessaire « que nous délogions. » Car que ferions-nous dar.s ee tumulte et dans cette poudre? Et lui-même nous offre son palais, il nous y donne un appartement pour nous faire attendre en repos l'entière réparation de notre ancien édifice. Ne craignons donc rien, mes frères; songeons seulement à bien vivre : car tout est en sûreté pour le chrétien. Tu n'oses pas, chrétien, tu te défies de tes œuvres; songe donc à cette assurance...

PREMIER SERMON

POUR

LE PREMIER DIMANCHE DE L'AVENT, PRÊCHÉ DEVANT LE ROI.

Sur la nécessité pressante de s'éveiller, de sortir de sa langueur, et de travailler sans délai à son salut.

Hora est jam nos de somno surgere.

n est temps désormais que nous nous réveillions de notre sommeil. Rom. xi, 11.

Le croira-t-on, si je le dis, que presque toute la nature humaine est endormie, et qu'au milieu de cette action si vive et si empressée qui paraît principalement à la cour, la plupart des hommes languissent au dedans du cœur dans une mortelle léthargic? Nul ne veille véritablement, que celui qui est attentif à son salut. Et s'il est ainsi, chrétiens, qu'il y en a dans cet auditoire qu'un profond sommeil appesantit! qu'il y en a qui en prêtant l'oreille n'entendent pas, et ne voient pas en ouvrant les yeux, et qui peut-être malheureusement ne se réveilleront pas encore à mon discours. C'est l'intention de l'Église de les tirer aujourd'hui de ce pernicieux assoupissement. C'est pourquoi elle nous lit dans

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les saints mystères de ce jour, l'histoire du jugement dernier; lorsque la nature étonnée de la majesté de Jésus-Christ, rompra tout le concert de ses mouvements, et qu'on entendra un bruit tel qu'on peut se l'imaginer parmi de si effroyables ruines, et dans un renversement si affreux. Quiconque ne s'éveille pas à ce bruit terrible, est trop profondément assoupi, et il dort d'un sommeil de mort. Toutefois si nous y sommes sourds, l'Église pour nous exciter davantage, fait encore retentir à nos oreilles la parole de l'apôtre. Le grand Paul mêle sa voix au bruit confus de l'univers, et nous dit d'un ton éclatant: « O fidèles, l'heure est venue de nous éveiller : >> Hora est jam nos de somno surgere. Ainsi je ne crois pas quitter l'Évangile, mais en prendre l'intention et l'esprit, quand j'interprète l'Épître que l'Église lit en ce jour. Fasse celui pour qui je parle, que j'annonce avec tant de force ses menaces et ses jugements, que ceux qui dorment dans leurs péchés se réveillent et se convertissent. C'est la grâce que je lui demande par les prières de la sainte Vierge.

| tives devant le redoutable tribunal de Jésus-Christ, avant que nous ayons seulement songé à en prévenir les rigueurs par la pénitence. C'est ce dangereux assoupissement que craignait le divin Psalmiste, lorsqu'il faisait cette prière : « Éclairez mes yeux, « ô Seigneur! de peur que je ne m'endorme dans « la mort'. » C'est pour prévenir l'effet de cette mortelle léthargie, que l'Apôtre nous dit aujourd'hui : « Mes frères, l'heure est venue de vous « réveiller de votre sommeil. »

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Et moi, pour suivre ses intentions, je combattrai tout ensemble le sommeil et la langueur; le sommeil qui nous rend insensibles; la langueur qui, nous empêchant de nous éveiller tout à fait et de nous lever promptement, nous replonge de nouveau dans le sommeil. Je vous montrerai en deux points, premièrement, chrétiens, que ceux-là sont trop nonchalamment et trop malheureusement endormis, qui ne pensent pas à Dieu ni à sa justice: secondement, que l'heure est venue de nous réveiller de ce sommeil; et que cette heure, c'est l'heure même où nous sommes présentement, et celle où je vous excite et où je vous parle. Ainsi après avoir éveillé ceux qui dorment dans leurs péchés, je tâcherai de vaincre les délais de ceux qui disputent trop longtemps avec leur paresse. Voilà simplement et en peu de mots le partage de mon discours. Donnez-moi du moins vos attentions dans un discours où il s'agit de l'attention elle-même.

