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pondre, pour l'honneur de l'art, et, jose dire, pour l'honneur d'un pays qui doit une partie de sa gloire chez les étrangers à la perfection de cet art même.

M. de la Motte avance que la rime est un usage barbare inventé depuis peu.

Cependant tous les peuples de la terre, excepté les anciens Romains et les Grecs, ont rimé et riment encore. Le retour des mêmes sons est si naturel à l'homme, qu'on a trouvé la rime établie chez les sauvages comme elle l'est à Rome, à Paris, à Londres et à Madrid. Il y a dans Montaigne une chanson en rimes américaines traduite en français; on trouve dans un des Spectateurs de M. Addisson une traduction d'une ode laponne rimée, qui est pleine de sentiment.

Les Grecs, quibus dedit ore rotundo Musa loqui, nés sous un ciel plus heureux, et favorisés par la nature d'organes plus délicats que les autres nations, formèrent une langue dont toutes les syllabes pouvaient, par leur longueur ou leur brièveté, exprimer les sentiments lents ou impétueux de l'ame. De cette variété de syllabes et d'intonations résultait dans leurs vers, et même aussi dans leur prose, une harmonie que les anciens Italiens sentirent, qu'ils imitèrent, et

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qu'aucune nation n'a pu saisir après eux. Mais soit rime, soit syllabes cadencées, la poésie, contre laquelle M. de la Motte se révolte, a été et sera toujours cultivée par tous les peuples.

Avant Hérodote, l'histoire même ne s'écrivait qu'en vers chez les Grecs, qui avaient pris cette coutume des anciens Egyptiens, le peuple le plus sage de la terre, le mieux policé et le plus savant. Cette coutume était très raisonnable; car le but de l'histoire était de conserver à la postérité la mémoire du petit nombre de grands hommes qui lui devaient servir d'exemple. On ne s'était point encore avisé de donner l'histoire d'un couvent, ou d'une petite ville, en plusieurs volumes in-folio; on n'écrivait que ce qui en était digne, que ce que les hommes devaient retenir par cœur. Voilà pourquoi on se servait de l'harmonie des vers pour aider la mémoire. C'est pour cette raison que les premiers philosophes, les législateurs, les fondateurs des religions, et les historiens étaient tous poëtes.

Il semble que la poésie dût manquer communément, dans de pareils sujets, ou de précision ou d'harmonie mais, depuis que Virgile et Horace ont réuni ces deux grands mérites, qui paraissent si incompatibles, depuis que MM. Despréaux et Racine ont écrit comme Virgile et

Horace, un homme qui les a lus, et qui sait qu'ils sont traduits dans presque toutes les langues de l'Europe, peut-il avilir à ce point un talent qui lui a fait tant d'honneur à lui-même ? Je placerai nos Despréaux et nos Racine à côté de Virgile pour le mérite de la versification; parce que si l'auteur de l'Énéide était né à Paris, il aurait rimé comme eux; et si ces deux Français avaient vécu du temps d'Auguste, ils auraient fait le même urage que Virgile de la mesure des vers latins. Quand donc M. de la Motté appelle la versification un travail mécanique et ridicule, c'est charger de ce ridicule, non seulement tous nos grands poëtes, mais tous ceux de l'antiquité.

Virgile et Horace se sont asservis à un travail aussi mécanique que nos auteurs: un arrangement heureux de spondées et de dactyles était aussi pénible que nos rimes et nos hémistiches. Il fallait que ce travail fut bien laborieux, puisque l'Énéide, après onze années, n'était pas core dans sa perfection.

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M. de la Motte prétend qu'au moins une scène de tragédie mise en prose ne perd rien de sa grâce ni de sa force. Pour le prouver, il tourne en prose la première scène de Mithridate, et personne ne peut la lire. Il ne songe

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pas que le grand mérite des vers est qu'ils soient aussi corrects que la prose; c'est cette extrême difficulté surmontée qui charme les connaisseurs réduisez les vers en prose, il n'y a plus è ni mérite ni plaisir.

Mais, dit-il, nos voisins ne riment point dans leurs tragédies. Cela est vrai; mais ces pièces sont en vers, parce qu'il faut de l'harmonie à tous les peuples de la terre. Il ne s'agit donc plus que de savoir si nos vers doivent être rimés ou non. MM. Corneille et Racine ont employé la rime; craignons que si nous voulons ouvrir une autre carrière, ce ne soit plutôt par l'impuissance de marcher dans celle de ces grands hommes, que par le désir de la nouveauté. Les Italiens et les Anglais peuvent se passer de rimes, parce que leur langue a des inversions, et leur poésie mille libertés qui nous manquent. Chaque langue a son génie déterminé par la nature de la construction de ses phrases, par la fréquence de ses voyelles ou de ses consonnes, ses inversions, ses verbes auxiliaires, etc. Le génie de notre langue est la clarté et l'élégance; nous ne permettons nulle licence à notre poésie, qui doit marcher, comme notre prose, dans l'ordre précis de nos idées. Nous avons donc un beşoin essentiel du retour des mêmes sons pour

que notre poésie ne soit pas confondue avec la prose. Tout le monde connaît ces vers :

Où me cacher? fuyons dans la nuit infernale.
Mais que dis-je ? mon père y tient l'urne fatale :
Le sort, dit-on, l'a mise en ses sévères mains;
Minos juge aux enfers tous les pâles humains.
Mettez à la place :

Où me cacher? fuyons dans la nuit infernale.
Mais que dis-je? mon père y tient l'urne funeste :
Le sort, dit-on, l'a mise en ses sévères mains;
Minos juge aux enfers tous les pâles mortels.

Quelque poétique que soit ce morceau, ferat-il le même plaisir, dépouillé de l'agrément de la rime? Les Anglais et les Italiens diraient également, après les Grecs et les Romains, Les pales humains Minos aux enfers juge, et enjamberaient avec grâce sur l'autre vers; la manière même de réciter des vers en italien et en anglais fait sentir des syllabes longues et brèves, qui soutiennent encore l'harmonie sans besoin de rimes: nous, qui n'avons aucun de ces avantages, pourquoi voudrions-nous abandonner ceux que la nature de notre langue nous laisse?

M. de la Motte compare nos poëtes, c'est-àdire, nos Corneille, nos Racine, nos Despréaux, à des faiseurs l'acrostiches, et à un charlatan

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