PREMIER POINT.

Afin que personne ne croie que c'est un 'crime léger de ne penser pas à Dieu, ou d'y penser

sans considérer combien c'est une chose terrible

de tomber entre ses mains, j'entreprends de vous faire voir que ce crime est une espèce d'athéisme.

Dixit insipiens in corde suo, Non est Deus, dit le psaume LII: « L'insensé a dit en son « cœur, Il n'y a point de Dieu. » Les saints Pères nous enseignent que nous pouvons nous rendre

C'est une vérité constante que l'Écriture a établie et que l'expérience a justifiée, que la cause de tous les crimes et de tous les malheurs de la vie humaine, c'est le défaut d'attention et de vigilance. Si les justes tombent si souvent, perdent la grâce après une longue persévérance, c'est qu'ils s'endorment dans la vue de leurs bonnes œuvres. Ils pensent avoir vaincu tout à fait leurs mauvais désirs: la confiance qu'ils ont en ce calme, fait qu'ils abandonnent le gouvernail, c'est-à-dire qu'ils perdent l'attention à eux mêmes et à la prière. Ainsi ils périssent misérablement; et pour avoir cessé de veiller, ils perdent en un moment tout le fruit de tant de travaux. Mais si l'attention et la vigilance est si nécessaire aux justes, pour prévenir leur chute funeste, combien en ont besoin les pécheurs pour s'en relever, et pour réparer leurs ruines! Cest pourquoi de tous les préceptes que le Saint-coupables en plusieurs façons de cette erreur inEsprit a donnés aux hommes, il n'y en a aucun que le Fils de Dieu ait répété plus souvent, que les saints apôtres aient inculqué avec plus de force, que celui de veiller sans cesse. Toutes les épîtres, tous les évangiles, toutes les pages de l'Écriture sont pleines de ces paroles : « Veillez, • priez, prenez garde, soyez prêts à toutes les « heures; parce que vous ne savez pas à laquelle << viendra le Seigneur. »> En effet, faute de veiller à notre salut et à notre conscience, notre ennemi qui n'est que trop vigilant, et nos passions qui ne sont que trop attentives à leurs objets, nous surprennent, nous emportent, nous mettent entièrement sous le joug, et traînent nos âmes cap

sensée, par erreur, par volonté, par oubli. Il y
a en premier lieu les athées et les libertins, qui
disent ouvertement que les choses vont au hasard
et à l'aventure, sans ordre, sans gouvernement,
sans conduite supérieure. Insensés, qui dans
l'empire de Dieu, parmi ses ouvrages, parmi ses
bienfaits, osent dire qu'il n'est pas, et ravir l'être
à celui par lequel subsiste toute la nature! La
terre porte peu de tels monstres; les idolâtres mê-
mes et les infidèles les ont en horreur. Et lorsque
dans la lumière du christianisme on en découvre
quelqu'un, ou en doit estimer la rencontre mal-.

1 Psal. XII, 4.

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heureuse et abominable. Mais que l'homme de |
plaisir, sensuel, qui laisse dominer les sens et ne
songe qu'à les satisfaire, prenne garde que Dieu
ne le livre tellement à leur tyrannie, qu'à la fin
il vienne à croire que ce qui n'est pas sensible
n'est pas réel; que ce qu'on ne voit ni ne touche,
n'est qu'une ombre et un fantôme; et que les
idées sensibles prenant le dessus, toutes les autres
ne paraissent douteuses ou tout à fait vaines :
car c'est là que sont conduits insensiblement ceux
qui laissent dominer les sens et ne pensent qu'à
les satisfaire. On en voit d'autres, dit le docte
Théodoret qui ne viennent pas jusqu'à cet
excès de nier la Divinité; mais qui, pressés et
incommodés dans leurs passions déréglées, par
ses lois qui les contraignent, par ses menaces qui
les étonnent, par la crainte de ses jugements qui
les trouble, désireraient que Dieu ne fût pas :
bien plus, ils voudraient pouvoir croire que Dieu
n'est qu'un nom, et disent dans leur cœur, non
par persuasion, mais par désir : Non est Deus;
Il n'y a point de Dieu. » Ils voudraient pouvoir
réduire au néant cette source féconde de l'être.
Ingrats et insensés, dit saint Augustin, qui',
⚫ parce qu'ils sont déréglés, voudraient détruire
« la règle, et souhaitent qu'il n'y ait ni loi ni
« justice » Qui dum nolunt esse justi, nolunt
:
esse veritatem qua damnantur injusti. Je laisse
encore ceux-ci, et je veux croire qu'aucuns de
mes auditeurs ne sont si dépravés et si corrom-
pus. Je viens à une troisième manière de dire
que
Dieu n'est pas,
de laquelle nous ne pouvons
pas nous excuser.

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"

Voici le principe que je pose. Ce à quoi nous ne daignons penser est comme nul à notre égard. Ceux-là donc disent en leur cœur que Dieu n'est pas, qui ne le jugent pas digne qu'on pense à lui sérieusement. A peine sont-ils attentifs à sa vérité quand on prêche, à sa majesté quand on sacrifie, à sa justice quand il frappe, à sa bonté quand il donne; enfin, qui le comptent tellement pour rien, qu'ils pensent en effet n'avoir rien à craindre, tant qu'ils n'ont que lui pour témoin. Qui de nous n'est pas de ce nombre? Qui n'est pas arrêté dans ses entreprises par la rencontre d'un homme qui n'est pas de son secret ni de sa cabale? Et cependant ou nous méprisons, ou nous oublions le regard de Dieu. N'apportons pas ici l'exemple de ceux qui roulent en leur esprit quelque vol ou quelque meurtre tout ce qu'ils rencontrent les trouble, et la lumière du jour et leur ombre propre leur fait peur. Ils ont peine à porter eux-mêmes l'horreur de leur funeste secret : et ils vivent cepen

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dant dans une souveraine tranquillité des regards de Dieu. Laissons ces tragiques attentats; disons ce qui se voit tous les jours. Quand vous déchirez en secret ceux que vous caressez en public; quand vous les percez de cent plaies mortelles par les coups incessamment redoublés de votre dangereuse langue; quand vous mêlez artificieusement le vrai et le faux pour donner de la vraisemblance à vos histoires malicieuses; quand vous violez le sacré dépôt du secret qu'un ami trop simple a versé tout entier dans votre cœur, et que vous faites servir à vos intérêts sa confiance qui vous obligeait à penser aux siens; combien prenez-vous de précautions pour ne point paraître? combien regardez-vous à droite et à gauche? Et si vous ne voyez pas de témoin qui puisse vous reprocher votre lâcheté dans le monde, si vous avez tendu vos piéges si subtilement qu'ils soient imperceptibles aux regards humains, vous dites : « Qui nous a vus? » Narraverunt ut absconderent laqueos; dixerunt, Quis videbit eos 1? comme dit le divin Psalmiste. Vous ne comptez donc pas parmi les voyants, celui qui habite aux cieux? Et cependant entendez le même Psalmiste : « Quoi! celui « qui a formé l'oreille n'écoute-t-il pas? et celui « qui a fait les yeux est-il aveugle? » Qui plantavit aurem non audiet, aut qui finxit oculum non considerat ? Pourquoi ne songez-vous pas qu'il est tout vue, tout ouïe, tout intelligence; que vos pensées lui parlent, que votre cœur lui découvre tout, que votre propre conscience est sa surveillante et son témoin contre vous-même? Et cependant sous ces yeux si vifs, sous ces regards si perçants, vous jouissez sans inquiétude du plaisir d'être caché : vous vous abandonnez à la joie, et vous vivez en repos parmi vos délices criminelles, sans songer que celui qui vous les défend, et qui vous en a laissé tant d'innocentes, viendra quelque jour inopinément troubler vos plaisirs d'une manière terrible par les rigueurs de son jugement, lorsque vous l'attendrez le moins. N'est-ce pas manifestement le compter pour rien, et « dire en son cœur insensé: Il n'y «< a point de Dieu? » Dixit insipiens in corde suo, Non est Deus.

Quand je recherche les causes profondes d'un si prodigieux oubli, et que je considère en moi-. même d'où vient que l'homme si sensible à ses intérêts, et si attentif à ses affaires, perd néanmoins de vue si facilement la chose du monde la plus nécessaire, la plus redoutable et la plus présente, c'est-à-dire, Dieu et sa justice; voici ce qui me vient en la pensée. Je trouve que notre esprit,

1 Psal. LXII, 5.
2 Psal. XCIII, 9.

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Cependant qu'ils mêlent le ciel et la terre pour se cacher, s'ils pouvaient, dans la confusion de toutes choses; que ces femmes infidèles et ces hommes corrompus et corrupteurs se couvrent euxmêmes, s'ils peuvent, de toutes les ombres de la nuit; que ceux qui s'entendent si bien pour conspirer à leur perte, enveloppent leurs inteliigences déshonnêtes dans l'obscurité d'une intrigue impénétrable: ils seront découverts au jour arrêté; leur cause sera portée devant le tribunal de Jésus-Christ, où leur conviction ne pourra être éludée par aucune excuse, ni leur peine retardée par aucunes plaintes.

dont les bornes sont si étroites, n'a pas une assez | infidèles, et ne précipite pas sa juste vengeance, vaste compréhension pour s'étendre hors de son jusqu'à ce qu'ils soient parvenus au terme fatal ou enceinte : c'est pourquoi il n'imagine vivement il a résolu de les arrêter. Ainsi, et à plus forte raique ce qu'il ressent en lui-même, et nous fait ju- son, ce Dieu tout-puissant, qui du centre de son ger des choses qui nous environnent, par notre éternité développe tout l'ordre des siècles, et qui, propre disposition. Celui qui est en colère, croit sage dispensateur des temps, a fait la destinaque tout le monde est ému de l'injure que lui seul tion de tous les moments devant l'origine des ressent, pendant qu'il en fatigue toutes les oreil- choses, n'a rien à précipiter. Ceux-là se hâtent les. On voit que le paresseux qui laisse aller tou- et se précipitent, dont les conseils sont dominés tes choses avec nonchalance, ne s'imagine jamais par la rapidité des occasions, et emportés par la combien vive est l'activité de ceux qui attaquent fortune. Il n'en est pas ainsi du Tout-Puissant. sa fortune. Pendant qu'il dort à son aise et qu'il Les pécheurs sont sous ses yeux et sous sa main. se repose, il croit que tout dort avec lui, et n'est Il sait le temps qu'il leur a donné pour se repenréveillé que par le coup. C'est une illusion sem-tir, et celui où il les attend pour les confondre. blable, mais bien plus universelle, qui persuade à tous les pécheurs, que pendant qu'ils languissent dans l'oisiveté, dans le plaisir, dans l'impénitence, la justice divine languit aussi, et qu'elle est tout à fait endormie. Parce qu'ils ont oublié Dieu, ils pensent aussi que Dieu les oublie : Dixit enim in corde suo, Oblitus est Deus : « Car ila a dit en son cœur Dieu l'a oublié. » Mais leur erreur est extrême : si Dieu se tait quelque temps, il ne se taira pas toujours. « Je veillerai, dit-il, sur les pécheurs, pour leur mal et non « pour leur bien : » Vigilabo super eos in malum et non in bonum: « Je me suis tu, dit-il ailleurs; j'ai gardé le silence, j'ai été patient, j'éclaterai tout à coup; longtemps j'ai retenu « ma colère dans mon sein, à la fin j'enfanterai, je dissiperai mes ennemis, et les envelopperai « tous ensemble dans une même vengeance : » Tacui semper, silui, patiens fui; sicut par- | turiens loquar, dissipabo et absorbebo simul3. Par conséquent, chrétiens, ne prenons pas son silence pour un aveu, ni sa patience pour un pardon, ni sa longue dissimulation pour un oubli, ni sa bonté pour une faiblesse. Il attend parce qu'il est miséricordieux ; et si l'on méprise ses miséricordes, souvent il attend encore et ne presse pas sa vengeance; parce qu'il sait que ses mains sont inévitables. Comme un roi 4 qui sent son trône affermi et sa puissance établie, apprend qu'il se machine dans son État des pratiques contre son service, de secrets desseins de révolte; car il est malaisé de tromper un roi qui a les yeux ouverts et qui veille: il pourrait étouffer dans sa naissance cette cabale découverte; mais assuré de lui-même et de sa propre puissance, il est bien aise de voir jusqu'où iront les téméraires complots de ses sujets

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Mais j'ai à vous découvrir de plus profondes vérités. Je ne prétends pas seulement faire appréhender aux pécheurs les rigueurs du jugement dernier, ni les supplices insupportables du siècle à venir. De peur que le repos où ils sont dans la vie présente ne serve à nourrir en leur cœur aveugle et impénitent l'espérance de l'impunité, le Saint-Esprit nous enseigne que leur repos même est une peine. Pécheurs, soyez ici attentifs. Voici une nouvelle manière de se venger, qui n'appartient qu'à Dieu seul; c'est de laisser ses ennemis en repos, et de les punir davantage par leur endurcissement et par leur sommeil léthargique, que s'il exerçait sur eux un châtiment exemplaire. Il est donc vrai, chrétiens, qu'il arrive souvent qu'à force d'être irrité, Dieu renferme en lui-même toute sa colère; en sorte que les pécheurs, étant étonnés eux-mêmes de leurs longues prospérités et du cours fortuné de leurs affaires, s'imaginent n'avoir rien à craindre et ne sentent plus aucun trouble dans leur conscience. Voilà ce pernicieux assoupissement, voilà ce sommeil de mort dont j'ai déjà tant parlé. C'est, mes frères, le dernier fléau que Dieu envoie à ses ennemis ; c'est le comble de tous les malheurs, c'est la plus prochaine disposition à l'impénitence finale et à la ruine dernière et irrémédiable. Pour l'entendre, il faut remarquer que c'est une excellente maxime des saints docteurs, « qu'autant que les pécheurs

« sont rigoureux censeurs de leurs vices, autant « Dieu se relâche en leur faveur de la sévérité de « ses jugements : » In quantum non peperceris tibi, in tantum tibi Deus, crede, parcet'. En effet, comme il est écrit que Dieu aime la justice et déteste l'iniquité, tant qu'il y a quelque chose en nous qui crie contre les péchés et s'élève contre les vices, il y a aussi quelque chose qui prend le parti de Dieu; et c'est une disposition favorable pour le réconcilier avec nous. Mais dès que nous sommes si malheureux que d'être tout à fait d'accord avec nos péchés; dès que, par le plus indigne des attentats, nous en sommes venus à ce point, que d'abolir en nous-mêmes la sainte vérité de Dieu, l'impression de son doigt et de ses lumières, la marque de sa justice souveraine, en renversant cet auguste tribunal de la conscience qui condamnait tous les crimes, c'est alors que l'empire de Dieu est détruit, que l'audace de la rébellion est consommée, et que nos maux n'ont presque plus de remèdes. C'est pourquoi ce grand Dieu vivant, qui sait que le souverain bonheur est de le servir et de lui plaire, et que ce qui reste de meilleur à ceux qui se sont éloignés de lui par leurs crimes, c'est d'être troublés et inquiétés du malheur de lui avoir déplu; après qu'on a méprisé longtemps ses grâces, ses inspirations, ses miséricordieux avertissements, et les coups par lesquels il nous a frappés de temps en temps, non encore pour nous punir à toute rigueur, mais seulement pour nous réveiller, prend enfin cette dernière résolution pour se venger des hommes ingrats et trop insensibles : il retire ses saintes lumières, il les aveugle, il les endurcit; et leur laissant oublier ses divins préceptes, il fait qu'en même temps ils oublient et leur salut et eux-mêmes. Encore que cette doctrine paraisse assez établie sur l'ordre des jugements de Dieu, je penserai n'avoir rien fait, si je ne la prouve clairement : il faut que je vous montre dans son Écriture le progrès d'un si grand mal. Le prophète Isaïe nous le réprésente tenant en sa main une coupe, qu'il appelle la coupe de la colère de Dieu : Bibisti de manu Domini calicem iræ ejus : « La « main du Seigneur vous a fait boire la coupe de « sa colère. » Elle est, dit-il, remplie d'un breuvage qu'il veut faire boire aux pécheurs; mais d'un breuvage fumeux comme d'un vin nouveau, qui leur monte à la tête et qui les enivre. Ce breuvage qui enivre les pécheurs, qu'est-ce autre chose, messieurs, que leurs péchés mêmes et leurs désirs emportés, auxquels Dieu les abandonne? Ils boivent comme un premier verre, et peu à peu la tête leur tourne; c'est-à-dire, que

1 Tertull. de Pænitentia. no 10.

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dans l'ardeur de leurs passions, la réflexion à demi éteinte n'envoie que des lumières douteuses. Ainsi l'âme n'est plus éclairée comme auparavant; on ne voit plus les vérités de la religion, ni les terribles jugements de Dieu, que comme à travers d'un nuage épais. C'est ce qui s'appelle dans les Écritures « l'esprit de vertige1, » qui rend les hommes chancelants et mal assurés. Cependant ils déplorent encore leur faiblesse ; ils jettent quelque regard du côté de la vertu qu'ils ont quittée. Leur conscience se réveille de temps en temps, et dit en poussant un secret soupir dans le cœur O piété! ô chasteté! ô innocence! ô sainteté du baptême! ô pureté du christianisme! Les sens l'emportent sur la conscience; ils boivent encore, et leurs forces se diminuent, et leur vue se trou ble. Il leur reste néanmoins quelque connaissance et quelque souvenir de Dieu. Buvez, buvez, ô pécheurs ! buvez jusqu'à la dernière goutte, et avalez tout jusqu'à la lie. Mais que trouveront-ils dans ce fond? « Un breuvage d'assoupissement, « dit le saint prophète, qui achève de les enivrer jusqu'à les priver de tout sentiment: » Usque ad fundum calicis soporis bibisti, et potasti usque ad fæces'. Et voici un effet étrange : « Je « les vois, poursuit Isaïe, tombés dans les coins des « rues, si profondément assoupis, qu'ils semblent << tout à fait morts; » Filii tui projecti sunt, dormierunt in capite omnium viarum3. C'est l'image des grands pécheurs, qui, s'étant enivrés longtemps du vin de leurs passions et de leurs délices criminelles, perdent enfin toute connaissance de Dieu, et tout sentiment de leur mal. Ils pèchent sans scrupule : ils s'en souviennent sans douleur : ils s'en confessent sans componction : ils y retombent sans crainte : ils y persévèrent sans inquiétude : ils y meurent enfin sans repentance.

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Ouvrez donc les yeux, o pécheurs! et connaissez l'état où vous êtes. Pendant que vous contentez vos mauvais désirs, vous buvez un long oubli de Dieu; un sommeil mortel vous gagne, vos lumières s'éteignent, vos sens s'affaiblissent. Cependant il se fait contre vous, dans le cœur de Dieu, un « amas de haine et de colère : » Thesaurizas tibi iram 4, comme dit l'Apôtre : sa fureur longtemps retenue fera tout à coup un éclat terrible. Alors vous serez réveillés par un coup mortel, mais réveillés seulement pour sentir votre supplice intolérable. Prévenez un si grand malheur; éveillez-vous, l'heure est venue: Hora est jam nos de somno surgere. Éveillez-vous pour écouter l'avertissement, de peur qu'on ne

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